13.11.08

Un diamant brut – Yvette Szczupak-Thomas

C’est à un extraordinaire travail de mémoire que se livre Yvette Szczupak-Thomas : extraordinaire par l’abondance des souvenirs qui se bousculent au soir d’une vie, extraordinaire par la foule des plus illustres artistes du XXeme siècle qu’elle convoque et dépeint sous leur vrai jour, extraordinaire par l’incroyable destinée de l’auteur.

Yvette Szczupak-Thomas aura mis plus de vingt ans à rédiger ce livre à nul autre comparable tant la violence des souvenirs fut insoutenable. Commencé dans les années quatre-vint, mis en jachère pendant vingt ans, le livre sera achevé à Jérusalem en 1999, à l’âge de soixante-dix ans. Yvette Szczupak-Thomas mourra quatre ans plus tard.

Le livre se déroule en trois parties inégales en longueur et différentes sur le plan stylistique.
Dans la première partie, ce sont les souvenirs d’enfance qui sont ramenés au jour. Yvette est une pupille de la Nation. Sa mère est morte poitrinaire après avoir divorcé, chose rare dans les années trente et encore plus rare en pleine campagne nivernaise, d’un père alcoolique et silencieux. Après le décès d’un accident de la circulation de son père, Yvette, comme se frères et sœurs, est placée chez une nourrice, Maman Blanche, avec qui elle entretient une relation fusionnelle. Elle sera arrachée à celle-ci et placée de force dans une famille de paysans aussi rustres que barbares, exploitée, quasiment réduite à l’état d’esclavage. La seconde guerre mondiale vient de voir la défaite cuisante de l’armée française et les Allemands s’enfoncent dans les campagnes françaises en lançant sur les routes des millions de réfugiés. Yvette vit ceci dans une certaine excitation quand les coups ne pleuvent pas et que les travaux des champs lui laissent un peu de temps libre.

Maltraitée, mal nourrie (elle pèse vingt deux kilos à l’âge de douze ans), elle séjourne à l’hôpital après avoir eu deux doigts écrasés par la chaine du puits. Son état lui vaudra finalement d’être replacée dans une nouvelle famille à côté du Vézelay.

Une famille de braves gens, dévoués, humains, chaleureux bien que relativement pauvres. Un brave homme et une brave mère qui se désolent d’avoir laissé partir leurs trois fils et rêvent d’une nouvelle vie de famille placée sous le sourire d’une jeune fille.

Fin de la première partie qui représente un tiers du récit. Un récit en forme de miroir de la mémoire, composé des scènes flash et raboutées. Les raccords sont voyants, de nombreuses séquences manquantes. Ce sont les couleurs, les odeurs, les bruits qui remontent toujours sur fond de violence et de privation. Les rares moments de joie sont ceux offerts par les animaux, innocents et sans arrière-pensée et qui nous valent quelques rares sourires dans ces pages tourmentées.

La deuxième partie, qui occupe l’essentiel du récit, marque le deuxième tournant de la vie d’Yvette. Le style en est abouti, sophistiqué et précis. Il figure l’élévation sociale et intellectuelle dont Yvette est la bénéficiaire.

En portant quelques victuailles chez un couple de Parisiens de la Haute qui possèdent une résidence à proximité, Yvette va peu à peu en charmer les propriétaires. Lui, TakyZervos est éditeur d’art et sa revue, les Cahiers d’Art, a rassemblé jusqu’avant la guerre, tout ce que l’Europe comptait d’esprits brillants. Elle, Yvonne, seconde son mari et noie un chagrin dans une consommation d’alcools blancs immodérée. La pertinence des remarques d’Yvette sur les œuvres d’art qu’ils lui font découvrir, la qualité des dessins de l’enfant et, sans doute, sa particulière beauté les convainquent de l’adopter.

Toutes affaires cessantes, elle est arrachée à sa famille d’accueil qu’elle commençait tout juste à aimer et se voit transportée en plein Saint-Germain-Des-Prés, rue du Bac. En quelques semaines, elle perdra son accent et son attitude de souillon et se transformera en adolescente brillante qui éblouira tous ceux qui l’approcheront.

Yvette devient l’élève de Picasso, véritable terreur mais ami indéfectible des Zervos, recevra un fiancé sculpté par Giacometti, se lancera dans des parties d’écriture automatique avec Georges Bataille et Jean Giono, deviendra la confidente du couple Eluard, apprendra à se méfier de René Char, amant d’Yvonne… C’est tout Paris qui défile dans les murs de l’appartement des Zervos. C’est l’envers du décor qu’elle voit aussi du monde instable des artistes.

Nous assistons à des scènes homériques et baroques dans ces pages affolées. Mais, l’instabilité ne tarde pas à revenir, TakyZervos demandant à Yvette de lui faire plaisir en lui « mouchant l’outil à pipi » alors qu’elle n’a que treize ans. Bientôt, il deviendra plus pressant et finira par violer à répétition une enfant qui perd toute confiance dans le monde des adultes et se réfugie dans le silence, l’alcool, l’art.

La troisième et dernière partie est celle de la rencontre avec S. Szczupak, ami du couple, avocat et artisan, auprès de Ben Gourion, de la création de l’Etat d’Israël. Le style hésite entre l’exaltation et la pudeur, l’auteur s’attachant à protéger son jardin secret. Le récit est condensé en quelques dizaines de pages dominées par l’urgence.

Yvette, qui rejette en bloc la Chrétienté en démontant avec sarcasme les incohérences des récits et des dogmes, s’est réfugiée dans l’amour des Juifs sauvés des camps d’extermination et lancée à corps perdu dans les Jeunesses Communistes. Elle prendra rapidement ses distances vis-à-vis du Parti constatant les ravages du fanatisme.

S. Szczupak est un homme d’une rare intelligence, d’une culture insondable. Avec l’accord des parents d’Yvette, il l’emmène, encore mineure, découvrir le jeune Etat sioniste. Ce sera la révélation : Yvette lui déclare qu’elle ne veut qu’une chose, s’installer à Jérusalem où elle s’est sentie immédiatement chez elle.

De retour à Paris, assaillie à nouveau par Taky, elle organise sa fuite d’un couple finalement méphitique et qui en voulant son bien, l’a manipulée et détruite. Une fuite rocambolesque qui la jette à nouveau, encore mineure, dans les bras de l’Assistance Publique avant que d’être extraite et expatriée vers l’Etat d’Israël sur intervention personnelle de l’ancien chef de cabinet de Léon Blum. Elle épouse alors S. Szczupak et obtiendra le certificat N°6 de conversion.
On referme le livre abasourdi par un tel destin, une telle conjonction d’évènements qui se sont acharnés sur cette jeune fille. Certes, le livre est parfois trop touffu, déroutant, en faisant appel à une galerie pléthorique de personnages qui ont marqué le Siècle. Mais il possède aussi des fulgurances littéraires absolument remarquables. On lira et relira à cet effet la première page ainsi que la page 366 qui relate dans une langue hallucinée les nuits glauques de Montparnasse.
Bref un livre remarquable et aurait été extraordinaire en ayant été un peu plus condensé.

Merci à la

Librairie Les Beaux Titres 61, rue Votaire 92300 LEVALLOIS-PERRET que vous pouvez contacter via courriel librairie@lesbeauxtitres.com
de nous avoir fourni l’occasion de découvrir un livre à ne pas manquer.

Publié aux Editions Métailié – 443 pages

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