6.7.07

Une trop bruyante solitude – Bohumil Hrabal

Je crains, vu la profondeur spirituelle, l’intelligence et la densité de ce pourtant si court ouvrage, de n’avoir la capacité que d’en rester à sa surface.

Hanta est un pauvre hère qui, depuis 35 ans, noie la vacuité de sa vie personnelle et affective dans son métier, a priori, ingrat : celui de compresseur de livres, et de temps en temps de détritus, que les tziganes de Prague, entre autres, lui déversent à flots continus dans sa cave sombre et humide.

De cette profession, Hanta a fait un art : celui d’assembler les ouvrages que les régimes successifs envoient impunément à la destruction. Il met un soin particulier à décider des gravures ou reproductions de tableaux, par exemple, qui s’exposeront sur le dessus de la pile et rêve d’une modeste retraite, proche, où la presse achetée à son compte, il pourra se livrer à des compressions quintessentielles, en quelque sorte.

Hanta, en amoureux des livres, et en alcoolique qui se réfugie dans la bière dont la quantité qu’il a absorbée pourrait, dit-il, remplir une piscine olympique, sauve quelques raretés de la destruction. Il se livre (sans jeu de mots !) aussi à la lecture d’ouvrages philosophiques et religieux, avant que la presse ne les engloutisse et, l’alcool aidant, dialogue avec les représentations mentales de Jésus et Lao-Tseu, ou celles d’Hegel, de Schiller ou de Schopenhauer.

Et c’est là que ce roman inclassable tourne au génie. Il fourmille de citations qui sont autant d’éclairs de la puissance de la pensée dans un océan de néant. C’est ce qui grandit Hanta et en fait, une sorte de surhomme, qui tout en accomplissant sa tâche, extrait du cataclysme ce qui doit être absolument sauvé, pour que l’humanité, mise en marche forcée par l’automatisme et la modernisation, conserve le droit à une élévation spirituelle constante.

Hanta, c’est l’ultime résistant à un mal qui détruit notre société moderne par l’exercice d’un droit solitaire à la poésie, à l’art, à la pensée déviante, à la confusion mentale aussi.

C’est l’allégorie de la différence, une solitude habitée des mots des penseurs, rendant inadéquate la projection de soi aux autres.

De fait que, Hanta n’aura d’autre ressort, une fois privé par un chef imbécile de sa tâche de Sisyphe, que de se réfugier dans une mort compressée.

Un livre éblouissant, rare, magique !

Publié aux Editions Points – 126 pages

Aucun commentaire: