29.6.09

La fille d’Hô Chi Minh- Ville – Robert Olen Butler

Rarement un roman aura eu un tel impact sur moi. Tant la forme que le fond vous entraînent dès les premières lignes dans un univers dont il est difficile de sortir, y compris de longues heures après la lecture achevée.

Certes, l’auteur est une figure majeure de la littérature américaine contemporaine, vainqueur de nombreux prix dont le Pulitzer. Cela force le respect quand bien même l’attribution de prix porte parfois à nous interroger sur les (il)légitimes raisons qui ont conduit à de telles décisions.

Mais revenons au fait. La magie de ce roman réside dans la capacité de l’auteur à nous entraîner dans la tête même de deux êtres qu’a priori, tout oppose. Grâce à un dialogue intérieur qui nous laisse voir en toute transparence le cheminement psychologique et affectif des protagonistes, grâce aussi à une économie dans les dialogues où chaque mot est à sa juste place, nous touchons à l’essence même des relations humaines. A leur complexité, à l’alchimie qui fait que nous aimons, sommes indifférents ou détestons.

La très longue séquence (80 pages environ) qui va conduire cet homme et cette femme à se donner l’un à l’autre, elle, qui a vingt six ans, pour la première fois à un homme, lui qui en a quarante six, est tout simplement éblouissante. Un monument littéraire.

Chaque geste est épluché. Nous passons de l’esprit de l’un à l’autre avec maestria et nous nous retrouvons immédiatement dans la peau et la tête de ces amants encore en devenir, à la timide découverte l’un de l’autre. C’est nous qui faisons l’amour, qui fusionnons avec le roman dont il est impossible de s’arracher.

Pourtant, le doute et le drame vont brutalement surgir. Lui, Benjamin Cole, est un ancien GI. Il a fait la guerre, par amour pour son père qui avait rêvé de la faire en 44, au Vietnam. Il y a vécu une passion amoureuse avec une hôtesse de bar. Passion qu’il a brutalement rompue lorsque celle-ci a voulu qu’il l’amène aux Etats-Unis, l’heure de la peu glorieuse retraite militaire venue.

Pourquoi revient-il après vingt six ans au Vietnam ? Que cherche-t-il vraiment ? La réponse à une question non formulée va peu à peu se construire. Une réponse étonnante, brutale, déstabilisante.

Cette réponse, c’est Tien, une jeune femme métisse, guide touristique, bilingue. Une réponse elle-même en forme de question. Elle doit vivre avec un père mort, un ex GI, dont elle honore la mémoire par de fréquentes prières bouddhiques et une mère, ancienne prostituée, qui a disparu sans laisser de nouvelles juste avant la libération de Saïgon. Qui sont ces parents qui la hantent et l’ont gardée des hommes ?

Par une rencontre fortuite avec une prostituée qui l’accoste et qu’il refoule, qui se prénomme faussement Kim, comme l’hôtesse qu’il a aimée, le doute va soudain s’emparer de Ben, du Ben réconcilié avec la vie, amoureux fou de Tien.

Et si la femme qu’il aimait de tout son être était sa fille ? Une fille que Kim lui aurait cachée ? Elle pourrait en avoir l’âge. Elle est métisse. Elle vit dans le même quartier qu’il fréquentait. Sa mère était une hôtesse de bar. Elle raconte une légende qui ressemble tellement à ce que son père à lui, Ben, disait. Soudain, chaque détail, chaque parole va alimenter une peur irrationnelle. La peur de l’inceste.

C’est cette peur qui va les pousser sur la Route 1, celle qu’il a empruntée en convoi militaire, celle sur laquelle il a vu ses camarades sauter sur une mine, se faire tuer ou mortellement blesser. Commence alors une nouvelle route vers l’enfer. Une route à quitte ou double.

Le récit se déroule avec une lenteur étonnante. Une lenteur indispensable pour dire les pensées des deux amants, leur joie, leur passion, puis leurs doutes, leurs peurs, leurs questionnements.

Le tout dans un infini respect de l’un pour l’autre, dans un souci de l’harmonie après, pour Ben, une vie d’errance et de reconstructions avortées.

Que trouveront-ils au bout de la Route 1 ?

Pour le savoir, précipitez-vous sur ce roman indispensable. Dommage que le titre soit aussi quelconque.

Publié aux Editions Rivages – 196 pages