28.8.09

La cité heureuse - Benoît Dutertre

Autant le dire tout de suite, ce roman m’a paru particulièrement laborieux, comme si l’auteur s’était débattu avec une bonne idée sans avoir les moyens et la capacité de la maîtriser.

Comme la pauvreté du style est spécialement navrante, il en résulte un des ces bouquins inutiles, bâclés et dont on se demande toujours comment ils ont pu être publiés.

Quelques mots sur le thème, tout de même.

Suite à une sombre révolution dont nous ne savons rien, des cités entières sont rachetées par un investisseur sans doute américain pour être transformées en parcs d’attraction pour touristes désoeuvrés.

La règle est que chaque habitant doit y jouer un rôle quotidien, affichant joie, bonne humeur et disponibilité. Déroger aux règles coûte des “points coeur” et vous fait régresser dans l’échelle sociale farouchement codée.

Un écrivain sans réel talent, un peu libre d’esprit, se fait sponsoriser par l'investisseur, celui-ci ayant l’obligation politique de laisser penser que tout un chacun peut s’exprimer librement. Notre écrivain écrit par ailleurs des scenarii pour des séries télévisées au ton moderne et humoristique.

Peu à peu, la vie de la cité radieuse va se détraquer et la vie de l’écrivain, un peu trop sûr d’une liberté sous surveillance, devenir un petit enfer.

il y avait beaucoup de bonnes idées dans ce roman, en particulier celle de faire parler les personnages de l’écrivain (une romancière clamant une position de persécutée permanente et se régalant aux frais de la société et au détriment de son amant, un couple de gays adoptant deux petites filles et aux prises à la tentation de l’autre sexe...).

Tout cela est systématiquement gâché par une plume d’où est absente tout talent, d’une extrême platitude et qui se complaît dans une accumulation de lieux communs. Même pas second degré.

Bref, je n’ai eu de cesse de compter les pages me rapprochant de la fin. M’en voici débarrassé....

Publié aux Editions FAYARD - 282 pages

25.8.09

Une brève histoire des morts - Kevin Brockmeier

Kevin Brockmeier sait immédiatement trouver le ton juste pour planter une atmosphère envoûtante, faite d’étrangetés et de léger malaise. Une étrangeté qui va se développer et se poursuivre selon des voies parallèles tout au long de ce qui fait de cet ouvrage un roman véritablement à part. Un de ceux qu’on n’oublie pas.

Pour nous entraîner dans cet univers à double-sens, l’auteur prend le parti de construire une histoire qui se déroule sur deux plans qui paraissent de prime abord totalement étrangers l’un à l’autre. Si étrangers que j’ai dû relire la quatrième de couverture pour m’assurer qu’il s’agissait bien d’un roman et non d’une suite de nouvelles.

Puis, au fil des chapitres à l’unité de temps et de lieu clairement définie, le lecteur intrigué va découvrir que ces deux univers sont en fait clairement liés l’un à l’autre.

Quels sont donc ces deux mondes parallèles ?

Tout d’abord, nous découvrons une cité hyper-contemporaine ne figurant sur aucune carte et dont la topographie s’ajuste d’heure en heure au fur et à mesure qu’elle accueille de nouveaux venus. Cette cité, c’est celle des morts, des trépassés qui y passent 60 à 70 ans avant d’en disparaître brutalement. Sans raison apparente...

Une cité en tous points identiques avec le monde réel: on y mange, y travaille, s’y déplace en voiture. Les téléphones mobiles y sont présents ainsi que tous les moyens de communication instantanée inventés par notre technologie contemporaine. Une cité où chaque habitant déclare sans ambages s’y trouver mieux que dans le monde réel précédent. Les êtres s’y aiment, les couples se retrouvent et se solidifient, les enfants retrouvent les parents... Bref un monde d’harmonie et d’une certaine sérénité.

Sans transition, le chapitre suivant (et il en sera ainsi de façon inaltérable tout au long du roman) nous transporte sur la banquise. Trois scientifiques y ont été envoyés par Coca-Cola pour une mission environnementale. Parmi eux, Laura Byrd, la spécialiste mondiale des problèmes environnementaux, problèmes qui à l’époque, sans doute pas si lointaine de nos jours, où se situe le roman se traduisent par un recul de la banquise, une montée des eaux et une disparition des baleines, des éléphants et des gorilles.

C’est l’épopée de Laura Byrd que nous allons suivre. Une épopée qui va la conduire à traverser la banquise, seule, une fois ses compagnons disparus sans laisser de traces. Une épopée pour sauver le monde, un monde frappé du virus de la tremblante de l’oeil qui fauche les humains par milliards. Laura sera-t-elle la dernière représentante de l’humanité sur terre ?

Sans répondre à cette question dont vous chercherez la clé dans le roman, nous allons peu à peu comprendre que la cité des morts est celle qui accueille le souvenir de nos défunts, de nos amis, de notre vie passée. Une cité qui s’éteint dès lors que nos souvenirs vacillent.

Une cité qui vit parce que Laura est vivante. Un monde virtuel au sein d’un univers réel, l’un étant résolument indissociable de l’autre, d’où les chapitres parallèles.

Grâce à une subtile allégorie, K. Brockmeier nous amène à nous interroger sur le sens de nos vies, sur l’importance à se souvenir et à comprendre que ce qui nous fait prend sa source constante dans le passé, dans nos relations aux autres, petites, futiles, majeures ou structurantes. Nous ne sommes humains que parce que nous évoluons auprès d’autres humains.

La question centrale de ce très beau roman n’est-elle pas, au fond, de chercher à comprendre ce qu’est la vie et de là où elle s’arrête vraiment.

Un livre hautement recommandable, remarquable d’originalité et qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. A ne manquer sous aucun prétexte !

Publié aux Editions Panama - 301 pages

5.8.09

Les poussières de l’effacement – Gamal Ghitany

« Les poussières de l’effacement » ce sont les fragments de mémoire, les souvenirs furtifs qui remontent à la conscience d’un vieil homme arrivant à moins d’un an de son départ à la retraite. Ce vieil homme, c’est l’auteur lui-même qui saisit ce prétexte pour coucher ici, dans ce qui constitue le cinquième carnet d’un travail de mémoire, une foule de souvenirs, d’impressions et de questionnements qui ont ponctué et continuent de ponctuer sa vie. Pour autant, le parti-pris de l’auteur fait fi des conventions en usage dans ce genre littéraire. Aucun travail chronologique, aucune structuration du récit. Les souvenirs remontent à la conscience, plus ou moins précis, souvent fanés, les visages des êtres entrevus gommés, ne surnageant plus que la silhouette, l’impression d’ensemble, l’ambiance générale que le temps n’a pas déstructurés. Ces remontées sont le plus souvent suscitées par une photographie, un lieu, un mets croisés par hasard et un tableau ramené à la vie entraîne un autre souvenir, le tout se déroulant en une corolle nostalgique et chatoyante, aux couleurs du Moyen-Orient.

Ghitany étant Egyptien, nous sommes invités à parcourir Le Caire en tous sens. Certes, pour celles et ceux qui comme moi ne connaissent pas cette megapole, l’évocation des lieux et des noms aux consonances incompréhensibles pour un non-arabophone rend parfois le parcours délicat. Mais Ghitany n’a pas besoin de forcer son talent pour nous associer à ses souvenirs éveillés tant l’écriture est précise et le travail de traduction remarquable.

On y croise une galerie de personnages pittoresques, du bourreau cairote à la retraite avec lequel il est facile d’échanger dans l’un des nombreux cafés de la ville, au barbier qui terrorisait l’auteur enfant et aux notables souvent morts au cours de l’un des nombreux conflits qui ont agité la région depuis soixante ans ou plus.

La cuisine y tient une place particulière car elle fait appel aux sens, aux odeurs, aux couleurs qui font que nos souvenirs ont une saveur particulière et infiniment personnelle. Les femmes aussi, souvent entrevues et qui par leur beauté, leur mystère, leur grâce ou leur charme ont suscité des émois la plupart du temps restés au rang de fantasmes seulement envisagés et aussitôt abandonnés. Ce sont, avec les fragments consacrés aux parents, les plus belles pages dont le livre est parsemé.

Aborder « les poussières de l’effacement » n’est pas si simple que cela. Il faut se laisser prendre par un rythme d’une très grande lenteur car le rappel du temps passé est un travail qui inconsciemment vise à freiner l’égrainement du temps présent qui fuit trop vite. Les pages étant denses et l’écriture solide, difficile d’en absorber plus qu’une quarantaine par heure sans risquer la saturation.
Probablement, la meilleure lecture qui soit est celle qui s’intercalerait avec la lecture d’un roman plus conventionnel parce que linéaire, à l’image de ce que notre cerveau appelle comme séquences diffuses une fois que nous reposons un bouquin pour vaquer à une quelconque nouvelle occupation.

Sans avoir été enchanté par ce très long et dense carnet, je ne peux que lui reconnaître une qualité intrinsèque indéniable tant littéraire qu’historique, presque anthropologique. En outre, Ghitany a une étonnante capacité à réinventer son écriture autour de séquences qui, à force de se multiplier, finissent par se ressembler. On voyage dans le temps et le monde, observe les conflits de la région et apprivoise peu à peu un art de vivre oriental hédoniste et généreux.

Publié aux Editions Seuil – 432 pages