29.10.06

Antonio Munoz Molina – Fenêtres de Manhattan

Autant j’avais été emballé par « L’Hiver à Lisbonne » (voir plus bas dans le blog), autant la dernière livrée d’Antonio Munoz Molina m’a laissé sur ma faim.

Un livre de rêverie sur Manhattan, sur ce que l’on peut y voir, en tant qu’étranger cherchant à s’y intégrer, à se faire accepter, sans se faire remarquer.

Pour ceux qui, comme moi, se sont souvent rendus à Big Apple, les anecdotes font mouche. Tout y est vrai à commencer par la description de l’arrivée à l’aéroport JFK où les fonctionnaires de l’immigration vous traitent avec un mépris et une brutalité qu’on ne rencontre même pas dans les pays où démocratie est à peine orthographiée. Cette séquence d’une quinzaine de pages est d’ailleurs brillante, fascinante de réalisme et résume parfaitement toute l’ambiguïté de la société américaine dont la tolérance n’est que pure façade, apparence dangereuse.

Mais, peu à peu, le livre s’enfonce dans une succession de scènes de la vie quotidienne au rythme où les souvenirs remontent à la surface, dans n’importe quel ordre, sans prévenir.

Des témoignages et détails sur ce qui s’est réellement passé sur place, le 11 septembre et dans les jours qui y ont suivi sont d’un réel intérêt. Ces pages retiennent d’ailleurs votre attention, vous réveillant d’un lent étourdissement.

Le reste fini par vous enfoncer dans une totale indigestion malgré la beauté de la langue et la qualité de la traduction. Pour ceux qui ne connaissent pas Manhattan et sa juxtaposition extrême de toutes les catégories et classes sociales que l’intolérante société américaine peut produire, ce livre peut être fort utile.

Pour les nostalgiques qui voudront y retrouver chaque micro-impression vécue sur place, aussi.

Pour tous les autres, vous risquez l’abandon en cours de route, laissés KO par l’amoncellement de petites scènes, la richesse des détails historiques, le dédale dans la ville qu’il vous faut connaître par cœur sinon vous vous y perdrez, comme dans ce livre.

Un livre qui aurait pu, du tenir en 150 pages au plus. Il y en a 348 d’une densité absolue, presque sans saut de section et absolument sans aucun dialogue si ce n’est celui intérieur, celui du cerveau qui se souvient. Beaucoup trop…

348 pages – Publié au Seuil

28.10.06

Terrasse – Marie Ferran

Le thème fondateur de ce livre est intéressant : comment survivre, en tant qu’homme, en tant que couple, à la mort accidentelle de son jeune enfant par noyade dans une poubelle sur la terrasse de l’appartement de ses parents ?

Dans son premier roman, Marie Ferran apporte malheureusement une réponse laborieuse et inutile. Le narrateur, père de la jeune victime et mari délaissé, va chercher refuge dans un plan social lui permettant de partir à l’aventure, au hasard, d’abord en Turquie puis en Grèce thessalonique. Il largue tout pour y revenir ensuite, si peu et s’enfuir à nouveau.

Il aurait pu y avoir des rencontres pittoresques (il y en a bien une avec un jeune américain vétéran de la guerre d’Irak mais si courte), des confrontations fondamentales à d’autres cultures aidant à mieux se comprendre, aidant à faire le deuil de cet enfant tant désiré par la mère et que le père avait fini par accepter de concevoir. Il aurait dû y avoir du souffle, des doutes.

Il y avait prétexte à sonder les âmes, à dépeindre les tensions dans le couple, à analyser en quoi cette dérive pouvait être destruction puis reconstruction en un autre plus ou moins sublimé.

Au lieu de tout cela, Marie Ferran nous assomme d’une inépuisable suite de pontifes sur la société moderne. Tout y passe du traitement des ordures, à la pollution, au ramassage des crottes de chien et j’en passe. Un café du commerce si peu littéraire.

De fait, le style n’est même pas intéressant. On se demande bien ce qui a pu conduire l’éditeur à accepter ce manuscrit. Messieurs du Seuil, vos commentaires seront les bienvenus !

Comme je me suis donné comme règle d’aller au bout de tout ouvrage que je blogue dans Cetalir, j’ai trouvé le courage d’ingurgiter ce ramassis de guide touristique à la sauce bobo.

A lire si vous n’avez vraiment, vraiment, rien d’autre à faire…..

153 pages – Publié au Seuil – Roman

Olivier Adam – Poids Léger

Une fois de plus Olivier Adam frappe fort. Ce petit livre est encore plus dense que les précédentes livrées de l’auteur. On y retrouve les thèmes récurrents déjà omniprésents dans « Falaises » et « Passer l’Hiver » (voir notes dans les archives de ce blog) : la banlieue sordide et sans espoir, le deuil impossible des parents, le refuge dans l’alcool et l’autodestruction.

Antoine, boxeur la nuit, croque-mort le jour fuit ses démons comme il peut. Il ne connaît pas la demi-mesure et hurle son mal être dans tous ses actes.

Enterrer ses clients est une souffrance quotidienne ; il ne sait prendre ses distances, la mort du père encore trop proche, la cicatrice pas refermée. D’ailleurs, comment peut-on vivre à organiser la souffrance des autres quand la sienne propre vous noue la gorge ?

Il boit comme il souffre : à ras bord, sans s’arrêter, dès qu’il n’en peut plus, c’est à dire quasiment à longueur de journée. Où commence la fuite, où débute le refuge ? Il est déjà trop tard.

L’alcool le détruit, fout en l’air son job qui l’insupporte, exacerbe sa violence qu’il ne sait pas exprimer par des mots ni maîtriser sur le ring. Il aurait pu devenir un bon boxeur avec Chef, son manager, brave type presque aussi paumé que lui mais à qui un reste de profonde humanité va lui permettre de se sauver, juste à temps.

Antoine aurait pu aimer Su. Mais même cela lui sera refusé, sa violence mal contenue entraînant celle du clan familial à la lisière de la mafia jaune du XIIIeme arrondissement.

Antoine s’enfonce encore plus, page après page. L’amour presque incestueux pour sa sœur Claire lui avait tenu la tête hors de l’eau. Jusqu’au mariage de celle-ci, ultime trahison, accélérateur de sa déchéance.

Comme souvent avec Olivier Adam, il n’y a aucun espoir, aucune rédemption. Une lente et inexorable descente aux fin fonds de la douleur psychologique et physique. Le mot « espoir » doit être banni du vocabulaire de notre jeune auteur…

Vous en sortez KO mais, tel un boxeur professionnel, vous en redemandez et remonterez sur le ring, pour la prochaine livrée de coups.

Très fort décidément !

141 pages – Publié au Seuil Collection Points.

23.10.06

Le principe de Frédelle – Agnès Desarthe

Agnès Desarthe nous livre une fois encore un bien étrange et déroutant ouvrage. Frédelle (et oui, c’est un prénom, pas un principe d’un obscur physicien oublié depuis mes cours de prépa…) est psychologue scolaire.

Enfin, théoriquement, officiellement du moins. Elle avoue avoir brillamment passé ses examens professionnels pour s’être empressée sitôt après de tout oublier.

Frédelle vit deux vies : celle, physique et réelle, essentiellement faite de malheurs. Un mari mort après quatre mois de mariage, une maison qui s’effondre, un boulot qui l’ennuie, une mère décédée, un père absent mais omniprésent, des amours tristes et sans lendemain, le froid, la faim tout simplement par oubli d’exister….

L’autre, la vraie, psychique. L’amour vécu, rejoué avec Dimitri, son ex-mari. La recherche permanente, fantasmatique du nouvel élu sans oser faire le premier pas, en refusant les avances bien tentantes. Les êtres chers, sa mère en particulier, qui s’adressent à elle depuis un autre monde pour lui lancer des messages aussi courts qu’incompréhensibles, prêtant à la plus totale confusion. La confrontation à un enfant apparemment précoce, perturbé, brillant mais aussi inadapté au monde qu’elle l’est elle-même. Un banquier au prénom héroïque de Victor Hugo dont le comportement est bien étrange. Ses amies d’enfance qui la poursuivent mais qui se défilent lorsque, tout à coup, elles surgissent pour de vrai, dans la vie réelle. Un père détestable et manipulateur dont elle soupçonne qu’il se joue d’elle. Bref, un étourdissement de personnages pittoresques, étranges et insaisissables.

Un livre très onirique où vous n’entrerez que si vous acceptez le parti-pris littéraire d’une divagation certaine : celle d’une âme en peine, paumée, qui vit au creux de ses souvenirs ou de ses projections fantasmatiques. Tout est impression, saut d’humeur et d’images sans transition. Le tout donne un livre très décousu, déroutant, assez poétique.

On n’aime ou pas. Pour ma part, plutôt pas, surtout du fait d’une fin trop convenue.

Donnez-moi votre avis car, franchement, il y a du bon mais ….

265 pages - Publié aux Editions de l’Olivier

15.10.06

Camille Laurens – Les Travaux d’Hercule

Camille Laurens – Les Travaux d’Hercule

J’ai bien failli refermer à la 50eme page ce roman publié en 1994, quelque peu rebuté par un style trop ostentatoirement littéraire, ciselé, nettoyant et coupant comme un scalpel mais qui tombe souvent à plat. C’eût été dommage. Comme quoi la persévérance peut se révéler payante.

Le mécanisme de ce roman policier virtuel moderne (allez, osons ce terme) est ma foi très élaboré. Le lecteur en sera pour ses frais car il lui faudra renoncer à tout comprendre.

Sans doute le rythme lent et déroutant du premier quart est-il voulu : c’est la dolence de la croisière pour se rendre dans une île méditerranéenne parce que Jacques et Hélène, mari et femme, lui détective privé, elle vaguement chanteuse, détestent l’avion, l’approche prudente d’un monde oriental pour enquêter sur on ne sait qui ni quoi, les indications données ayant été des plus succinctes.

Nos deux compères vont débarquer dans un microcosme français, bien isolé de la population « mogdoulienne » dont ils vont devoir percer les règles, les enjeux et les vilains secrets.

Une subtile enquête pour retrouver la trace d’une famille disparue se met alors en place. Les secrets, petits et grands, les trahisons, les passions vont peu à peu se révéler.

En fait, de multiples enquêtes s’entrecroisent. On en comprendra le dénouement et la raison qu’à la toute dernière page, dans un entrelacs brillant et inattendu. A chacun de nous d’imaginer qui est qui dans l’histoire et qui a mené qui …

Entretemps, la vérité se dévoilera par flashs, souvent de façon inexplicable. Là encore, ces révélations sont là pour mieux nous dérouter nous amener à nous interroger à qui joue à quoi et où l’auteur veut nous mener.

Car en fait, la vraie est question est là : mais où Camille Laurens veut-elle nous emmener ? Il n’y a pas une réponse mais celle que vous imaginerez en allant jusqu’au bout de ce finalement brillant ouvrage. On peut lui reprocher d’être trop écrit, sans doute, trop savant (les références botaniques et mythologiques frisent l’overdose), de vouloir faire mouche par des comparaisons littéraires trop souvent hasardeuses ou contestables mais parfois aussi fort réussies. Saluons la culture de l’auteur au passage. Au moins le style se différencie-t-il de la tendance minimaliste actuelle même s’il mériterait plus de sobriété et de simplicité.

Pardonnons ces maladresses et conservons l’ensemble pour finalement recommander la lecture de cette surprenante réalisation.

203 pages – Publié par P.O.L.

7.10.06

Quelques Adieux – Marie Laberge

Il est des livres qu’on lit jusqu’au bout parce qu’il le faut bien, qu’on ne va pas laisser tomber au bout de 100, puis 200, puis 300 pages. Heureusement qu’un long déplacement professionnel m’imposant six heures de train dans la même journée m’aidait à motiver ma persévérance….

Marie Laberge nous sert une histoire d’amour à la sauce québécoise. Rien que du classique, conventionnel, vu, écrit et déjà lu.

Un professeur d’université, marié à une belle femme, heureux et qui va céder, après les résistances d’usage à lui créditer certes, aux charmes d’une belle étudiante, intelligente mais quelque peu difficile à vivre.

Tous les schémas y passent : la révélation à travers une relation passionnelle d’une partie de sa personnalité, les ruptures à répétition, la difficulté de vivre à trois même si, dans le cas d’espèce, notre bonhomme est bien amoureux de ses deux femmes ce qui va le détruire d’ailleurs, psychologiquement comme physiquement.

Son épouse, modèle du genre, ne se doute de rien. Fin des 300 premières pages ou presque.

Restent environ 100 pages, enfin moins conventionnelles, plus fouillées au plan psychologique et où une étrange quête pour comprendre interviendra, une fois notre homme mort et enterré.

Amusant mais fastidieux si vous voulez perfectionner votre vocabulaire d’idiomes québécois.

Même pas intéressant littérairement autrement.

A réserver à celles et ceux qui se délectent des Arlequins en mieux écrit.

Désolé, mais j’ai bien précisé dès sa création que Cetalir était un blog d’humeur littéraire. Avec « Quelques adieux », j’ai franchement l’impression d’avoir été berné et je le dis ! Allez, je vous lance « quelques adieux », Marie… Sans rancune.

395 pages – publié aux éditions Anne Carrière

3.10.06

Antonio Munoz Molina – Fenêtres de Manhattan

Autant j’avais été emballé par « L’Hiver à Lisbonne » (voir plus bas dans le blog), autant la dernière livrée d’Antonio Munoz Molina m’a laissé sur ma faim.

Un livre de rêverie sur Manhattan, sur ce que l’on peut y voir, en tant qu’étranger cherchant à s’y intégrer, à se faire accepter, sans se faire remarquer.

Pour ceux qui, comme moi, se sont souvent rendus à Big Apple, les anecdotes font mouche. Tout y est vrai à commencer par la description de l’arrivée à l’aéroport JFK où les fonctionnaires de l’immigration vous traitent avec un mépris et une brutalité qu’on ne rencontre même pas dans les pays où démocratie est à peine orthographiée. Cette séquence d’une quinzaine de pages est d’ailleurs brillante, fascinante de réalisme et résume parfaitement toute l’ambiguïté de la société américaine dont la tolérance n’est que pure façade, apparence dangereuse.

Mais, peu à peu, le livre s’enfonce dans une succession de scènes de la vie quotidienne au rythme où les souvenirs remontent à la surface, dans n’importe quel ordre, sans prévenir.

Des témoignages et détails sur ce qui s’est réellement passé sur place, le 11 septembre et dans les jours qui y ont suivi sont d’un réel intérêt. Ces pages retiennent d’ailleurs votre attention, vous réveillant d’un lent étourdissement.

Le reste finit par vous enfoncer dans une totale indigestion malgré la beauté de la langue et la qualité de la traduction. Pour ceux qui ne connaissent pas Manhattan et sa juxtaposition extrême de toutes les catégories et classes sociales que l’intolérante société américaine peut produire, ce livre peut être fort utile.

Pour les nostalgiques qui voudront y retrouver chaque micro-impression vécue sur place, aussi.

Pour tous les autres, vous risquez l’abandon en cours de route, laissés KO par l’amoncellement de petites scènes, la richesse des détails historiques, le dédale dans la ville qu’il vous faut connaître par cœur sinon vous vous y perdrez, comme dans ce livre.

Un livre qui aurait pu, du tenir en 150 pages au plus. Il y en a 348 d’une densité absolue, presque sans saut de section et absolument sans aucun dialogue si ce n’est celui intérieur, celui du cerveau qui se souvient. Beaucoup trop…

348 pages – Publié au Seuil