28.11.08

Les champs d’honneur – Jean Rouaud

Ce court roman est un grand moment d’écriture française, un pur bonheur de belle langue, une façon d’écrire qui concilie modernité et maîtrise solide de bases classiques. Il y a fort longtemps qu’il ne m’avait été donné de m’émerveiller sur ce type d’écriture qui, malheureusement, se perd.

Comme, par ailleurs, cette écriture est mise au service d’un fil narratif solidement charpenté qui va nous promener de la grande guerre jusque vers la fin du XXeme siècle à travers quelques personnages attachants et magnifiquement mis en scène par Jean Rouaud, le bonheur de lire est total.

Rien de surprenant donc qu’avec ce premier roman, paru en 1990, Jean Rouaud, jeune écrivain d’alors 38 ans, emporte le Prix Goncourt, signant un véritable coup de maître.

Nous voici transporté au cœur de la Loire Atlantique. Un pays pluvieux, vert et au climat doux dont la météorologie et l’influence qu’elle peut avoir sur le caractère de ses habitants vont donner lieu à 9 pages admirables (pages 15 à 23). Il y a une inventivité, une drôlerie, une facilité à glisser imperceptiblement d’une évocation à l’autre qui laisse pantois !

Une famille dont nous ignorons le nom va se voir endeuillée par la perte, à peu de temps d’intervalle, de trois membres appartenant à trois générations. Grâce à de somptueux allers-retours dans le temps, nous allons vivre le temps présent et retrouver une petite part du temps passé de chacun de ses trois membres d’une même famille. Un voyage à travers le temps rendu possible par le narrateur, fils d’un homme subitement disparu à quarante ans, foudroyé en quelques jours. Un enfant également marqué par le mutisme dans lequel s’enfermera sa mère après la mort brutale de son époux.

Un voyage à travers le temps qui va petit à petit nous ramener jusqu’en 1916 et à la mort de deux frères, à quelques mois de distance, aux champs d’honneur.

L’évocation de l’horreur et de l’inutilité du carnage donne lieu, une fois encore, à une vingtaine de pages dont l’écriture recèle une force rare. Il n’y a pas de recherche d’effets emphatiques, juste les bons mots, ciselés dans de belles phrases, pour dire la crasse, la mort omniprésente, les cadavres qui font le quotidien des survivants. Jusqu’à la survenue du gaz moutarde qui emportera par milliers des soldats qui n’y sont pas préparés…

Il y a aussi un peu d’effronterie dans cette façon de rendre tendrement la vie d’une famille et de ses petits secrets dont celui du frère, Joseph, premier à tomber sur le front, donnera lieu à une patiente reconstitution par son fils, peu avant sa propre mort.

Pas une phrase inutile, pas de mots en trop. L’écriture y est juste parfaite et hallucinante de maîtrise et nous donne à aimer les personnages mis en scène, avec leurs défauts, leurs tics, leurs manies, tels que l’auteur s’est pris à les aimer lui-même.

Sublime, tout simplement…

Publié aux Editions de Minuit – 159 pages

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai découvert votre blog récemment et c'est un réel plaisir de vous lire : la qualité de votre écriture et la finesse de vos analyses n'ont rien à envier aux journalistes littéraires. Merci!

-Akka- a dit…

J'aime beaucoup votre façon d'aborder les oeuvres et de respecter l'auteur en trouvant toujours quelque chose de positif à lui conférer. Vous faites un travail assez remarquable. Bonne continuation.