23.12.06

Déjanté – Hugo Hamilton

Hugo Hamilton est un écrivain irlandais pur jus, un vrai de vrai, spécialisé en romans policiers noirs voire très noirs.

Avec « Déjanté », il nous fait découvrir l’arrière du décor de cette ville si spéciale qu’est Dublin, ce mélange subtil de modernité, d’insalubrité, de transports en commun désuets et inadaptés à la mégapole moderne que la capitale irlandaise est devenue.

La limite de cet ouvrage est que son auteur est tellement irlandais, jusqu’au bout des ongles, que si vous ne connaissez pas Dublin et sa lumière si spécifique et que vous n’êtes pas un féru d’histoire irlandaise, malgré les notes fort bien faites de la traductrices, vous passerez immanquablement à côté d’une partie substantielle de cet auteur. C’est parfois un peu pénible.

Malgré tout, Hugo Hamilton a un talent réel pour nous emmener dans la folie parfois peu policée du garda Pat Coyle, flic complètement décalé, doué pour péter des câbles régulièrement au point d’être surnommé par ses collègues Mr Suicide.

C’est parce que la « Special Branch » irlandaise ne parvient pas à coffrer « Drummer », l’un des principaux chefs mafieux dublinois, que Pat Coyle va se mettre personnellement en guerre contre « Drummer » et son réseau.

Une descente progressive aux enfers, aux limites et au-delà des limites légales. Une sorte de duel post moderne à distance, par tiers interposés, jusqu’à la confrontation finale.

La langue est parfois cinglante, les associations de mots et les images d’une rare violence associée à un humour décapant. Un mélange sporadiquement explosif juxtaposé à de longues divagations sur l’échec de notre société capitaliste et consumériste.

Même si Hamilton n’a pas le style et la veine d’une Fred Vargas ou d’un Dominique Sylvain (voir plus loin sur ce blog), il réussit à nous faire adhérer aux complexes mécanismes cérébraux de ses héros, tous paumés, dépassés par la société ou les talents profonds qui sont les leurs et qu’ils n’arrivent pas à dompter.

Un polar parfaitement recommandable donc.

234 pages – Publié par Phébus – Rayon Noir

16.12.06

Quand l’océan se fâche – Histoire naturelle du climat – Jean-Claude DUPLESSY

Voilà un livre scientifique passionnant pour comprendre les grands mécanismes qui ont conduit à la formation de notre planète et les élément complexes qui gouvernent notre climat.

Vous pourrez briller en société en décrivant en quoi l’analyse comparative isotopique O18/O16 des foraminifères marins, minusculissimes coquillages qui tapissent les couches sédimentaires des sous-sols de nos mers, nous permet de dresser avec une précision sidérante la carte des climats terriens sur des centaines de milliers d’années.

Vous découvrirez que le champ magnétique se déplace du nord au sud au gré des lents mouvements tectoniques.

Vous comprendrez, à condition d’avoir une culture scientifique de base de type BAC C (S aujourd’hui), les grands mécanismes du tapis climatique roulant joué par les océans. Ce sont eux, en gros, qui absorbent l’essentiel du gaz carbonique émis par la terre à travers les âges et qui, par des réactions chimiques en chaîne, recyclent ce gaz par fixation progressive des molécules puis des électrons d’oxygène. Ce recyclage, complexe, se fait sur des cycles de 1500 à 15000 ans et par lente descente des particules dans les profondeurs abyssales, lesquelles sont ensuite entraînées par les courants marins, puis très lentement remontées à la surface de nos mers grâce au rôle actif des vents.

Il est étonnant de voir comment nos climats sont soumis à des cycles de 400.000 et 100.000 ans, lesquels dépendent des deux plans écliptiques sur lesquels évolue impertubablement notre planète autour du soleil. Plus la distance avec le soleil est lointaine, plus la température est basse.

Trop simple ! Car l’axe de notre bonne vieille terre n’est pas constant et se déplace, sur un cycle de 24.000 ans, selon un plan compris entre 21.5° et 24.5°. Ce déplacement est majeur et explique, à lui seul, les cycles de glaciation.

Mais, cela se complique encore (il faut bien donner du fil à retordre aux scientifiques et vérifier que le lecteur suit) car des micro-variations, à l’échelle du temps planétaire, sur des périodes de quelques dizaines d’années peuvent intervenir suite à un ou deux hivers rigoureux, à des inversions d’alizées ou à des pluies anormalement importantes sur la mer australe ou le pacifique. Du coup, la convexion mécanique de la chaleur ne se fait plus normalement et des mini-glaciations interviennent. Nous en avons connu deux au XXeme siècle.

Je vous passerai d’autres fonctions car vous devez faire l’effort de lire ce livre absolument clé pour comprendre en quoi l’activité humaine est en train d’inexorablement modifier de façon durable le climat de notre terre.

Sans jouer à l’apprenti sorcier, il est désormais scientifiquement prouvé que le siècle qui s’est achevé a été le plus chaud depuis que des mesures de température sont en place et probablement l’un des plus chauds depuis des dizaines de milliers d’années.

Il est presque certain que si rien n’est fait pour modérer nos émissions de CO2 en particulier sur l’Asie, les pluies vont diminuer dans cette région, les récoltes de riz se réduire, ce qui est déjà le cas, la sécheresse gagner l’Inde et le continent nord-américain devrait voir ses températures augmenter de dix degrés en moyenne. La Chine devrait connaître un refroidissement sensible et l’Europe des étés chauds et secs, puis des hivers doux et pluvieux alimentant des inondations de plus en plus significatives.

Le niveau moyen des mers devrait augmenter de 50 centimètres d’ici la fin de ce siècle. Il y a de la marge car les océans ont été jusqu’à 120 mètres plus haut qu’aujourd’hui…

Si j’ai bien tout compris, il est ensuite probable que le tapis roulant océanique va se ralentir fortement ce qui se traduira par une inexorable progression des glaciers et nous entraînera vers une glaciation.

Tous les lecteurs de cette note seront morts depuis bien longtemps mais cette transformation qui normalement devrait prendre quelques (dizaines de) milliers d’années est bien partie pour n’en prendre que quelques centaines tout au plus.

Ce livre devrait être lu par tous les décideurs politiques et économiques afin d’accélérer une attitude plus responsable envers les générations à venir. Je ne fais pas de militantisme écologique mais les faits scientifiques sont clairs et nets.

Si vous avez une formation scientifique de base, prenez les deux ou trois dizaines d’heures nécessaires à la lecture de cet ouvrage. Vous en sortirez transformés et plus conscients de l’impact de nos actes au quotidien.

277 pages – Publié par les Editions Odile Jacob

10.12.06

Mon utopie – Albert Jacquard

Arrivé à un âge qui lui permet de prendre du recul, Albert Jacquard, polytechnicien au parcours atypique, spécialiste de la génétique des populations et engagé dans la défense des exclus, nous livre ce que pourrait être un monde meilleur.

Le fondement repose sur quelques hypothèses de base, au demeurant toutes parfaitement acceptables.

Tout d’abord, ce qui fait la spécificité de l’homme c’est son réseau neuronal, lequel ne peut se construire et se développer que grâce à une constante interaction, en mode réseau, avec les autres. L’élément différenciant est donc que la construction humaine ne peut se faire indépendamment de ce/ceux qui l’entourent.

Ensuite, que la planète sur laquelle nous habitons a une capacité finie à mettre à notre disposition les ressources que nous lui réclamons sans cesse en quantité plus nombreuse. L’un des axiomes en est alors que vouloir une croissance continue de type 3% par an est strictement intenable car se traduisant par une multiplication par 20 des quantités de ressources consommées à l’échelle d’un siècle.

Puis que, de toutes les espèces vivantes su terre, nous sommes actuellement la seule à avoir su imaginer notre futur, pour franchir les différents stades de l’évolution de façon consciente. Il n’appartient par conséquent qu’à nous d’imaginer un futur où nous existons, où notre savoir est transmis sachant que notre temps a, a maxima, une fin qui est celle de l’extinction du soleil.

Albert Jacquard, en profond humaniste, nous fait alors partager ses convictions, son utopie. Elles reposent fondamentalement sur le passage d’un monde et d’une humanité gérés au niveau planétaire, mettant en commun ressources et savoir, pour progresser ensemble et préserver les ressources pour les générations futures. Un monde où le travail peu à peu disparaît. Un monde définitivement plus régi par l’économie, cette non-science (on sent bien un léger mépris du scientifique à cet égard). Un monde centré vers la conservation et l’augmentation de la connaissance accumulée depuis des siècles et favorisant l’épanouissement des jeunes grâce à une éducation ne fonctionnant plus sur une sélection prétendument scientifique et en fait parfaitement arbitraire.

Un monde sans guerre, un monde où la maladie serait contenue, un monde où chacun serait soucieux de l’autre, aujourd’hui et pour les générations à venir.

Autant de très louables intentions dont nous sommes encore très éloignés.

Je me rangerai plutôt dans la catégorie de ceux qui pensent que l’humanité a inconsciemment choisi une forme indéterminée de suicide collectif, pour une de nos très proches générations à venir, pariant sur la nécessité et le hasard, masqués derrière un épais rideau de poussières que notre désir forcené de consommation engendre, pour décider de ce que l’humanité sera ou ne sera pas d’ici peu. J’espère me tromper. Mais à regarder notre comportement face au dérèglement climatique, notre incapacité à faire fléchir l’absolu égoïsme etats-unien ou à modérer l’appétence de croissance chinoise, sans parler de notre impossibilité chronique, à nous occidentaux, à devenir modérés et raisonnables, je ne parierai pas trop sur une issue déterministe.

194 pages – publié aux Editions Stock

3.12.06

La Boîte Noire – Denis Robert

Vous n’en avez jamais eu un peu assez d’entendre parler de Clearstream et des frégates de Taïwan tout en éprouvant un malaise certain à ne pas réellement comprendre les enjeux et le dessous des cartes ?

Après avoir lu « la Boîte Noire », vous commencerez à en savoir un peu plus sur les grands principes mis en oeuvre. Un peu plus sur les mécanismes du Clearing (compensation en français), sur celui des doubles-comptabilités visiblement dûment entretenues dans ce petit pays secret, tranquille et si pratique pour recycler l’argent sale qu’est le Luxembourg.

Vous deviendrez plus familiers des schémas de prêts fictifs garantis par des titres ou du cash directement issus de la mafia, du terrorisme, de la politique et qui permettent, si simplement, de blanchir en toute tranquillité et en récupérant, quelques années plus tard, son argent, mine de rien, tout beau, tout propre.

Vous apprendrez qu’en simulant régulièrement de pseudo pannes informatiques, sur ordre du patron de Clearstream, le patron de l’informatique et un petit nombre d’initiés effaçait tout bonnement les écritures qui assuraient la traçabilité de l’origine de fonds douteux. Ni vu, ni connu !

Vous serez quelque peu abasourdis de constater que le monde bancaire, au sens planétaire, est complice et intéressé à la mise en place de ces mécanismes occultes où les comptes non déclarés sont plus nombreux que les comptes officiels et font l’objet d’un joli petit traffic international. Car, sans compte non déclaré, pas de possibilité de recyclage. Il est si commode de pouvoir compter sur quelqu’un de non regardant quant à l’origine des fonds, comme Clearstream et son patron de l’époque, pour leur donner ensuite, ni vu ni connu, une légitimité permettant l’émission des fameuses garanties d’origine, démarreur d’un vaste cycle de recyclage d’argent sale.

Ce sont ces mêmes principes qui servent à payer les rétrocessions de commissions sur les ventes d’armes grâce à l’emploi de prête-noms, grassement rémunérés, le tout via des comptes non déclarés efficacement localisés dans les nombreux paradis fiscaux. Et oui, il faut bien accepter de perdre un peu d’argent au départ pour recycler tout le reste de la somme ensuite. Car ce reste est également utilisé, voire principalement, pour spéculer, vis des produits dérivés, et fructifier largement.

Certes, Denis Robert laisse beaucoup de place à son émotion. Il est vrai qu’il en a visiblement bavé. Menaces à peine voilée, débarquements constants d’huissiers, dépôts de plaintes jamais menées au bout, pression policière et judiciaire, sans parler des pressions physiques sur ces témoins et ses indics… On lui pardonnera donc le trop de pages, le trop de verbiage, le manque de récit factuel surtout en première partie d’ouvrage. Concentrez-vous sur la compréhension des grands mécanismes et des coups bas car tout, ou presque, est permis pour protéger les intérêts énormes en jeu.

En trois à quatre heures de lecture, tout au plus, vous commencerez à bien comprendre et à trembler. Il n’y a d’ailleurs aucune raison que les fondements aient changé. Ils empruntent sans doute de nouveaux chemins via de nouveaux acteurs. L’argent sale a toujours besoin de se recycler et les quantités en jeu sont considérables….

381 pages – Publié aux Editions Les Arènes

1.12.06

La petite fille fille de Monsieur Linh – Philippe Claudel

Autant j’avais été subjugué par la noirceur, le souffle littéraire, l’invention des « Ames grises » (non blogué ici), autant j’avoue être resté sur ma faim avec ce deuxième roman de P. Claudel.

Il se dégage une indéniable poésie de ce court roman qui parle de la douleur du déracinement et de la possibilité de communiquer, par la seule force de l’amitié, de l’écoute, du partage de deux solitudes et deux détresses, bien au-delà des mots. Car ces mots sont indisponibles et trompeurs. Ils n’ont en effet jamais été appris, ni eux, ni cette langue, le français et qui s’imposent à Mr Linh, nouvel immigré débarqué du Vietnam en guerre.

Il existe de réels moments d’émotion, de ci de là, mais ils restent superficiels, effleurés, perdus dans un roman au propos lent et nostalgique. On a tout le temps l’impression que P. Claudel n’a pas osé aller jusqu’au bout de son propos, qu’au-delà de la poésie il aurait pu exister un souffle épique, une analyse plus approfondie des personnages mis en scène. On reste à côté d’eux sans jamais véritablement entrer en eux.

La fin ne nous apprend rien et laisse un goût d’inachevé.

Dommage.

Ce n’est en aucun cas un mauvais roman. Il souffre sans doute de la difficile comparaison avec les « Ames grises » (Prix Renaudot 2003, Grand Prix Littéraire des lectrices de Elle, consacré meilleur livre 2003 par le magazine Lire) et nous laissait attendre beaucoup mieux que ce qui nous est donné.

160 pages – publié par les Editions Stock

27.11.06

AURORE BOREALE – Dragon Jancar


« Glavina attend un nouveau travail, moi, Jaroslav, et Fédiatine, le Sauveur. Assez de raisons pour que nous soyons ensemble. »

Cette phrase tirée de la fin du dernier roman de Dragon Jancar résume assez bien l’esprit à la fois absurde et fataliste de la situation qui en sous-tend la trame.

Le héros débarque, un peu par hasard, aussi pour retrouver des souvenirs, dans une petite ville slovène, à mi chemin entre Vienne et Trieste, où il a passé son enfance. Au départ, il n’est censé y passer que quelques jours, le temps que son compagnon d’affaires, Jaroslav, plus ou moins chimiste, plus ou moins homme d’affaires, ne le rejoigne.

Rapidement, le personnage principal, féru de sciences occultes et d’anthropométrie, va se faire une place dans la bonne société locale et prendre, sans vraiment le vouloir ni rien faire pour l’éviter, l’épouse d’un des notables comme maîtresse. Un amour sans doute véritable va se construire pour s’évanouir bientôt par la force des tensions mentales qui habitent notre personnage.

De fil en aiguille, il va connaître une rapide descente aux enfers, logeant dans des bouges de plus en plus crasseux au fur et à mesure que ses moyens financiers disparaitront. Un enfer alimenté à grandes rasades d’alcool, un enfer peuplé de cauchemars et d’hallucinations et où réalité de l’instant présent et représentations délirantes alcooliques de la réalité se superposent. Jancar sait nous plonger avec un talent saisissant au cœur de cet esprit dérangé.

Le livre est peuplé d’énigmes ou de pistes. Qui est Jaroslav, existe-t-il vraiment et que lui est-il arrivé ? Pourquoi le personnage principal est-il pris systématiquement pour ce qu’il n’est pas ? En quoi en est-il responsable et que fait-il réellement pour assumer celui qu’il est au fond ? D’ailleurs qui est-il vraiment lui aussi et le sait-il ? Où s’arrête réalité objective et monde onirique ?

Le narrateur, car le livre est étonnamment écrit à la première personne, pour souligner plus encore toute distanciation, finira dans les bas-fonds de cette ville glauque et sinistre, enneigée et sale, aux côtés d’un ouvrier licencié et violent, Glavina, et d’un émigré russe sorte de Raspoutine annonciateur de la deuxième guerre mondiale imminente.

Car c’est là une des autres forces de Jancar que de jouer en permanence entre le passé, le présent (qui se confondent dans l’esprit du narrateur) et de l’avenir qui fera de cette ville coincée entre l’Autriche et l’Italie un enfer nazi.

La scène de l’aurore boréale, qui donne son titre à l’ouvrage, annonciatrice de la folie destructrice et collective qui va s’emparer du monde à l’aube de 1939 nous mène dans une sorte de transe à la frontière du religieux. Une scène superbe et bouleversante.

La désincarnation du temps, les flash-backs, la recherche hallucinée d’une boule bleue vue dans une improbable église au temps de son enfance et symbole, dans l’esprit hanté du narrateur, d’un monde en pleine implosion font de cet ouvrage un roman moderne majeur.

A lire impérativement pour la force de l’écriture et l’originalité du propos. Un livre aussi très slave et très fataliste. Un livre sans beaucoup d’espoir si ce n’est, peut-être, le refuge dans la folie.

292 pages – Publié par L’Esprit des Péninsules.

18.11.06

Les jouets vivants – Jean-Yves Cendrey

Dès le départ, Jean-Yves Cendrey nous fait plonger, sans respiration préalable, dans l’univers nauséabond, écœurant et sans repère d’une ferme, perdue au milieu de nulle part et où tout part à la dérive : le propriétaire, dont on comprend assez vite qu’il s’agit de l’auteur, les animaux qui se font exécuter, littéralement, parce que trop de mal-être doit s’exprimer, ce que l’on finit par comprendre après, ou le bâtiment qui part en quenouilles.

Puis se dessine l’ombre gigantesque du père dont l’heure des funérailles est arrivée. Une cérémonie à laquelle l’auteur refusera de se rendre, saisissant un faible prétexte qui se donne à lui, presque par hasard.

On devinera petit à petit que ce père fut odieux, pervers et con. Les comptes ne sont pas encore complètement réglés entre son fils, malgré lui, et ce père, haï.

De là, l’urgence d’une vie nouvelle s’imposera. Le choix de la bourgade de X, en pleine Normandie, du côté de Bayeux, qui se fera uniquement parce que le budget des jeunes acheteurs ne permettait pas d’autres fantaisies et que ce jour là, sous un rare soleil, la bourgade parut charmante. Tromperie sur la marchandise…

L’enfer va se révéler par petites touches, dans la maison acheté d’abord, puis celle bien plus grande, collective, comme une maladie honteuse, exposée à la face de tous.

Le livre de J.Y. Cendrey est d’une totale férocité. Il met à nu la loi du silence qui peut régner tout autour de nous même quand tout le monde sait mais que personne ne veut voir, dire ou agir.

Il faudra le courage, puisé dans l’enfance de l’auteur qui a su y trouver les ressources pour oser vivre, pour que celui-ci amène les victimes de l’Enseignant pédophile à révéler l’indicible, à accepter de dire puis de porter plainte et de témoigner à charge.

J.Y. Cendrey décrit par le détail, de façon obsessionnelle et journalistique, l’incroyable capacité de l’Education Nationale et des Institutions à nier les faits, malgré les preuves accablantes, à traiter les affaires de pédophilie, apparemment suffisamment nombreuses partout en France, par la mutation et les petits arrangements. Tout le monde couvre tout le monde. Surtout pas de vague. Surtout se taire ou se barrer. Un véritable scandale public.

L’auteur ne nous épargnera aucun détail scabreux dans cette affaire précise et se débat avec l’énergie révoltée du désespoir pour abattre toutes les barrières que l’Administration a su imposer jusque là et qui ont cloué le bec des rares parents qui avaient osé émettre l’hypothèse d’actes pédophiles. Un enseignant pédophile au casier vierge, si j’ose dire : vous n’y pensez pas !

Tout le monde se tait : les médecins, les psychologues, la police, l’académie, le ministère. Mais rien n’arrêtera Cendrey. Malgré les bourdes de la gendarmerie nationale, malgré la probable volonté de la justice régionale d’étouffer l’affaire, malgré le silence des autorités en général. Avec l’aide des victimes, l’appui de la presse, la justice va enfin se mettre en œuvre, le village en action.

Grâce à lui, qui va agir comme un catalysateur, ceux qui croyaient devoir se résigner à vie vont oser se dresser, s’organiser, lutter.

Le procès s’en suivra avec à la clé une lourde condamnation pénale.

La plume de Cendrey est féroce, parfois drôle, par dérision, sa volonté inébranlable. Il en sort un livre dur, crû, essentiel après lequel il est impossible de dire qu’on ne peut rien faire dans de telles situations. Un livre qui a le mérite d’exposer les droits et les devoirs de chacun et de nous mettre tous, en tant que citoyens, face à nos responsabilités.

Ne cherchez pas à le lire d’un trait. Il y a trop d’informations, trop d’horreur pour cela. Donnez-vous le temps d’accepter, d’écouter ou d’entendre selon vos capacités. Prenez et reposez, à votre rythme.

On pourrait lui reprocher certaines longueurs, certaines dérives incompréhensibles (la mort de « Sophie » par exemple) pour les non-initiés dont j’avoue faire partie.

Mais c’est aussi une catharsis pour Cendrey, un long atelier d’auto-écriture pour évacuer.

A prendre comme tel, avec ses qualités (sa documentation, sa profondeur, son sens de l’analyse) et ses défauts (la personnalisation permanente, le manque vraisemblable d’objectivité, de nombreuses longueurs). Pour comprendre et savoir. Pour voir ce qui nous est caché.

317 pages – publié par les Editions de l’Olivier

11.11.06

Octave avait 20 ans – Gaspard Koenig

Livre fascinant. Pas tant pour son contenu romanesque, à dire vrai relativement convenu, mais pour la richesse éclatante de sa langue. Dire que cet auteur n’a que 24 ans et que c’est son premier roman ! Il y a du Proust et du Yourcenar dans ces pages. C’est dire la qualité littéraire époustouflante.

Le sujet est en soi intéressant, original et constitue une entreprise bien téméraire pour un jeune auteur. Il s’agit de transposer un relativement obscur personnage secondaire, Octave, de « A la recherche du temps perdu » en ce début de XXIeme siècle et d’en faire la vedette lumineuse, attirante et détestable à la fois de cet exercice littéraire. Jeune Prince de la haute.

Une belle réussite qui écorne avec brio la futilité des vanités de la haute société tout en sachant reconnaître le panache et le style, même s’il se joue, presque mécaniquement, au mépris de toute forme d’humanité, de respect de l’autre. Le panache ne peut se concevoir pour Octave que comme faire plier ses proies à sa volonté, à son bon plaisir, à sa sexualité plutôt débridée.

Octave consomme les femmes comme d’autres les voitures, l’alcool ou pire encore. Il ne s’attache que rarement voyant dans ses conquêtes l’une des multiples illustrations de sa supériorité. Pourtant, la dernière page nous réservera une inattendue surprise après une brillantissime et hallucinante description d’une joute sexuelle sur la plage de Cabourg.

La sexualité tient un rôle prépondérant dans cet ouvrage. Elle aurait pu le faire sombrer dans la vulgarité. Au contraire, l’originalité du style, la qualité de la langue, la maîtrise grammaticale et syntaxique font de chacune de ces scènes crues et fortes en détails, un monument littéraire. La quinzaine de pages décrivant une scène de fellation vaut le détour littéraire. A inscrire au programme du BAC français !

Nous regretterons bien l’absence de linéarité dans le récit qui conduit à juxtaposer des chapitres dont on peine à trouver la cohérence. Reste que chaque chapitre est d’une totale originalité, d’une inventivité littéraire inconnue à notre époque riche en production mais bien pauvre en style, et nous donne envie de retourner à nos Bescherelle et conjugaisons.

A lire sans hésiter pour la qualité littéraire. J’en suis encore pantelant !

209 pages – Publié par Grasset

5.11.06

Korsakov – Eric Fottorino

Voici une formidable occasion de lire passionnément trois romans intégrés en un seul. Eric Fottorino réussit la prouesse de construire son émouvant récit en trois parties d’un style, d’un ton et d’un contenu fortement différenciés.

Pourtant, même si chacune de ces parties pourrait se lire en soi, indépendamment des autres, elles forment un tout cohérent et qui donne à comprendre les trois facettes structurantes de la personnalité du personnage principal.

François Ardanuit, dans la première partie, est avant tout un enfant intelligent et un peu turbulent, arrivé par la seule volonté de sa mère au sein d’une famille au passé glorieux mais au présent misérable. Une famille qui manque dramatiquement d’hommes, tous ayant fui ou se réfugiant peu à peu dans la fuite ultime qu’est la mort.

Dans cette première partie, l’on va peu à peu comprendre que François Ardanuit se met à la recherche de son père. A force de contresens (E. Fottorino joue brillamment avec les mots transformant leur phonétique en une justification du père absent et d’un enfant du hasard) et de circonstances aléatoires, François finira par hériter de deux pères : le premier, génétique, dont il trouvera enfin l’identité et qui porte le nom de MAMAN, ce qui ouvre la porte à d’infinies théories et possibilités et autant de confusions entre les rôles des pères et mères ; le second par adoption, lorsque sa mère, celle qu’il appelle, pour la différencier de son père génétique, sa « maman à moi » par opposition à son père MAMAN, décidera de convoler en justes noces.

Cette première partie nous jette dans l’esprit de ce gamin tourmenté et nous force à voir le monde des adultes d’une manière qui ne nous est pas naturelle. Le tout donne un résultat brillant, drôle, décalé même si l’image des adultes en sort profondément écornée.

Dans la deuxième partie, François est devenu Signorelli, du nom de son père d’adoption. La quarantaine venue, poussé par de multiples circonstances et par une femme dont il a douloureusement partagé la vie, il va chercher à concilier François Signorelli et François Maman.

Il n’est plus Ardanuit, encore Signorelli, tendanciellement Maman. Il ne sera bientôt plus rien de tout cela car les pistes viendront rapidement se brouiller par l’apparition de la terrible maladie de Korsakov. Les symptômes en sont la perte de la mémoire immédiate, la conservation d’une structuration verbale en apparence cohérente, la perte de plus en plus rapide de tout souvenir du passé et la construction de personnalités multiples rattachées à des bribes, réelles ou inconscientes, du passé. Autrement dit, la destruction de toute personnalité et une mort rapide mais qui a le mérite d’être indolore car le patient oublie tout instantanément.

Cette partie est la plus dense de l’ouvrage, la plus chargée en émotions. Elle livre une illustration vibrante et d’une rare précision des dégâts que la maladie peut imposer. Elle nous pose à nous tous l’inévitable question de savoir qui nous sommes vraiment et qui nous aimerions être.

Elle souligne également la difficulté à son tour d’être père et la douleur indicible de perdre son enfant, par réflexe imbécile, pour un mot de trop, pour n’avoir pas su se parler sur le ton juste ou avoir su prendre position quand il le fallait.

La troisième partie nous mène dans un récit onirique de la vie de Fosco Signorelli, le grand-père d’adoption. Car, de fait, c’est lui le père inconscient, rêvé, ardemment espéré de François. C’est à lui que s’attacheront les seuls souvenirs que Korsakov voudra bien épargner.

Un vrai personnage romanesque qui nous mène à un troisième chapitre dans la veine d’un Henri de Montherlant. Un style très différent, déroutant. Un style qui marque les ravages de la maladie et illustre la construction de la dernière personnalité de François.

Eric Fottorino est un véritable alchimiste des mots (des maux) et nous donne à lire un roman indispensable. A lire absolument pour la qualité littéraire, pour la puissance de la pensée, pour le souci clinique du détail et de l’analyse de la progression de la maladie. Un livre d’une rare densité qui touche à de multiples sujets : la famille, la recherche du père, la construction de sa personnalité, le sort des pieds-noirs, le choix d’en finir quand il en est encore temps...

Un livre assez long et magnifique.

475 pages – Publié chez Gallimard

29.10.06

Antonio Munoz Molina – Fenêtres de Manhattan

Autant j’avais été emballé par « L’Hiver à Lisbonne » (voir plus bas dans le blog), autant la dernière livrée d’Antonio Munoz Molina m’a laissé sur ma faim.

Un livre de rêverie sur Manhattan, sur ce que l’on peut y voir, en tant qu’étranger cherchant à s’y intégrer, à se faire accepter, sans se faire remarquer.

Pour ceux qui, comme moi, se sont souvent rendus à Big Apple, les anecdotes font mouche. Tout y est vrai à commencer par la description de l’arrivée à l’aéroport JFK où les fonctionnaires de l’immigration vous traitent avec un mépris et une brutalité qu’on ne rencontre même pas dans les pays où démocratie est à peine orthographiée. Cette séquence d’une quinzaine de pages est d’ailleurs brillante, fascinante de réalisme et résume parfaitement toute l’ambiguïté de la société américaine dont la tolérance n’est que pure façade, apparence dangereuse.

Mais, peu à peu, le livre s’enfonce dans une succession de scènes de la vie quotidienne au rythme où les souvenirs remontent à la surface, dans n’importe quel ordre, sans prévenir.

Des témoignages et détails sur ce qui s’est réellement passé sur place, le 11 septembre et dans les jours qui y ont suivi sont d’un réel intérêt. Ces pages retiennent d’ailleurs votre attention, vous réveillant d’un lent étourdissement.

Le reste fini par vous enfoncer dans une totale indigestion malgré la beauté de la langue et la qualité de la traduction. Pour ceux qui ne connaissent pas Manhattan et sa juxtaposition extrême de toutes les catégories et classes sociales que l’intolérante société américaine peut produire, ce livre peut être fort utile.

Pour les nostalgiques qui voudront y retrouver chaque micro-impression vécue sur place, aussi.

Pour tous les autres, vous risquez l’abandon en cours de route, laissés KO par l’amoncellement de petites scènes, la richesse des détails historiques, le dédale dans la ville qu’il vous faut connaître par cœur sinon vous vous y perdrez, comme dans ce livre.

Un livre qui aurait pu, du tenir en 150 pages au plus. Il y en a 348 d’une densité absolue, presque sans saut de section et absolument sans aucun dialogue si ce n’est celui intérieur, celui du cerveau qui se souvient. Beaucoup trop…

348 pages – Publié au Seuil

28.10.06

Terrasse – Marie Ferran

Le thème fondateur de ce livre est intéressant : comment survivre, en tant qu’homme, en tant que couple, à la mort accidentelle de son jeune enfant par noyade dans une poubelle sur la terrasse de l’appartement de ses parents ?

Dans son premier roman, Marie Ferran apporte malheureusement une réponse laborieuse et inutile. Le narrateur, père de la jeune victime et mari délaissé, va chercher refuge dans un plan social lui permettant de partir à l’aventure, au hasard, d’abord en Turquie puis en Grèce thessalonique. Il largue tout pour y revenir ensuite, si peu et s’enfuir à nouveau.

Il aurait pu y avoir des rencontres pittoresques (il y en a bien une avec un jeune américain vétéran de la guerre d’Irak mais si courte), des confrontations fondamentales à d’autres cultures aidant à mieux se comprendre, aidant à faire le deuil de cet enfant tant désiré par la mère et que le père avait fini par accepter de concevoir. Il aurait dû y avoir du souffle, des doutes.

Il y avait prétexte à sonder les âmes, à dépeindre les tensions dans le couple, à analyser en quoi cette dérive pouvait être destruction puis reconstruction en un autre plus ou moins sublimé.

Au lieu de tout cela, Marie Ferran nous assomme d’une inépuisable suite de pontifes sur la société moderne. Tout y passe du traitement des ordures, à la pollution, au ramassage des crottes de chien et j’en passe. Un café du commerce si peu littéraire.

De fait, le style n’est même pas intéressant. On se demande bien ce qui a pu conduire l’éditeur à accepter ce manuscrit. Messieurs du Seuil, vos commentaires seront les bienvenus !

Comme je me suis donné comme règle d’aller au bout de tout ouvrage que je blogue dans Cetalir, j’ai trouvé le courage d’ingurgiter ce ramassis de guide touristique à la sauce bobo.

A lire si vous n’avez vraiment, vraiment, rien d’autre à faire…..

153 pages – Publié au Seuil – Roman

Olivier Adam – Poids Léger

Une fois de plus Olivier Adam frappe fort. Ce petit livre est encore plus dense que les précédentes livrées de l’auteur. On y retrouve les thèmes récurrents déjà omniprésents dans « Falaises » et « Passer l’Hiver » (voir notes dans les archives de ce blog) : la banlieue sordide et sans espoir, le deuil impossible des parents, le refuge dans l’alcool et l’autodestruction.

Antoine, boxeur la nuit, croque-mort le jour fuit ses démons comme il peut. Il ne connaît pas la demi-mesure et hurle son mal être dans tous ses actes.

Enterrer ses clients est une souffrance quotidienne ; il ne sait prendre ses distances, la mort du père encore trop proche, la cicatrice pas refermée. D’ailleurs, comment peut-on vivre à organiser la souffrance des autres quand la sienne propre vous noue la gorge ?

Il boit comme il souffre : à ras bord, sans s’arrêter, dès qu’il n’en peut plus, c’est à dire quasiment à longueur de journée. Où commence la fuite, où débute le refuge ? Il est déjà trop tard.

L’alcool le détruit, fout en l’air son job qui l’insupporte, exacerbe sa violence qu’il ne sait pas exprimer par des mots ni maîtriser sur le ring. Il aurait pu devenir un bon boxeur avec Chef, son manager, brave type presque aussi paumé que lui mais à qui un reste de profonde humanité va lui permettre de se sauver, juste à temps.

Antoine aurait pu aimer Su. Mais même cela lui sera refusé, sa violence mal contenue entraînant celle du clan familial à la lisière de la mafia jaune du XIIIeme arrondissement.

Antoine s’enfonce encore plus, page après page. L’amour presque incestueux pour sa sœur Claire lui avait tenu la tête hors de l’eau. Jusqu’au mariage de celle-ci, ultime trahison, accélérateur de sa déchéance.

Comme souvent avec Olivier Adam, il n’y a aucun espoir, aucune rédemption. Une lente et inexorable descente aux fin fonds de la douleur psychologique et physique. Le mot « espoir » doit être banni du vocabulaire de notre jeune auteur…

Vous en sortez KO mais, tel un boxeur professionnel, vous en redemandez et remonterez sur le ring, pour la prochaine livrée de coups.

Très fort décidément !

141 pages – Publié au Seuil Collection Points.

23.10.06

Le principe de Frédelle – Agnès Desarthe

Agnès Desarthe nous livre une fois encore un bien étrange et déroutant ouvrage. Frédelle (et oui, c’est un prénom, pas un principe d’un obscur physicien oublié depuis mes cours de prépa…) est psychologue scolaire.

Enfin, théoriquement, officiellement du moins. Elle avoue avoir brillamment passé ses examens professionnels pour s’être empressée sitôt après de tout oublier.

Frédelle vit deux vies : celle, physique et réelle, essentiellement faite de malheurs. Un mari mort après quatre mois de mariage, une maison qui s’effondre, un boulot qui l’ennuie, une mère décédée, un père absent mais omniprésent, des amours tristes et sans lendemain, le froid, la faim tout simplement par oubli d’exister….

L’autre, la vraie, psychique. L’amour vécu, rejoué avec Dimitri, son ex-mari. La recherche permanente, fantasmatique du nouvel élu sans oser faire le premier pas, en refusant les avances bien tentantes. Les êtres chers, sa mère en particulier, qui s’adressent à elle depuis un autre monde pour lui lancer des messages aussi courts qu’incompréhensibles, prêtant à la plus totale confusion. La confrontation à un enfant apparemment précoce, perturbé, brillant mais aussi inadapté au monde qu’elle l’est elle-même. Un banquier au prénom héroïque de Victor Hugo dont le comportement est bien étrange. Ses amies d’enfance qui la poursuivent mais qui se défilent lorsque, tout à coup, elles surgissent pour de vrai, dans la vie réelle. Un père détestable et manipulateur dont elle soupçonne qu’il se joue d’elle. Bref, un étourdissement de personnages pittoresques, étranges et insaisissables.

Un livre très onirique où vous n’entrerez que si vous acceptez le parti-pris littéraire d’une divagation certaine : celle d’une âme en peine, paumée, qui vit au creux de ses souvenirs ou de ses projections fantasmatiques. Tout est impression, saut d’humeur et d’images sans transition. Le tout donne un livre très décousu, déroutant, assez poétique.

On n’aime ou pas. Pour ma part, plutôt pas, surtout du fait d’une fin trop convenue.

Donnez-moi votre avis car, franchement, il y a du bon mais ….

265 pages - Publié aux Editions de l’Olivier

15.10.06

Camille Laurens – Les Travaux d’Hercule

Camille Laurens – Les Travaux d’Hercule

J’ai bien failli refermer à la 50eme page ce roman publié en 1994, quelque peu rebuté par un style trop ostentatoirement littéraire, ciselé, nettoyant et coupant comme un scalpel mais qui tombe souvent à plat. C’eût été dommage. Comme quoi la persévérance peut se révéler payante.

Le mécanisme de ce roman policier virtuel moderne (allez, osons ce terme) est ma foi très élaboré. Le lecteur en sera pour ses frais car il lui faudra renoncer à tout comprendre.

Sans doute le rythme lent et déroutant du premier quart est-il voulu : c’est la dolence de la croisière pour se rendre dans une île méditerranéenne parce que Jacques et Hélène, mari et femme, lui détective privé, elle vaguement chanteuse, détestent l’avion, l’approche prudente d’un monde oriental pour enquêter sur on ne sait qui ni quoi, les indications données ayant été des plus succinctes.

Nos deux compères vont débarquer dans un microcosme français, bien isolé de la population « mogdoulienne » dont ils vont devoir percer les règles, les enjeux et les vilains secrets.

Une subtile enquête pour retrouver la trace d’une famille disparue se met alors en place. Les secrets, petits et grands, les trahisons, les passions vont peu à peu se révéler.

En fait, de multiples enquêtes s’entrecroisent. On en comprendra le dénouement et la raison qu’à la toute dernière page, dans un entrelacs brillant et inattendu. A chacun de nous d’imaginer qui est qui dans l’histoire et qui a mené qui …

Entretemps, la vérité se dévoilera par flashs, souvent de façon inexplicable. Là encore, ces révélations sont là pour mieux nous dérouter nous amener à nous interroger à qui joue à quoi et où l’auteur veut nous mener.

Car en fait, la vraie est question est là : mais où Camille Laurens veut-elle nous emmener ? Il n’y a pas une réponse mais celle que vous imaginerez en allant jusqu’au bout de ce finalement brillant ouvrage. On peut lui reprocher d’être trop écrit, sans doute, trop savant (les références botaniques et mythologiques frisent l’overdose), de vouloir faire mouche par des comparaisons littéraires trop souvent hasardeuses ou contestables mais parfois aussi fort réussies. Saluons la culture de l’auteur au passage. Au moins le style se différencie-t-il de la tendance minimaliste actuelle même s’il mériterait plus de sobriété et de simplicité.

Pardonnons ces maladresses et conservons l’ensemble pour finalement recommander la lecture de cette surprenante réalisation.

203 pages – Publié par P.O.L.

7.10.06

Quelques Adieux – Marie Laberge

Il est des livres qu’on lit jusqu’au bout parce qu’il le faut bien, qu’on ne va pas laisser tomber au bout de 100, puis 200, puis 300 pages. Heureusement qu’un long déplacement professionnel m’imposant six heures de train dans la même journée m’aidait à motiver ma persévérance….

Marie Laberge nous sert une histoire d’amour à la sauce québécoise. Rien que du classique, conventionnel, vu, écrit et déjà lu.

Un professeur d’université, marié à une belle femme, heureux et qui va céder, après les résistances d’usage à lui créditer certes, aux charmes d’une belle étudiante, intelligente mais quelque peu difficile à vivre.

Tous les schémas y passent : la révélation à travers une relation passionnelle d’une partie de sa personnalité, les ruptures à répétition, la difficulté de vivre à trois même si, dans le cas d’espèce, notre bonhomme est bien amoureux de ses deux femmes ce qui va le détruire d’ailleurs, psychologiquement comme physiquement.

Son épouse, modèle du genre, ne se doute de rien. Fin des 300 premières pages ou presque.

Restent environ 100 pages, enfin moins conventionnelles, plus fouillées au plan psychologique et où une étrange quête pour comprendre interviendra, une fois notre homme mort et enterré.

Amusant mais fastidieux si vous voulez perfectionner votre vocabulaire d’idiomes québécois.

Même pas intéressant littérairement autrement.

A réserver à celles et ceux qui se délectent des Arlequins en mieux écrit.

Désolé, mais j’ai bien précisé dès sa création que Cetalir était un blog d’humeur littéraire. Avec « Quelques adieux », j’ai franchement l’impression d’avoir été berné et je le dis ! Allez, je vous lance « quelques adieux », Marie… Sans rancune.

395 pages – publié aux éditions Anne Carrière

3.10.06

Antonio Munoz Molina – Fenêtres de Manhattan

Autant j’avais été emballé par « L’Hiver à Lisbonne » (voir plus bas dans le blog), autant la dernière livrée d’Antonio Munoz Molina m’a laissé sur ma faim.

Un livre de rêverie sur Manhattan, sur ce que l’on peut y voir, en tant qu’étranger cherchant à s’y intégrer, à se faire accepter, sans se faire remarquer.

Pour ceux qui, comme moi, se sont souvent rendus à Big Apple, les anecdotes font mouche. Tout y est vrai à commencer par la description de l’arrivée à l’aéroport JFK où les fonctionnaires de l’immigration vous traitent avec un mépris et une brutalité qu’on ne rencontre même pas dans les pays où démocratie est à peine orthographiée. Cette séquence d’une quinzaine de pages est d’ailleurs brillante, fascinante de réalisme et résume parfaitement toute l’ambiguïté de la société américaine dont la tolérance n’est que pure façade, apparence dangereuse.

Mais, peu à peu, le livre s’enfonce dans une succession de scènes de la vie quotidienne au rythme où les souvenirs remontent à la surface, dans n’importe quel ordre, sans prévenir.

Des témoignages et détails sur ce qui s’est réellement passé sur place, le 11 septembre et dans les jours qui y ont suivi sont d’un réel intérêt. Ces pages retiennent d’ailleurs votre attention, vous réveillant d’un lent étourdissement.

Le reste finit par vous enfoncer dans une totale indigestion malgré la beauté de la langue et la qualité de la traduction. Pour ceux qui ne connaissent pas Manhattan et sa juxtaposition extrême de toutes les catégories et classes sociales que l’intolérante société américaine peut produire, ce livre peut être fort utile.

Pour les nostalgiques qui voudront y retrouver chaque micro-impression vécue sur place, aussi.

Pour tous les autres, vous risquez l’abandon en cours de route, laissés KO par l’amoncellement de petites scènes, la richesse des détails historiques, le dédale dans la ville qu’il vous faut connaître par cœur sinon vous vous y perdrez, comme dans ce livre.

Un livre qui aurait pu, du tenir en 150 pages au plus. Il y en a 348 d’une densité absolue, presque sans saut de section et absolument sans aucun dialogue si ce n’est celui intérieur, celui du cerveau qui se souvient. Beaucoup trop…

348 pages – Publié au Seuil

30.9.06

Quand Google défie l'Europe - Jean-Noël Jeanneney

Mr Jeanneney, historien, président de la Très Grande Bibliothèque de France, ex Secrétaire d’Etat nous fait partager de façon vibrante et assez convaincante son analyse des conséquences de l’annonce faite par Google fin 2004 de leur volonté de numériser la totalité des ouvrages papier disponibles, en commençant par les Etats-Unis. Le projet est connu sous le nom de Google Print.

L’auteur explique brillamment en quoi cette annonce, au départ passée quasi inaperçue, peut durablement affecter notre vision et héritage culturels, en particulier en Europe, et laisser une place supplémentaire à une sournoise domination de nos amis états-uniens.

Il nous est expliqué en quoi cette démarche, fondamentalement anglo-saxonne, la perfide Albion ayant décidé de s’y joindre en partie, contribuera à renforcer la domination sur le net de la langue anglaise au mépris de toutes les autres langues et en quoi l’annonce faite par Google d’une traduction automatisée dans les principales langues a de quoi faire frémir quand on voit le résultat de la traduction en français de l’annonce Google Print faite par l’outil.

La démarche de Google est loin d’être innocente. Outre le fait qu’elle va permettre d’augmenter le déséquilibre entre les fonds bibliothécaires américains d’un côté et non américains de l’autre, elle cherche à asseoir une domination totale de Google comme moteur de recherche en balayant Yahoo, MSN et les quelques autres avec tous les risques de retour de bâton dus aux lois anti-trust US et européennes.

Du fait du modèle économique même de Google quant au référencement de liens commerciaux (les liens grisés en haut de page et ceux à droite qui apparaissent lorsque vous avez entré vos critères de recherche), seules les sociétés ayant les reins les plus solides financièrement pourront se faire référencer ne laissant aucune place aux autres, et en particulier, aux européennes. Les sociétés américaines ont de grandes chances de s’y tailler la part du lion.

Les mécanismes de numérisation étant a priori par scan en objet image et non par texte en format html, seuls des extraits courts pourront être consultés laissant l’internaute face à une surabondance d’informations inexploitable et le coupant de la vision globale indispensable à la compréhension du contexte où se situe le passage cité.

Mr Jeanneney attire notre attention sur les risques liés à une disparition éventuelle de Google et aux conséquences qu’elle aurait en matière de droit d’accès à l’information sans compter les garanties que Google compte offrir pour maintenir la pérennité de l’information ainsi numérisée.

L’auteur, dans un grand mouvement gaullien, invite l’Europe à réagir et à se donner les moyens de lancer son propre outil de recherche et de stockage d’information culturelle et scientifique pour faire contrepoids aux Etats-Unis et assurer la survie culturelle du vieux continent.

Un livre intelligent pour réfléchir aux impacts des globalisations y compris culturelles, fort en vogue dans les grands groupes (et je sais de quoi je parle pour y avoir participé professionnellement pendant ces 15 dernières années) et pour éveiller sa conscience sur les arrière-pensées commerciales et politiques qui animent un certain nombre d’éditeurs américains. A charge pour chacun de se déterminer en toute conscience.


111 pages – Publié aux éditions Mille et une nuits

23.9.06

Les Petits-Fils nègres de Vercingétorix – Alain Mabanckou

Un bien intriguant titre pour un bien étrange roman. Il est des livres qui nécessitent que l’on prenne le temps d’y entrer, dont le rythme lent s’accélère, tout à coup. Le dernier roman d’Alain Mabanckou, écrivain congolais vivant en Californie et récompensé en 1998 du Prix littéraire de l’Afrique Noire pour son livre « Bleu-Blanc-Rouge » demande patience et persévérance. Ce n’est qu’au bout de 200 pages que les êtres et les évènements se révéleront enfin, précipités qu’ils sont par des évènements qui les dépassent. Une lenteur voulue, qui permet de glisser peu à peu dans l'horreur, au fur et à mesure que les souvenirs jaillissent, que les fils de l'histoire s'assemblent.

D’ailleurs, est-ce vraiment un roman ? N’est-ce pas plutôt une version à peine romancée d’un de ces génocides qui ne disent pas leur nom et dont l’Afrique accouche si régulièrement sans que le monde occidental ne s’en émeuve particulièrement.

En tout cas, une belle histoire d’amitié entre deux femmes, Hortense et Christiane, que tout oppose a priori dans ce pays nommé « Vietongo ». L’une vient du Nord, l’autre du Sud, distant de plus de mille kilomètres. Même pays, fait de langues et cultures différentes, qu’un Président démocratiquement élu parvient, en apparence, à conserver uni. Ces deux femmes sont mariées à des hommes venus de l’autre bout du pays et constituent ce que nous appellerions ici des couples mixtes. Des couples qu’il a fallu imposer aux familles arc-boutées sur leur perception ancestrale de l’autre qui ne peut qu’être inférieur, primitif. Des couples récupérés par les autorités locales pour glorifier l’unité patriotique.

Jusqu’au moment où tout bascule et que l’ex président, Nordiste, vaincu cinq ans plus tôt aux élections, reprenne le pouvoir par les armes à l’équipe, Sudiste, élue. Rapidement, la chasse à l’autre camp est ouverte et tous les prétextes sont bons pour tuer, rabaisser, emprisonner ceux de l’autre partie du pays qui n’auraient pas eu la bonne idée de fuir.

Un génocide s’en suivra quand la milice, Sudiste de l’ex Premier Ministre qui profite de la non connaissance du peuple de l’histoire des colonisateurs français pour endosser l’habit glorieux du Vercingétorix de Gervovie recevra l’ordre de tuer et scalper tous les Nordistes se trouvant sur son chemin.

Les deux couples n’y résisteront pas et connaîtront, chacun à leur manière, une fin indigne et horrible. Le tout raconté, dans l’urgence, sur un cahier de notes rempli de nuit, à la lumière d’une bougie, par Hortense en fuite. Un cahier pour dire, pour laisser une trace, pour ne pas permettre de prétexter qu’on ne savait pas. Un cahier de mémoire, fait d’images plus ou moins fugaces, de souvenirs heureux ou douloureux, construit en rapides chapitres, souvent décousus, témoins de la façon dont la mémoire se manifeste. Une langue simple pour dire les joies et les peines d’une vie qui aurait pu être simple. Un livre qui frappe, en douceur, pour éveiller vos consciences.

Un livre à découvrir à partir du moment où vous acceptez d’en prendre le temps et de vous laisser porter par un récit lent et en apparence peu structuré, jusqu’à ce que la vérité jaillisse. Un ivre pour découvrir Alain Mabanckou, un auteur africain qui s'impose peu à peu dans le paysage littéraire d'expression française.

263 pages – Publié par Le Serpent à Plumes

Floraison sauvage – Aharon Appelfeld

Imaginez un instant que vous héritiez d’une pauvre masure, isolée de tout au sommet d’une colline, de quelques arpents de terre, d’une vache, d’un couple de chiens et surtout d’un dérisoire cimetière à entretenir, lieu saint de pèlerinage en souvenir du sacrifice du peuple d’Israel.

C’est ce qui arrive à Gad et Amalia, frère et sœur que la vie a, peu à peu dépossédé de tout : parents morts de maladie, frères et sœurs emportés par le typhus, magasin familial vendu pour rembourser les dettes, mariage et éducation impossibles.

A travers une langue d’une extrême sobriété, Aharaon Appelfeld bâtit une histoire faite de courts chapitres où rêverie, piété, renoncement, joies simples, duperie, hallucination se succèdent pour mieux faire fuir ces journées qui s’étirent sans fin. Une succession de pages savamment construites pour nous faire habiter les angoisses qui hantent Gad et Amalia.

Un lieu fréquenté, de moins en moins, par quelques improbables pieux pélerins sur de courtes périodes l’été. Un lieu où l’hiver n’en finit pas, rendant toute activité impossible, figeant le temps et ramassant les êtres sur eux-mêmes jusqu’à l’irréparable.

Un lieu vide de toute société. Un vide qu’il faut à tout prix combler. Par l’alcool, la slivovitz, l’alcool divin, dont la consommation, modérée puis débridée, aide à affronter la misère absolue.Puis la vodka qui abrutit quand la boisson tant convoitée vient à manquer. Boire à tout prix pour résister, pour tenir.

Un lieu qui vous met l’âme à nu et où l’abandon total oblige à chercher refuge dans la folie, l’ivresse, le désespoir, le travail abrutissant simplement pour donner un sens à ce qui n’en a plus ou presque.

Une prison qui révèle à l’amour, transcendé puis physique, brutalement quand la force du désir emporte tout, entre cet homme et cette femme pourtant frère et sœur mais parce que c’est la volonté de Dieu et que Lui seul pourra en juger.

Un livre sans reproche et sans espoir où tous les repères s’estompent un à un, au fur et à mesure que le temps passe et que l’isolement des êtres implique alternance entre exaltation et désespoir.

Une épreuve à traverser pour se dépouiller du peu qu’il restait, y compris de son âme, y compris de ses valeurs. Pour tomber dans le néant absolu tout en ayant affronté ses peurs infantiles et après s’être dit, enfin, ce qui était resté enfoui, par convenance et par peur.

Une lente descente aux enfers, d’une grande violence psychologique, inéluctable superbement illustrée par des dialogues aussi courts qu’hallucinés. Un livre poétique et essentiel, aussi pur que les sentiments de ces deux pauvres jeunes gens oubliés de la vie mais que la vie n’épargnera pas.

259 pages – Paru aux Editions de l’Olivier

La grande peur dans la montagne – Charles-Ferdinand Ramuz

Connaissez-vous Charles-Ferdinand Ramuz ? Pour ma part, j’avoue que si un proche ne m’en avait pas parlé, j’aurai sans doute passé le reste de mon existence dans l’ignorance de cet auteur suisse, d’expression française, de la fin du XIXe début du XXe siècle.

Il est vrai qu’il ne s’agit pas d’un écrivain majeur, loin s’en faut. J’avoue d’ailleurs que cette « Grande Peur dans la Montagne » m’a laissé sur ma faim. N’en déplaise à Monsieur Jacques Chessex, auteur d’une préface érudite mais que j’oserai prétendre surfaite. Pourtant, tous les ingrédients étaient là pour réaliser un roman fébrile, hallucinatoire, au sens propre, fantastique dans la lignée d’un Edgar Poe.

Une malédiction, vingt ans plus tôt sur une équipe de vachers partie dans les alpages qui connaîtra mort et infortune. Depuis, plus personne ne s’aventure sur cette herbe verte et grasse car « Il » guette. Le temps passant, les jeunes prenant le pouvoir municipal et nécessité faisant loi, voici qu’une gentille expédition va se mettre sur pieds pour mener le troupeau excédentaire du village paître en toute tranquillité. Fête et tradition populaire à l’encan.

Mais voilà, laissez enfermés sept hommes dissemblables dans un chalet au confort sommaire, en altitude, laissez les phobies agir, les vieilles peurs poindre et bientôt l’enfer apparaîtra, les volontés se déliteront, la panique règnera emportant tout, y compris le village, sur son passage. Un livre sur les ravages de l’hallucination et l’hystérie collectives où tout acte logique se dérobe à la volonté affirmée de voir la manifestation du Mal, la vengeance de la montagne qu’on a osé braver. Un livre sur la nécessité d’interpréter une série malencontreuse d’accidents par la puissance supérieure d’un Etre vaguement humanoïde.

Un livre où chaque séquence majeure est ponctuée par une couleur particulière de la montagne, rendue monstrueusement caractérielle. Un livre où bruits et silences ont pour rôle de prévenir le lecteur attentif de l’imminence d’une nouvelle catastrophe. Ce sont les plus belles pages de ce petit roman, sans doute possible.

UIn livre malheureusement desservi par une écriture quelque peu apathique, une lenteur consciemment voulue, celle qu’ont les pensées de ces rudes paysans à se former, mais qui à force de répétition finit par nous lasser. L’ennui guette vite y compris le lecteur.

Tous les ingrédients étaient pourtant là pour faire de ce livre une réussite mais la recette en fut gâchée… A quand la version relookée XXIe siècle ?

185 pages – Le Livre de Poche

16.9.06

Morituri - Yasmina Khadra

Morituri – Yasmina Khadra

« Saigné aux quatre veines, l’horizon accouche à la césarienne d’un jour qui, finalement, n’aura pas mérité sa peine. Je m’extirpe de mon plumard, complètement dévitalisé par un sommeil à l’affût du moindre friselis. Les temps sont durs : un malheur est si vite arrivé.»

C’est par une phrase d’une construction et d’une sophistication rares, immédiatement suivie de deux autres mêlant argot et mots du quotidien, dans un decrescendo littéraire pleinement conscient, que commence « Morituri ». On est tout de suite pris dans l’ambiance, happé par un style original qui appelle sans regret possible à en savoir plus.

« Morituri » est un amalgame brillant de lignes fulgurantes par la beauté de leur construction, toute faite de l’étrangeté des associations de mots, non de leur rareté, combinées à des passages orduriers afin de mieux vous clouer sur place. Un va et vient permanent entre le beau et le laid, l’intelligent et le bas, l’élévation de l’esprit et la turpitude terroriste, l’élégance d’un engagement honnête et désintéressé face à l’horreur des tueries aveugles. Un style houleux pour montrer une société qui bascule, qui ne sait plus à quoi se raccrocher, en perte de tout repère.

Un livre, sur fond de roman policier pour excuse, pour dire le mal profond qui mit l’Algérie à feu et à sang pendant les dix années les plus noires de son existence. On y traverse les ghettos où l’on se fait la guerre, par marionnettes interposées, les riches manipulant les pauvres, les pauvres tuant les encore plus pauvres pour rendre les riches encore plus riches, ne comprenant rien à ce scénario qui les dépasse.

Des mots crûs qui dévoilent les dessous du terrorisme et de la guerre civile, montrent sans concession la totale collusion entre le pouvoir civil, politique, économique et les leaders du terrorisme algérien. Une façon comme une autre de créer les conditions pour accaparer l’attention afin de mieux mener, en toute tranquillité et impunité, ses petites affaires et se bâtir, au frais de l’Etat et de la communauté internationale, des empires personnels inexpugnables. Rarement les coupables payent grâce à la corruption généralisée, tout le monde tenant tout le monde, souvent de façon sordide.

Il faut le courage, la foi, la loyauté désintéressée du commissaire Llob, double littéraire de Mohammed Moulessehoul, lui-même double, réel, de Yasmina Khadra, pour faire tomber quelques gros bonnets qui tirent les ficelles terroristes.

Des répliques aussi cyniques que l’attitude qu’elles condamnent, une descente aux enfers, au prix de vies amies, pour tenter de contenir l’horreur, de faire cesser les assassinats gratuits, ceux des gamins parce qu’ils vont à l’école, « et des filles que l’on décapite parce qu’il faut bien faire peur aux autres. »

Un livre à vif où un humour noir vous percute de façon récurrente pour vous propulser jusqu’à la prochaine station de l’horreur, histoire de savoir qu’on y a survécu, par dérision.

Pour comprendre pourquoi ces dix années de tuerie aveugle en Algérie, les mécanismes et les enjeux occultes. Un peu superficiel peut-être mais terrifiant, dévoilant juste ce qu’il faut d’ombre pour en frissonner d’horreur.

183 pages – Publié par Folio Policier

9.9.06

Le Grand Huit - Thierry Vimal

Rien à voir avec la fête foraine. Le Grand Huit c’est ce que vous éprouvez après avoir abusé du Panoramix ou du Playboy. Toujours pas compris ? Simple : le Grand Huit c’est l’expression utilisée dans le milieu de la défonce pour décrire la sensation d’aspiration, d’accélération, de vertige, de nausée et d’effroi éprouvée lors d’un trip violent après absorption de substances toxiques le plus souvent combinées. Une montée douce, une accélération violente, une descente qui n’en finit plus…Une image pour dire qu’une fois embarqué, il est impossible d’en sortir. On ne contrôle pas le bouton stop, c’est un autre qui décide pour vous et du moment et de la nature de l’arrêt, plus ou moins brutal. Souvent brutal.

Le livre de Thierry Vimal (voir ma note dans ce blog en août sur Huit Millimètres), on y entre par mégarde ou curiosité et on ne peut plus le lâcher. Il faut le consommer d’urgence, page après page, pour comprendre la spirale infernale qui se met en route quand on franchit le cap. D’abord des joints, puis de la coke, ensuite, très vite, de l’ecstasy. Les doses augmentent car le corps s’habituent. Le monde autour de soi est tellement merveilleux, tellement calme, les êtres tellement cools et souriants que le quotidien en devient insupportable. Il convient alors de se précipiter au plus vite dans le seul qui vaille la peine d’être vécu, celui des paradis artificiels. Alors les mélanges commencent, l’alcool fait son apparition pour décupler les effets, pour gérer l’entre deux prises, compenser les marchandises coupées ou frelatées. Avec un peu de chance, vous échapperez aux acides, et encore…

Un livre terrifiant, vécu de l’intérieur par un homme qui sait clairement de quoi il parle, terrifiant mais beau, terrifiant mais tentant comme tout ce que le monde la nuit met à votre portée, si facilement.

Un livre qui permet aux quadras comme moi de comprendre pourquoi nos enfants y passent, parfois, trop souvent, toujours ? Un reportage choc mais tendre, violent et rassurant puisqu’il témoigne qu’on peut en sortir, malgré tout. Différent sans doute après, mais vivant, réintégré, plus ou moins.

De superbes pages, dans leur jus, écrites avec les mots utilisés par ceux qui y sont, comme souvent avec Vimal, dans un style une fois de plus spécifique. Je pense à l’hallucinante description du super trip sur fond de techno dans ces boîtes branchées du côté de Nice, à ces soirées rave où tout circule, la musique à fond, la transe devenant la règle, à ses engueulades/fous rires.

Derrière la scène, les règles non écrites aussi, les liens étranges entre dealers et consommateurs, la connivence familiale, plus ou moins forte, la course au « minssc » (le fric), la fête permanente, les couples, leurs ruptures, leurs rabibochages. La violence verbale ou physique, oubliée sur le champ, tuée par l’abus de drogue, d’alcool et de Lexomil, pour se calmer en douceur. Le besoin incessant de parler de dire ce qu’on a éprouvé pour partager, pour exister, pour créer un lien social.

Un monde de folie, sous nos yeux, à nos portes, que Thierry Vimal nous décrie une fois de plus avec un extraordinaire brio.

A lire pour comprendre et parce qu’on est tout simplement captivé, immédiatement.

252 pages – publié aux Editions de l’Olivier

2.9.06

C'est la rentrée

Un peu bousculé professionnellement parlant en ce moment avec le lancement commercial d'une start-up dont j'ai la responsabilité, je n'ai pas eu beaucoup de temps pour poster de nouvelles notes.

Bon, c'est reparti. Un certain nombre sont rédigées et vont être publiées dans les prochains jours. Nous ouvrons le bal avec le dernier ouvrage de Michel Quint. Superbe.

A venir sous peu, Charles-Ferdinand Ramuz (vous m'épaterez si vous connaissez), Thierry Vimal encore (j'adore), Alain Mabanckou (auteur franco-congolais), Géraldine Maillet (frapadingue !), Yasmina Khadra (Morituri) et plein d'autres encore.

Bonne rentrée à toutes et à tous !

Merci pour vos mails, n'hésitez pas à poster des commentaires en ligne.

Bien cordialement,

L'espoir d'aimer en chemin - Michel Quint


Petit livre, grande émotion.

Surtout connu pour son best seller "Effroyables Jardins", Michel Quint nous délivre ici un livre intimiste et douloureux. Un livre sur la difficulté d'aimer et d'être aimé quand on a été abandonné par une mère qu'on vous a dit morte, élevé par un père dont vous découvrez, adulte, les puantes magouilles et que la femme que vous savez aimer, encore aujourd'hui, a disparu, subitement, sans laisser de trace.
Un livre de reconstruction, où un marionettiste accepte enfin de faire face à lui-même, en laissant parler ses deux marionettes au départ pour un enfant dans le coma, improbable tentative pour le ramener à la vie. Très vite une autothérapie, lente destruction d'un équilibre fragile et impulsion vers un avenir assumé et plus fort.
Un livre bouleversant que vous n'êtes pas prêt d'oublier.144 pages - publié par Editions Joelle Losfeld

24.8.06

Acouphènes - Géraldine Maillet

« Un moment pour nous où elle oublie qu’elle trop grosse, trop sourde, trop mère, trop endettée, trop seule. »

C’est sur cette phrase que Géraldine Maillet, mannequin qui n’en est plus à son premier essai littéraire, achève sa dernière livrée avec « Acouphènes ».

Une phrase qui résume bien l’atmosphère de l’ouvrage. Il existerait donc peut-être une faible lueur d’espoir, au moins temporaire et fugitive, derrière le monde sans pitié qu’habitent les personnages. Ce monde, c’est le nôtre. Le vôtre. Celui où les pères partent sans laisser d’adresse, où la maladie décime les êtres chers qui vous entourent jusqu’à vous en donner le dégoût, à vous foutre la honte, à se haïr pour l’amour qu’on en a encore, à fuir en haïssant ce que nous ne supportons plus, jusqu’à revenir, nous-mêmes, honteux de nos propres sentiments. Un monde sans repères.

Un monde où rien ne dure, surtout pas le bonheur. Un mode où tout et tous vous trompent sauf les saltimbanques en marge de la société et qui savent faire d’un rien un moment de plaisir, pour oublier, pour exister ensemble au moins.

Un monde où tout bascule : belle femme lâchée par la maladie (les acouphènes évoqués ici sous leur forme extrême provoquant une quasi-totale surdité), le boulot parce qu’exercer comme médecin généraliste en étant sourd est tout sauf une évidence, le confort et les beaux appartements parce qu’on ne peut plus les payer, les mecs qui défilent pour compenser et croire encore qu’on peut séduire, malgré toutes les évidences et l’obésité (les cortisones) que l’on refuse de voir, la confiance qu’on a envers ceux qui disent nous aimer. Un monde de totale instabilité, en sursis.

Ce livre n’est qu’un cri de douleur, une déchirante détresse d’une fille envers sa mère qui la voit déchoir, sans réel espoir d’arrêter cette spirale infernale. Une fille en prise avec l’adolescence qui exacerbe tout, en proie à ses doutes et qui règlent ses comptes, à distance, avec ce père qui est parti sans un mot, ce qu’elle a dû comprendre et gérer seule. Des mots simples, de tous les jours ; des phrases courtes qui vous hachent à la mitrailleuse. Des chapitres fugaces qui sont comme de faibles espaces à franchir, à toute allure, entre deux tranchées, avant de repartir au prochain assaut. Au mieux, vous vous en tirez jusqu’à la prochaine. Un livre de survie, bouleversant, terrible et où chaque génération se retrouvera. Vous y tomberez en quelques lignes sans pouvoir n’en plus sortir.

Un vrai talent et un style qui fait mouche à tous les coups.

165 pages – Edité par Flammarion

L'hiver à Lisbonne - Antonio Munoz Molina


Attention livre majeur.
Un superbe moyen de découvrir la richesse de la production littéraire espagnole contemporaine (je vous parlerai bientôt de Javier Marias, autre auteur de génie).
Ce livre est un cocktail unique de suspense policier qui ne dit pas son nom, de fan de jazz, de parcours initiatique dans le Madrid nocturne et d'une histoire d'amour un peu physique, beaucoup rêvée et idéalisée à distance et que le temps va s'amuser à transformer par touches indicibles et invisibles.
Une grande histoire d'amitié, une façon de voir l'autre à travers un récit indirect, de découvrir l'essentiel tout en laissant beaucoup de choses en suspens. Pas de certitudes, juste des probabilités. Comme dans la vie, vous fermerez ce livre en vous posant la question de savoir où et quand l'histoire a ou aurait pu bifurqué(r).
En outre, de superbes pages très écrites et magnifiquement traduites. Un livre dense comme ses personnages.
253 pages - publié au Seuil

20.8.06

Ouverture du blog


Après un crash monumental sous 20six (non, je ne vous recommande pas cet outil et ce en aucun cas), j'ai décidé d'ouvrir un nouveau blog sur blogger.

Celui-ci reprend l'ensemble des notes publiées jusqu'ici (heureusement sauvegardées sous Word) et que plus de 400 d'entre vous ont déjà découvert depuis 10 jours d'existence. L'ancien blog est encore consultable sur www.20six.fr/cetalir mais aucune nouvelle note n'y sera postée faute de fiabilité...

J'espère que vous trouverez du plaisir sur mon nouveau blog, avec une nouvelle mise en page, et surtout des idées ou des tentations pour découvrir des ouvrages qui en valent la peine.

Des petits commentaires, trackbacks etc... seront les bienvenus. Grâce à certains d'entre vous, je sais déjà que vous avez fait quelques découvertes et qu'elles vous ont plu; tant mieux !

Merci à vous par avance pour toute suggestion d'amélioration.

NB : pour mieux me connaître :

Je suis dirigeant d'entreprise dans le milieu informatique et ce depuis près de 25 ans. Malgré tout, je trouve le temps de lire entre 4 et 8 livres par mois et me propose de vous proposer un florilège de mes plus émouvantes découvertes.
Les blogs, j'en entends parler par mes enfants. Je croyais que c'était surtout un truc pour les ados en mal de reconnaissance jusqu'à ce que je découvre la richesse du contenu des blogs d'adultes. Donc, c'est décidé, je m'y mets à mon tour. Si vous voulez me référencer, je vous en remercie d'avance.
Thierry Collet

Bien cordialement

Fred Vargas - Dans les bois éternels


Vous allez sans doute me traiter d'inculte, mais jusqu'à hier, je ne connaissais pas Fred Vargas. Il faut dire que le polar n'est pas mon genre de prédilection.
Mais avec Vargas, on entre de plein pied dans un art porté au sommet : écriture effilée comme le tranchant d'une lame, intrigues serrées et entrecroisées, fausses pistes. Bref, tout pour que vous ne décrochiez pas du bouquin avant d'en connaître le dénouement. C'est bien cela qu'on attend d'un très bon policier, non ?
Aves sa dernière livrée "Dans les bois éternels", Vargas frise l'excellence. Le titre en soi comporte de multiples énigmes. De quels bois s'agit-il : ceux du bouquetin de la photo, ceux des bocages normands où une série d'accidents inexpliqués vont petit à petit révéler leur part de mystère, ceux des cervidés que l'on garde, entre autres (et tout est là comme trophées ?
L'intrigue est serrée et les personnages tous plus attachants les uns que les autres. Bien sûr, il y a le commissaire Adamsberg, flic de génie et quasi mystique, qui agit et pense d'instinct, touchant sous sa couche d'hypersensibilité.
Il y a le Nouveau dont les liens avec Adamsberg s'épaissiront et s'entrechevêtreront au fil des pages. Un type bizarre, traumatisé et qui s'exprime mystérieusement en alexandrins, pas mauvais d'ailleurs !
Il y a Ariane, le médecin légiste, qui pratique d'improbables mélanges à boire et a inventé une théorie sur les "dissociés" qui fait référence. Une femme dont toutes les facettes vous apparaîtront, peu à peu...
Danglart, l'adjoint, un érudit, alcoolique et père de cinq enfants. Un type qui traque les assassins mais qui a la nausée à la vue du moindre cadavre. Le côté terrien du Commissaire, celui qui fait le lien avec sa brigade.
Une bande de gentils alcoolos normands, plus vrais que nature, bien englués dans leur terre et leur gentilles habitudes, bientôt quelque peu chamboulées.
Bref, des portraits superbes, une langue de grande tenue, une imagination débridée, une érudition réelle qui forme la véritable épine dorsale du livre, des histoires qui se croisent et s'entrecroisent jusqu'à vous laisser pantelants.
Environ 3 heures de pur bonheur !
443 pages - Editions Chemins Nocturnes

19.8.06

Falaises - Olivier Adam


Jeune auteur français, Olivier Adam vous entraînera rapidement dans un malaise qui vous colle à la peau. Trop vrai pour ne pas refléter un mal de vivre profond, celui d'une société sans pitié pour les faibles ou les malchanceux.
Si vous êtes à la recherche de romans joyeux, passez votre chemin !
Si la réflexion, le parcours intérieur, l'impact profond que peut représenter le milieu familial, le doute sur les valeurs de la vie, les hésitations face à ses tentations extrêmistes (alcool, drogue, sexe) ne vous font pas peur, procurez-vous "Passer l'hiver" et surtout "Falaises", tous deux publiés aux Editions de l'Olivier.
Une langue essentielle, à nu comme la sensibilité de l'auteur. De nombreuses références littéraires pour les férus. Des livres qui se lisent comme des gouffres : vous y tombez, y êtes aspirés jusqu'à oublier votre environnement immédiat. Des livres choc, à découvrir d'urgence.
Des textes sans concession sur le monde dans lequel nous vivons. Un univers froid, sans pitié et où le hasard d'une rencontre peut tout faire basculer, vous marquer à vie.
Pour une bonne analyse de "Passer l'Hiver", rendez vous sur ce blog.

L'attentat - Yasmina Khadra


Vous n'arrivez pas à comprendre l'engrenage de la violence en ce moment au Liban? Vous fulminez, face à votre impuissance ?
"L'attentat", dernier roman du pseudo Yasmina Khadra, vous apportera des pistes explicatives. En tout cas, une lecture acérée de cette région du moyen-orient dont les familles se déchirent autour de frontières plus ou moins hermétiques.
Un livre circulaire où la scène initiale de cauchemar trouve une terrible répétition en toute fin d'ouvrage, concluant une impossible quête pour comprendre. Une répétition pour souligner le caractère récurrent, inarrétable de la violence.
Comprendre pourquoi une femme parfaitement intégrée à la société israélienne, épouse d'un chirurgien palestinien de premier plan et natularisé israélien part sans sexplication pour se faire sauter, kamikaze volontaire, au beau milieu d'une foule d'enfants.
Bien sûr, il n'y a pas de véritable explication. Seule la violence, aveugle, constante, redoutable. Celle qui vous laisse au mieux sans vie, souvent sans voix, perdu pour vous-même comme pour les autres.
Un livre qui illustre des formes modernes de racisme et d'ostracisme. Un livre sur le totalitarisme, sous quelque forme qu'il soit, islamique ou hébraïque. Un livre brillant, à lire absolument pour réfléchir, s'interroger, tenter de comprendre. Un livre extrême. Un des grands livres 2006.

Javier Marias - auteur, journaliste et anglophone


Si vous aimez la littérature facile, les phrases courtes et percutantes, cet auteur n'est pas pour vous.
Si vous appréciez une langue riche, qui prend son temps pour exprimer les tours et les détours de l'âme d'hommes modernes, vous serez fasciné par Javier Marias.
Javier Marias travaille tout particulièrement ses introductions qui donnent immédiatement le ton et vous plonge sans préambule au sein d'une histoire qui n'était pas vôtre, jusque là du moins. C'est un écrivain qui réfléchit en permanence sur ses oeuvres, allant jusqu'à les commenter, les analyser avec pertinence dans les préfaces qu'il rédige lui-même, sans pédanterie aucune. Bref, des oeuvres denses, intellectuelles comme on aurait dit dans les années 80...
Les personnages sont complexes, travaillés par des sentiments contradictoires, ballotés par des désirs plus ou moins inaccessibles. Quand ils leur cédent, ce sont des vies qui basculent, au sens littéral comme au figuré. Les dégâts sont irréversibles, définitifs et absolus.
Des livres essentiellement nocturnes car la nuit décape les personnalités, les débarrasse de leurs scories pour ne laisser que la vérité apparente.
Des livres où tout se passe dans la tête, où les décisions difficiles se prennent à l'aide du tabac, de l'alcool, de l'abus des plaisirs de la chair. Le tout sans voyeurisme aucun. Juste que l'on pousse le volet pour voir ce qui se passe vraiment, derrière.
Des livres où les apparences tombent, où la vérité apparaît dans toute sa violence potentielle.
Des livres qui demandent du temps à y consacrer pour se laisser découvrir, lentement.
Commencez par "L'homme sentimental", puis "Coeur si blanc" pour aborder un livre plus dense "Demain dans la bataille pense à moi".

Lune de loups - Julio Llamazares


Ce premier roman de Julio LLamazares, auteur et journaliste madrilène, nous plonge au coeur de la résistance qu'opposa vainement la jeunesse ibérique face au franquisme.
Quatre jeunes villageois décident de prendre le maquis et de procéder par raids désespérés pour libérer leur village du joug militaire fasciste. Comment se battre efficacement quand on est en nombre inférieur ? Comment survivre quand tout ravitaillement est impossible ? Comment remercier celles et ceux qui acceptent de vous aider ? Comment trouver l'énergie de poursuivre quand tous autour de vous tombent ? Comment rire quand l'humour et l'amitié sont vos seuls recours ?
Un livre aux scènes hallucinantes mais aussi empreintes parfois d'une magnifique poésie. Vous serez marqué par la détermination dont fait preuve le jeune héros pour visiter son père qui vient de décéder, au nez et à la barbe de la garde civile.
Vous lirez hébétés le passage de la prise de la grange et la façon dont les deux amants décideront de leur sort. Vous rêverez à la contemplation de la scène du fauchage au clair de lune en contrepartie d'une assistance apportée.
Vous vous terrerez dans l'anfractuosité lorsque les balles siffleront.
Vous souffrirez lors des longues marches pour sauver votre peau.
Un beau roman, reposant sur des scènes réelles et historiques, passionnées et passionnantes, qui vous permettra de mieux comprendre ces quatre années martyr et qui ont fait de l'ordre de quatre cent mille victimes civiles. Un court récit que vous dévorerez d'une traite en une heure environ.
A lire au plus vite !

7 millimètres - Thierry Vimal


S'il est des jeunes auteurs qu'il faut encourager, Thierry Vimal en fait définitivement partie.
"7 millimètres" est un pur moment de bonheur. Antoine, trentenaire un brin en marge de la société, ex drogué, ex alcoolique, ceinture noire d'aikido va découvrir juste avant sa compagne Sophie, qu'elle est enceinte.
S'en suivent 9 mois de "couvade", c'est à dire de transfert psychologique et physique de la maternité dans son propre corps. Assurément plus dur d'accoucher symboliquement en tant que père.
7 millimètres, c'est la taille de l'embryon d'après ce que le Net va lui apprendre au premier stade de ses recherches. Il faut dire que la toile est un formidable outil pour se renseigner mais aussi, et surtout du point de vue inconscient d'Antoine, pour projeter ses angoisses, se renseigner sur les plus improbables maladies, malformations, raisons qui feraient que la m(p)aternité pourrait mal tourner.
Il faut dire qu'Antoine est le type parfait du père au foyer. Enfin futur père. Le foyer, il assume. La paternité affectivement oui, psychosommatiquement non ! Attention les dégâts sur lui et autour de lui. Heureusement c'est un brave garçon...
Dans ce livre décapant d'humour, au ton décalé et souvent gentiment acide, Thierry Vimal règle ses comptes avec les codes en vigueur et la surprotection dont font preuve les futures mères dans notre société occidentale. Laurence Pernoud en prend pour son grade. Et pourtant, c'est dur d'assumer sa paternité et tout le monde semble gentiment ignorer sa souffrance à lui.
Alors rien de tel que de tomber véritablement malade, post partum, histoire de prouver que l'accouchement est bien une épreuve physique et symbolique pour un père, celui tout simplement du passage du monde où l'on tâtonne, par touches successives en cherchant à se comprendre soi-même au travers des épreuves qui frisent l'auto-destruction, à celui de l'adulte responsable.
Un auteur résolument moderne, drôle, sympathique et qui vous réjouira. Evitez de le lire en public: on vous regardera bizarrement lorsque vous éclaterez de rire (en gros, une fois toutes les trois à cinq pages !).
Bravo à vous Thierry Vimal.
188 pages - publié aux Editions de l'Olivier

Le Cahier Bleu - Michel Tremblay


Si vous ne connaissez pas la littérature québécoise, voici un auteur contemporain prolifique à recommander. Vous plongerez dans cette oeuvre intimiste, écrite à la première personne, dans le coeur du Montréal de la nuit, ceux des marginaux, des laissés pour compte. Vous ferez la découverte de personnages aussi inattendus qu'attachants (travestis, prostituées, danseuses de cabarets, serveuses de bar...), dans une langue riche et drôle mélant le français traditionnel, les truculentes expressions québécoises et les inévitables mots anglo-saxons. Vous y comprendrez ce que vivre avec un maniaco-dépressif peut signifier, avec ses phases d'exaltation et de dépressions les plus profondes, y découvrirez les limites d'un amour improbable le tout dans un profond respect des particularités. Un livre trés analytique, qui marque écrit en 6 mois par un des auteurs les plus féconds du Canada français. 313 pages, publié chez Actes Sud.

Manta Corridor - Dominique Sylvain


Pourtant, je ne peux pas dire que je sois un fan de polars. Dominique Sylvain, prix des Lectrices ELLE avec Passage du Désir, est un maître du genre. Style moderne, intrigue située dans les quartiers populaires de PARIS, un été caniculaire, des parcours dans les petites rues et les galeries de metro, en péniches aussi sur la Seine. Pas du genre bateau-mouche, ou alors tueuses les mouches.
Des personnages hauts en couleur (une coiffeuse africaine qui invente des proverbes sénégalais pour exprimer ses sentiments, une ex commissaire à la retraite, sa comparse une effeuilleuse américaine qui bute joliment sur notre langue, une série de personnages secondaires attachants ou redoutables, efficacement campés en quelques traits acérés), des crimes en série dont le lien n'apparaîtra que tout à la fin, histoire de bien vous tenir en haleine.
Si vous aimez les rebondissements inattendus, une langue qui percute aussi rapidement et profondément qu'un calibre 9 et que vous voulez passer 3 heures agréables sans vous prendre la tête, ce livre est fait pour vous. Il vous réconciliera avec un genre à part entière et que l'auteur porte haut.
A lire sans attendre !
257 pages - publié chez Chemins Nocturnes.

John Dos Passos - Rossinante reprend la route


La jaquette disait "figure mythique des lettres américaines".
A mon avis, ce n'est pas grâce à ce bouquin, décousu, sans queue ni tête, aggloméré de courtes histoises qui s'entrecroisent au hasard des chapitres. Au moins, cela se lit vite : on ne perd pas trop son temps.
Bref, je n'ai pas aimé !
Si vous êtes d'un avis contraire, je serai ravi de comprendre pourquoi. Dans la vie, c'est en apprenant des autres que l'on progresse, non ?

255 pages - Publié par Grasset

Gaëtan Soucy - un Québécois à découvrir d'urgence


Encore un québécois, me direz-vous.
Certes, mais si je vous en parle, c'est qu'il vaut le détour, tant par la truculence de sa langue, sa capacité à inventer des mots qui sonnent si vrai qu'on a envie d'en forcer l'entrée au Robert 2007, son imaginaire délirant.
Pour vous projeter dans le New York livré aux mains des "démolisseurs", ceux en charge de raser les quartiers pauvres pour les livrer aux mains des promoteurs mafieux des années 20, faire la connaissance d'un gentil débile, propriétaire d'une grenouille qui chante et danse des scènes de music-hall, ami des fous et des indigents et dont vous comprendrez à la fin pourquoi il refuse de se déshabiller quelles que soient les circonstances, précipitez-vous sur Music Hall. Une oeuvre époustouflante, incroyable, unique. L'imagination et le délire n'ont aucune limite. Vous en sortirez remué malgré les au moins 500 pages qu'il vous aura fallu ingérer (comme c'est captivant, bloquez vos soirées !).
Dans un style plus intimiste, quoique franchement sordide, pour comprendre en quoi l'isolement imposé par un père à ses enfants peut leur faire perdre toute notion y compris celle de leur propre identité et réalité, courrez toutes affaires cessantes lire "La petite fille qui aimait trop les allumettes" (Seuil). Petit livre de 150 pages environ (désolé, je parle de mémoire et n'ai pas le livre sous les yeux) que vous aurez avalé en moins de deux heures. Vous le refermerez pantelant, bouleversé et en ayant aussi beaucoup ri de la spontanéité de cette petite fille qui ne sait trop pourquoi la vie a classé les femmes en deux catégories : celle des putes et celle des saintes vierges. Un livre rare.
Toujours à l'affût de personnages à part, postés à la limite extrême de la folie, vivant en apparence le monde réel mais projetant en permanence sur celui-ci leur pathologie intériorisée, plus ou moins sommatisée, faites un tour par un livre moins majeur quoique tout aussi original. L'acquittement, édité au Seuil.Vous l'aurez compris, Gaëtan Soucy est un grand écrivain. Un de ceux qui marqueront la littérature francophone de la fin du 20eme siècle et du début du 21eme. J'en fais le pari.

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L'ombre du vent - Carlos Luis Zafon

Magnifique roman espagnol (et oui que voulez-vous, j'ai mis 40 ans pour découvrir la littérature ibérique mais je me rattrappe car la qualité en est remarquable).

Une aventure haletante dans Barcelone, la nuit, hantée par d'improbables personnages.

Pour en savoir plus sur ce livre, cliquez ici

Marie-Claire Blais - Augustino et le choeur de la destruction


De retour de trois jours d'escapade dans la Vienne (superbe si vous ne connaissez pas), je ne résiste pas à la tentation de vous donner mon sentiment plus que partagé sur cette nouvelle livrée d'une auteur québécoise (je vous promets ne pas avoir d'obssession canadienne, pure coïncidence sur mes plus récentes lectures).

Avez-vous jamais essayé de venir à bout d'une seule phrase longue de 302 pages ? Pour ma part, non jusqu'alors.Déroutant car seule la ponctuation vous permet de donner le rythme. La pensée fuse, on aboutit rapidement sur des idées éloignées de ce qui était lu 20 lignes plus haut, un peu comme dans une discussion décousue ou une idée en entraîne une autre.

J'avoue m'être assoupi trois fois dans les 50 premières pages. Si vous aimez le bizarre et ce qui laisse un goût d'amère incompréhension, à vous. Sinon, passez votre chemin !

302 pages - Publié par le Seuil