1.1.09

Jeux croisés – Marie Sizun

Commencé en début d’une soirée d’hiver, ce roman m’aura littéralement happé tant et si bien que je ne l’ai refermé qu’une fois achevé, deux heures et quelques plus tard. C’est sans doute l’un des meilleurs compliments que l’on puisse faire à un auteur.

Ce qui frappe dans ce roman au thème délicat (j’y viens dans un instant), c’est son extrême pudeur, la grande délicatesse des propos, la gentillesse de l’écriture qui font que, malgré la détresse et la perdition qui s’emparent des deux femmes centrales du roman, malgré la spirale de la dépression qui les attire vers des confins où elles risquent de perdre leurs âmes, leur liberté d’action et de pensée, on se prend de compassion pour ces personnages profondément humains, déboussolés.

On en vient même à comprendre les gestes impardonnables de ces deux femmes à la dérive, à faire preuve de mansuétude en passant l’éponge sur ce que la justice pénale ne manquera pourtant pas de sanctionner lourdement. Bref, on se met à aimer ces êtres faibles, elles-mêmes laissées pour compte de l’amour des hommes et dont la vie va brutalement basculer vers ce qui, jusqu’ici, était totalement inimaginable.

Marthe est une jeune femme au milieu de la trentaine, professeur de Mathématiques. C’est une fille quelconque, qui ne se remarque pas et qui s’est mariée, presque miraculeusement, sur le tard. Or, son mari, Pierre, lui annonce tout à trac qu’il l’a quitte et part refaire sa vie avec une collègue dont il attend un enfant. Marthe va comprendre, peu à peu, que c’est son propre refus d’enfanter, de jouer un rôle de mère pour laquelle elle ne se sent pas prête ni désireuse de l’être, qui aura poussé Pierre à la quitter.

Alice a dix-huit ans. Elle élève seul son bébé, Ludo, dont elle ne sait même pas qui est le père. Alice tente de faire face, courant de la garderie au pressing minable qui l’emploie. Alice est en train de craquer, abandonnée par ses parents, délaissée par ses amis qu’elle n’a plus le temps de voir, se débattant avec les problèmes financiers et la garderie qui ferme dans une semaine pour les congés d’été. Que faire de Ludo ? Comment concilier une vie de femme seule, en mal d’épanouissement avec celle d’une mère malgré elle ?

Il suffira d’un moment fortuit, dans un centre commercial, d’un moment de doute chez Alice, d’un coup de folie sous l’emprise d’une automédication douteuse pour Marthe pour que leurs vies basculent. C’est le rapt d’enfant, improvisé, brutal.

Commence alors une fuite en avant désespérée pour Marthe une descente cauchemardesque aux enfers pour Alice, accusée de s’être volontairement débarrassée de son fils. Ce sont ces quelques jours de folie, d’excitation, d’une vie nouvelle idéalement rêvée mais pratiquement inassumée que nous allons suivre de façon terrible et palpitante.

Ces jeux croisés sont en référence au désir fugace d’Alice d’être à nouveau libre et autonome, de Marthe d’être celle que Pierre aurait aimé qu’elle fût. Des jeux dangereux dont il est impossible de sortir indemnes.

On se laisse porter par le récit, par la logique implacable qui plonge ces deux femmes vers une autodestruction certaine. Un récit parfaitement servi par une écriture juste, nerveuse, efficace.
Un beau livre.

Publié aux Editions arléa – 249 pages