23.9.06

Floraison sauvage – Aharon Appelfeld

Imaginez un instant que vous héritiez d’une pauvre masure, isolée de tout au sommet d’une colline, de quelques arpents de terre, d’une vache, d’un couple de chiens et surtout d’un dérisoire cimetière à entretenir, lieu saint de pèlerinage en souvenir du sacrifice du peuple d’Israel.

C’est ce qui arrive à Gad et Amalia, frère et sœur que la vie a, peu à peu dépossédé de tout : parents morts de maladie, frères et sœurs emportés par le typhus, magasin familial vendu pour rembourser les dettes, mariage et éducation impossibles.

A travers une langue d’une extrême sobriété, Aharaon Appelfeld bâtit une histoire faite de courts chapitres où rêverie, piété, renoncement, joies simples, duperie, hallucination se succèdent pour mieux faire fuir ces journées qui s’étirent sans fin. Une succession de pages savamment construites pour nous faire habiter les angoisses qui hantent Gad et Amalia.

Un lieu fréquenté, de moins en moins, par quelques improbables pieux pélerins sur de courtes périodes l’été. Un lieu où l’hiver n’en finit pas, rendant toute activité impossible, figeant le temps et ramassant les êtres sur eux-mêmes jusqu’à l’irréparable.

Un lieu vide de toute société. Un vide qu’il faut à tout prix combler. Par l’alcool, la slivovitz, l’alcool divin, dont la consommation, modérée puis débridée, aide à affronter la misère absolue.Puis la vodka qui abrutit quand la boisson tant convoitée vient à manquer. Boire à tout prix pour résister, pour tenir.

Un lieu qui vous met l’âme à nu et où l’abandon total oblige à chercher refuge dans la folie, l’ivresse, le désespoir, le travail abrutissant simplement pour donner un sens à ce qui n’en a plus ou presque.

Une prison qui révèle à l’amour, transcendé puis physique, brutalement quand la force du désir emporte tout, entre cet homme et cette femme pourtant frère et sœur mais parce que c’est la volonté de Dieu et que Lui seul pourra en juger.

Un livre sans reproche et sans espoir où tous les repères s’estompent un à un, au fur et à mesure que le temps passe et que l’isolement des êtres implique alternance entre exaltation et désespoir.

Une épreuve à traverser pour se dépouiller du peu qu’il restait, y compris de son âme, y compris de ses valeurs. Pour tomber dans le néant absolu tout en ayant affronté ses peurs infantiles et après s’être dit, enfin, ce qui était resté enfoui, par convenance et par peur.

Une lente descente aux enfers, d’une grande violence psychologique, inéluctable superbement illustrée par des dialogues aussi courts qu’hallucinés. Un livre poétique et essentiel, aussi pur que les sentiments de ces deux pauvres jeunes gens oubliés de la vie mais que la vie n’épargnera pas.

259 pages – Paru aux Editions de l’Olivier

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