30.3.07

Le danseur de tango – Thomas Rosenboom

Han, quadragénaire célibataire et qui n’a jamais connu de femme par peur de se jeter à l’eau, décide, sur les conseils insistants de sa voisine Machteld, sorte de matrone expansive et bienveillante, de s’inscrire à un cours de l’académie de tango d’Amsterdam.

Au bout de dix leçons, il se lance en se rendant à une séance de danse en couple. Ce joli roman peut alors démarrer. Il mettra en scène quatre personnages, en tout et pour tout. Quatre caractères affirmés, quatre figures bien campées pour passer de la lumière éclatante à l’ombre noire.

Très rapidement, le tango ne deviendra plus qu’un prétexte à une sorte de trame de référence. L’intrigue se noue, s’avance et se défait sur le même rythme que les pas de plus en plus complexes de cette superbe danse. Le projecteur se trouve braqué brusquement sur la scène pour nous laisser, bien vite, dans l’ombre de cette intrigue originale.

L’atmosphère y est terriblement triste et les sentiments à fleur de peau, comme le tango. Les relations amoureuses qui vont se nouer et se dissoudre, dans une chimie complexe et surprenante où les corps se touchent, se rapprochent pour s’éloigner immédiatement comme ceux de nos héros, sont à l’image de la danse qui a été à l’origine de la rencontre des deux protagonistes principaux : sophistiquées, codées et terriblement dangereuses pour ceux qui s’y aventurent trop rapidement, sans un long apprentissage. Oui le tango peut être destructeur !

Han en sortira adulte, émancipé, un peu détruit aussi. Le prix à payer, sans doute, pour apprendre enfin à s’assumer.

Un surprenant roman hollandais sur une idée originale. A mettre sur vos listes de bonnes surprises.

Publié aux Editions Stock Collection Le Cosmopolite – 179 pages

25.3.07

Les femmes du metro Pompe – François-Marie Banier

Le titre est déjà en soi tout un programme. Le roman est quant à lui débridé, délirant et fantasque.

Vous voici devenu un enfant, un pre-adolescent qui tire son ennui au lycée Jeanson de Sailly en 1958. Comme vous êtes issu d’une famille bourgeoise et financièrement à l’aise, vous avez forcément du personnel de maison. A cette époque, les perles étaient espagnoles.

Comme vous êtes un peu livré à vous-même, cet univers de femmes qui se réunissent régulièrement dans la rue à côté du métro Pompe et qui jacassent dans toutes les langues que comptent l’Espagne, vous fascine instantanément. En plus, vous en êtes un peu responsable puisque vous placez les unes et les autres dans toutes les familles du quartier.

Vous êtes de plus d’un esprit fantasque, un rien dérangé même. Les premiers émois amoureux vous tenaillent et vos fantasmes revêtent le corps superbe de Pepita. Celle-ci vous aime bien car vous la faites rire mais elle vous tolère comme petit homme car précisément vous n’êtes que petit et pas encore homme. Et vous vous voudriez tellement plus…

Profitant d’une malédiction qui frappe Pepita, trois deuils en moins d’un mois, vous allez improviser un loufoque enterrement à distance de l’aïeule. Pepita n’a pas l’accord de sa patronne, aussi barge au passage que vous, pour s’absenter encore une fois. C’est qu’elle est tellement prise à gérer le déplacement de chacun des objets à laquelle elle se raccroche pour remplir le vide de sa vie.

S’ensuivra une séquence d’une cinquantaine de pages totalement bouffonne et ahurissante sur les obsèques pilotées à distance depuis l’appartement familial de la pauvre vieille qu’un méchant convoi laissera plus ou moins errer, de points de chute en points de chute, dans la ville de Pampelune.

Ces obsèques seront l’objet d’une sorte de bacchanale où nos perles espagnoles vont se livrer à un pillage en règle de l’appartement, la séquence étant l’occasion de régler ses comptes avec les patrons qui exploitent et de donner vie à ces pulsions que ces pauvres femmes doivent sans cesse réfréner.

On peut dire de l’auteur qu’il est doté d’une puissance imaginative poussée. Un peu sur le mode d’un Gaëtan Soucy, blogué à plusieurs reprises dans Cetalir. Le rire explosif en moins.

Or c’est là toute la différence. Car on reste de marbre, un peu effrayé par ce qui se cache dans le cerveau de Banier, hébété et perplexe, face à une telle débauche, à une volonté systématique de destruction, forme ultime du refuge d’un amour qui ne peut se concrétiser. L’écriture est débridée mais on reste sur le trottoir et laisse passer le métro, avec ses femmes.

Dommage, cela aurait pu être excellent, une pointe d’humour en plus.

Publié aux éditions Gallimard NRF – 208 pages

17.3.07

Le tyran domestique – Anne Fine

Arrêtez tout et courrez lire ce sympathique roman. Anne Fine, romancière anglaise de qualité, nous commet un pamphlet truculent et au vitriol de la vie de couple. Le rire, par dérision, est souvent au rendez-vous de ces pages que l’on se prend à tourner fébrilement pour comprendre jusqu’où la haine de soi et de l’autre peut nous porter.

Tilly, prototype de la femme moderne indépendante, ingénieur sur des plate-formes pétrolières, vient de se séparer en douceur de son premier mari. Facile, ils n’avaient rien en commun et surtout pas d’enfants. C’est une indépendante à l’esprit vif et au mauvais caractère, qui multiplie les aventures, jetant les hommes comme les kleenex, dès qu’ils deviennent encombrants.

Pourtant un jour, elle décide de draguer ouvertement Geoffrey, divorcé lui aussi et père de deux enfants. Sans qu’elle voit le coup venir, sa belle indépendance va prendre fin le jour où Geoff, puis ses deux gamins, vont venir s’installer chez elle. La voici devenue belle-mère malgré elle.

Bien qu’elle sache très vite qu’il lui faut à nouveau terminer cette aventure qui commence à devenir trop lourde, Till n’a pas le courage de rompre. Son mec est trop gentil, trop à l’écoute d’elle, trop bon amant.

Un lent processus de délitage se met alors en route. Anne Fine, avec un talent fou, décortique les processus à l’œuvre, ceux qui à coups de petits, puis gros mensonges, vont mener ce couple de fait à exploser.

Un véritable tableau au vitriol de l’ex-épouse toujours présente et de l’ex-mari qui n’a pas su couper les ponts. Une autopsie de l’effet contre-productif de trop de gentillesse quand on ne s’assume pas soi-même, du père qui n’a pas su, pu, voulu résister à ses enfants et à s’imposer et qui s’aveugle systématiquement dès que la vérité devient trop lourde à affronter. Une brillante analyse des ressorts psychologiques qui nous ont sans doute conduit, un jour ou l’autre, à ne pas savoir terminer une histoire qui partait mal ou durait mal (en tout cas, pour ma part, j’ai donné une fois !).

Pour couronner le tout, la fin est inattendue et a un petit air de parfum de vieilles dames. Un délice absolu ! Foncez et dévorez à pleines dents. Ce genre de bouquin est trop rare pour le laisser passer.

Publié aux Editions de l’Olivier – 282 pages

9.3.07

L’heure et l’ombre – Pierre Jourde

Lorsque, la lecture achevée, je repose un ouvrage en le mettant de côté, sans me précipiter sur mon blog pour figer ce que j’en pense, ce n’est jamais bon signe.

L’heure et l’ombre appartient à cette mince catégorie de romans pour lesquels je m’interroge longuement. Ni bon, ni franchement mauvais. Peut-être est-ce moi qui suis passé à côté ?

L’écriture en est dense, recherchée, parfois trop, P. Jourde ayant visiblement à cœur de nous prouver son érudition et à nous coller à la prochaine dictée de Pivot.

L’intrigue en revanche m’a dérouté. Un homme, qui souvent parle au féminin en se mettant à parler et à penser comme l’une des femmes qui a compté dans sa vie d’où un insensible glissement des genres souvent perturbant, se met à relater sa vie.

Une vie dont on saisit, petit à petit, qu’elle est passée à côté du véritable amour qui fut le sien, au temps de son enfance. Une vie passée également à côté d’autres personnages qui eux-mêmes jouent dans la catégorie des losers et qui ont laissé passer leur chance. Quand tous ceux-ci ont à leur tour des vies qui s’entremêlent, vous commencez à vous perdre dans les angoisse existentielles des uns et des autres, ne sachant plus toujours qui pense quoi, en son nom ou celui d’un des autres protagonistes.

Un ouvrage très intimiste dont je dois avouer qu’il a eu comme vertu de me plonger dans des assoupissements bienfaiteurs à répétition. C’est au moins cela…

Publié aux Editions L’esprit des péninsules - 261 pages

Le silence du ténor – Alexandre Najjar

Dans un livre intimiste, écrit sur le ton d’un fils faisant l’apologie de son père, Alexandre Najjar nous donne un portrait émouvant d’un père tel qu’il en existait encore dans les années soixante.

Ce père, avocat – ténor – du barreau libanais, à Beyrouth, marié sur le tard est investi d’une mission vis à vis de sa famille : celle de veiller à ce que les valeurs essentielles et fondamentales du travail, de la probité, du respect de soi et des autres soient impérativement transmises à la nouvelle génération.

Présenté ainsi, cela pourrait paraître réactionnaire. L’auteur sait cependant habilement éviter ce piège en donnant à ce récit une touche de profonde humanité. On y traverse en outre le Liban d’avant la guerre et celui des années les plus noires vues par les yeux d’un honnête homme, amoureux de son pays.

Najjar sait même nous tirer quelques larmes d’émotion lorsque père et fils communient intensément dans une étreinte pleine de respect mutuel. Certaines touches paraissent tellement authentiques que nous ne serions pas surpris de leur caractère autobiographique.

Il est à penser que ce livre séduira ceux de ma génération (le début des années soixante) qui ont encore connu la transmission des valeurs fondatrices. Espérons que le style sincère saura aussi attirer l’attention des plus jeunes et qu’il leur permettra de réaliser ce qu’un père, un vrai, peut leur apporter.

Merci Monsieur Najjar.

Publié chez Plon – 126 pages

2.3.07

Samedi – Ian McEwan

Il est des ouvrages qui continuent de vous hanter, au sens positif, grâce à l’impact qu’ils ont eu sur vous, bien des jours après en avoir tourné la dernière page. « Samedi » fait définitivement partie de cette catégorie.

McEwan réussit la prouesse d’entremêler éléments d’une lente intrigue, qui par petites touches successives se noue, et sujets de réflexion brillante sur notre société occidentale moderne, honteusement opulente et si sûre d’elle-même. Celle d’une Angleterre blairienne conquérante, fidèle alliée des Etats-Unis y compris au sens militaire. Celle d’une société qui ne laisse pas de place à ceux qui n’en jouent pas les règles et qui fait cohabiter plusieurs mondes habituellement étanches. Celle d’une société qui doit faire avec beaucoup de déshérités pour ne pas exploser.

Au cours de cette journée de samedi, une succession d’évènements va progressivement faire basculer la vie d’une famille londonienne parfaitement représentative du succès des quadras actuellement au pouvoir, dans la confrontation avec la violence urbaine et imbécile et ce qu’elle peut remettre en cause sur nos certitudes.

Le récit s’écoule naturellement, limpidement, chirurgicalement même, presque minute par minute, et l’auteur nous conduit à travers les réflexions qui habitent le cerveau du neurochirurgien Henry Pewrone, héros malgré lui de ce récit. C’est ce qui en fait la force et qui donne cette capacité à assister à ce qui se passe en tant que lecteur, certes, mais aussi qu’acteur distancié, habitué à se maîtriser et à gérer des situations critiques. Tout s’y passe dans une sorte de ralenti, pour nous forcer à penser à comment nous aurions nous-mêmes réagi en de pareilles circonstances.

Un magnifique livre pour penser à ce que sont nos plus fondamentales valeurs, réfléchir à la qualité de nos engagements personnels, familiaux et professionnels. Un livre sur l’amitié, la sincérité des liens familiaux aussi. Un livre à lire avec urgence.

Publié aux Editions Gallimard – 351 pages