23.9.06

Les Petits-Fils nègres de Vercingétorix – Alain Mabanckou

Un bien intriguant titre pour un bien étrange roman. Il est des livres qui nécessitent que l’on prenne le temps d’y entrer, dont le rythme lent s’accélère, tout à coup. Le dernier roman d’Alain Mabanckou, écrivain congolais vivant en Californie et récompensé en 1998 du Prix littéraire de l’Afrique Noire pour son livre « Bleu-Blanc-Rouge » demande patience et persévérance. Ce n’est qu’au bout de 200 pages que les êtres et les évènements se révéleront enfin, précipités qu’ils sont par des évènements qui les dépassent. Une lenteur voulue, qui permet de glisser peu à peu dans l'horreur, au fur et à mesure que les souvenirs jaillissent, que les fils de l'histoire s'assemblent.

D’ailleurs, est-ce vraiment un roman ? N’est-ce pas plutôt une version à peine romancée d’un de ces génocides qui ne disent pas leur nom et dont l’Afrique accouche si régulièrement sans que le monde occidental ne s’en émeuve particulièrement.

En tout cas, une belle histoire d’amitié entre deux femmes, Hortense et Christiane, que tout oppose a priori dans ce pays nommé « Vietongo ». L’une vient du Nord, l’autre du Sud, distant de plus de mille kilomètres. Même pays, fait de langues et cultures différentes, qu’un Président démocratiquement élu parvient, en apparence, à conserver uni. Ces deux femmes sont mariées à des hommes venus de l’autre bout du pays et constituent ce que nous appellerions ici des couples mixtes. Des couples qu’il a fallu imposer aux familles arc-boutées sur leur perception ancestrale de l’autre qui ne peut qu’être inférieur, primitif. Des couples récupérés par les autorités locales pour glorifier l’unité patriotique.

Jusqu’au moment où tout bascule et que l’ex président, Nordiste, vaincu cinq ans plus tôt aux élections, reprenne le pouvoir par les armes à l’équipe, Sudiste, élue. Rapidement, la chasse à l’autre camp est ouverte et tous les prétextes sont bons pour tuer, rabaisser, emprisonner ceux de l’autre partie du pays qui n’auraient pas eu la bonne idée de fuir.

Un génocide s’en suivra quand la milice, Sudiste de l’ex Premier Ministre qui profite de la non connaissance du peuple de l’histoire des colonisateurs français pour endosser l’habit glorieux du Vercingétorix de Gervovie recevra l’ordre de tuer et scalper tous les Nordistes se trouvant sur son chemin.

Les deux couples n’y résisteront pas et connaîtront, chacun à leur manière, une fin indigne et horrible. Le tout raconté, dans l’urgence, sur un cahier de notes rempli de nuit, à la lumière d’une bougie, par Hortense en fuite. Un cahier pour dire, pour laisser une trace, pour ne pas permettre de prétexter qu’on ne savait pas. Un cahier de mémoire, fait d’images plus ou moins fugaces, de souvenirs heureux ou douloureux, construit en rapides chapitres, souvent décousus, témoins de la façon dont la mémoire se manifeste. Une langue simple pour dire les joies et les peines d’une vie qui aurait pu être simple. Un livre qui frappe, en douceur, pour éveiller vos consciences.

Un livre à découvrir à partir du moment où vous acceptez d’en prendre le temps et de vous laisser porter par un récit lent et en apparence peu structuré, jusqu’à ce que la vérité jaillisse. Un ivre pour découvrir Alain Mabanckou, un auteur africain qui s'impose peu à peu dans le paysage littéraire d'expression française.

263 pages – Publié par Le Serpent à Plumes

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