24.9.09

Arlington Park - Rachel Cusk



Autant l’avouer tout de go, ce livre m’a rasé. En venir à bout fut une véritable punition et ce n’est que motivé par la résolution de commettre ma note de lecture que je ne l’ai pas refermé avant le mot fin...


Rachel Cusk nous emmène sans talent dans une chic banlieue londonienne. Une banlieue où les maris travaillent, ont en général une belle situation et une belle maison. Une banlieue où les femmes sont des épouses et des mères qui se sont sacrifiées pour la réussite du mâle dominant. Une banlieue où l’on s’ennuie ferme derrière un écrin chic et vert. Où les femmes et mères se réunissent autour d’une tasse de thé pour imaginer comment peupler la vacuité de leurs journées.


A croire qu’il n’y a que des déprimées parmi ces trentenaires. Des déçues de l’amour qui ne savent plus pourquoi elles partagent un peu de la vie d’un homme qui leur est devenu inconnu, pourquoi elles doivent s’occuper du linge sale, de la cuisine et des enfants. Un monde de la non communication au sein des couples en crise et où l’alcool coule abondamment pour rendre l’existence moins triste et vide.


Un monde sans espoir, sans perspectives, d’esclavage moderne et où l’argent est censé rendre le vide plus plein...


Le seul talent de l’auteur est d’arriver à imaginer de multiples variations sur le même thème pendant près de 300 pages.


Le reste n’est que lieux communs, propos vides, considérations sans intérêt. Bref, à fuir... Une déception rare chez cet éditeur dénicheur de talents.


Publié aux Editions de l’Olivier - 292 pages

17.9.09

Le septième voile – Juan Manuel de Prada


Si vous avez lu mes deux notes sur Cetalir sur le magistral recueil de nouvelles « Le silence du patineur » et le fascinant roman « La vie invisible », vous savez alors mon admiration inconditionnelle pour ce jeune auteur trentenaire espagnol.

Sa dernière production, « Le septième voile », n’entame en aucune manière le respect que j’éprouve envers de Prada, bien au contraire. Ce jeune homme est un magicien des mots. Il manie la langue avec une hardiesse dans les images, un souci du vocabulaire, un recours subtil aux mots inusités, une syntaxe et une grammaire éblouissantes qu’on ne trouve presque plus dans l’écriture contemporaine. C’est simple, de Prada est le Victor Hugo moderne, version espagnole. Un Victor Hugo qui n’a pas froid aux yeux, prêt à s’attaquer aux institutions, aux tabous, aux secrets malsains.

« Le septième voile » est en effet une analyse détaillée, sans concession, mise au service d’une fresque romanesque dense, des jeux de pouvoir déchirant l’Allemagne nazie occupant la France, la résistance écartelée entre un communisme stalinien et les accents patriotiques gaullistes, les collabos français pressés de s’enrichir et l’Espagne franquiste obligée de pactiser avec les Américains pour tenter de sauver sa peau avant qu’il ne soit trop tard.

Nous découvrons au passage le comportement abominable qu’eut le régime franquiste envers les Catalans et les Juifs, pages sombres de l’Histoire que notre système éducatif se garde bien de nous enseigner.

Le fil conducteur de ce très épais roman est la recherche du père et de sa propre identité. Le roman s’ouvre sur un prologue de cinquante pages où le narrateur, professeur de littérature d’âge mûr, après avoir perdu sa jeune épouse dans un accident de voiture en apprenant au passage qu’elle était enceinte, ce qu’elle lui avait caché, apprend le décès de sa mère. Son père, brisé par l’émotion, lui révèle alors qu’il n’est pas son vrai père. Le prologue se termine sur une phrase sublime, caractéristique du style de de Prada : « Le monde était une nuit sans faille. J’entendais autour de moi la pullulation du néant, teigne prête à pondre. » (p 48).

Commence alors une longue enquête à la recherche du père. Grâce à un vieux prêtre jésuite très anticonformiste, notre homme va peu à peu découvrir qui fut son père et poursuivre une enquête à la recherche d’une vérité troublante.

Son père fut recueilli dans un cirque ambulant financé par le MI6 pour faire passer des Juifs au Pays Basque. Blessé à la tête, à demi-mort, opéré par un chirurgien devenu jongleur, notre homme va revenir peu à peu à la vie, amnésique et devenir un magicien surdoué. Reconnu par un des chefs de la résistance, une fois la guerre presque terminée, il va découvrir qu’il fut lui-même un héros connu sous le nom d’Houdini dont il veut comprendre les faits et la motivation.

Obsédé par la recherche de son identité, devenu fou par paranoïa, survivant dans des conditions sordides une fois la guerre achevée, il va disparaître sans laisser de traces et mener à son tour, des années plus tard, sa propre enquête tout en laissant sa compagne enceinte. Il découvrira que derrière le héros se cache un homme qui fut broyé par la machine de l’Histoire, manipulé par des courants beaucoup plus forts que lui.

« Le septième voile » fait référence à un tableau mettant en scène l’impudique Salomé et symbolise l’ultime parure qu’on ne fait tomber devant personne sauf à plonger dans les abysses de la psychanalyse pour découvrir son véritable moi.

Or c’est précisément cette double quête, celle du fils destinée à comprendre qui fut son père, celle du père n’acceptant pas, a priori, de se reconnaître en ce qu’on lui donne à voir de lui et découvrant, peu à peu, qu’il ne fut que le jouet des autres, qui structure le récit et lui donne une force immense.

On sort forcément ébranlé d’un récit qui dérange, plein de doutes sur ce que nous aurions été nous-mêmes en de pareilles circonstances, scotchés par l’audace de l’auteur qui a su reconstituer avec minutie et précision, tout en conservant une fougue littéraire inébranlable, le Paris de l’occupation.

Impossible de sortir de ce dense roman qui nous hante et vous absorbera pendant de nombreuses heures d’une écriture sublime au service d’une histoire romanesque haute en couleurs et menée d’une main de maître.

Chapeau bas, Monsieur de Prada !

Publié aux Editions Seuil – 694 pages

14.9.09

Chamboula - Paul Fournel

Voici un joli roman à l’écriture imaginative, drôle et souvent frappante, à la mode des contes africains. Reste à préciser que Paul Fournel est né à Saint-Etienne et qu’il a su brillamment s’inspirer du style si particulier aux écrivains africains d’expression française.

Chamboula est la plus belle jeune femme du village. Elle fait rêver les hommes et chavire les coeurs avec sa démarche chaloupée. Une invitation à l’amour charnel. Mais Chamboula est indépendante. Elle accepte de se donner aux hommes qui lui plaise sans vouloir s’attacher à l’un en particulier. C’est aussi une femme moderne, de pouvoir et qui milite pour la liberté de la femme.

Chamboula habite un petit village tranquille au chef respecté. Un village de traditions et où le temps s’écoule selon des rites bien spécifiés.

Tout ce bel équilibre va se trouver mis à bas lorsqu’un ingénieur blanc débarque et remarque la présence de gisements pétrolifères et de pierres précieuses sur cette terre ancestrale.

Avec l’ingénieur débarque le commerce. L’arrivée du premier réfrigérateur, du premier téléviseur, alimentés par un groupe électrogène à pédales va provoquer un snetiment de jalousie et de propriété.

Un sentiment renforcé par les belles images prometteuses du catalogue de la manufacture de Saint-Etienne.

Avec l’ingénieur, Chamboula perd sa liberté. Elle accepte d’être sa compagne pour gagner l’autorité avant que de se débarrasser d’un homme encombrant en ayant recours aux recettes traditionnelles visant à le priver de sa virilité.

Avec l’ingénieur débarque en force la civilisation moderne, celle qui chasse les ancêtres de leurs sépultures et fait rôder leurs âmes en peine. Avec elle, l’arrivée en masse de main d’oeuvre, des constructions hideuses, le bruit et la foule.

Bref, le village ne tarde pas à perdre son âme et sa tranquillité.

Et puis, il y a ceux qui tentent l’aventure de l’expatriation et qui y laissent toujours leurs vies au bout du compte. Ils s’appellent tous “boulot” même si leurs destins divergent beaucoup entre l’intellectuel surdoué qui finit ministre et se fait assassiner ou le pauvre bougre que l’on retrouve gelé dans le train d’atterrissage à Roissy. Ils viennent tous du village et partagent une faim d’un autre monde qui se laisse refuser.

Ces tranches de vie défilent paisiblement, malgré les chambardements, la violence, la soif du gain grâce à une succession de très courts chapitres de 1 à 3 pages en général qui nous donnent à voir les nombreux et pittoresques personnages de cette petite saga et la façon dont ils s’adaptent, ou non, à un monde bouleversé.

Le tout fait penser à un conte, vif, alerte et rythmé, psalmodié et enrichi au gré de l’imagination et du talent du conteur.

Paul Fournel en a beaucoup, ce qui fait de ce livre une véritable réussite.

Fortement recommandé par Cetalir.

Publié aux Editions du Seuil - 343 pages

4.9.09

Avec vue sur le royaume - Jean-Pierre Gattégno

Sans perdre une seconde, trouvez à tout prix ce superbe roman qui exploite brillamment une idée originale.

Imaginez une seconde, qu’une fois morts, avant d’entrer au paradis ou bien peut-être pour l’éternité, vous vous retrouviez au sein d’un super-sonique luxueux. un de ces appareils capables de ravitailler sans jamais faire escale, avec des hôtesses aux petits soins pour vous et qui soignent vos angoisses, vos cauchemars, bref la résurgence des souvenirs de vos vies à coup d’alcool. Car champagne fin et whisky à gogo (le Santari de “Lost in translation” sans autre alternative) coule à flots.

Soudain, un fils d’émigré juifs saloniques qui vient de se faire suicider par amour par son ami de toujours, d’une balle en pleine tête, se retrouve assis à côté d’un vieux monsieur digne et lui-même fils d’un des pires assassins nazis.

Grâce à des écrans en trois dimensions au rendu hyper-réaliste, les souvenirs de chacun des deux voisins va s’afficher, au fur et à mesure qu’ils resurgissent du néant. Des images, des scènes qui vont amener l’un et l’autre à se raconter, à partager le plus intime de leurs vies, leurs amours, leurs vices, leurs espoirs et leurs secrets.

Qu’est-ce qui va pousser le fils d’émigrés à mentir à son compagnon de l’au-delà sur sa personne et à se faire passer pour son ami que son voisin trépassé a connu ? Mais quel est le fil ténu qui relie ces deux hommes qui ne se connaissent pas et qui sont assis, l’un à côté de l’autre, par décision supérieure sans possibilité aucune de s’échapper ?

Que leur faudra-t-il avouer qui est resté caché au plus profond d’eux de leur vivant pour découvrir enfin qui ils sont l’un à l’autre et ce qu’ils ont partagé, sans le savoir, et qui leur était le plus cher ?

C’est avec une émotion remarquable, une finesse incroyable que Gattégno mène son sujet. Nous assistons, bouleversés, au déroulement de ses deux vies sous la forme d’une confession que les images projetées brutalement sur ces écrans hyper-réalistes empêchent d’être retardée.

La tension narrative est souvent brisée par une touche d’humour décapante lorsque les hôtesses empressées accourent pour servir une éternel et même repas et soulager les morts en noyant leurs souvenirs dans un alcool qui a valeur de médicament psychotrope.

Une confession pour gagner le repos et le respect de l’autre. Une confession pour admettre ses erreurs et ses compromissions d’autant plus que l’on peut assister à ce à quoi elles ont conduit puisque l’écran nous projette aussi dans les temps post-mortem.

Et la réalité est souvent implacable et les êtres aimés se transforment bien vite en traîtres, en proie qu’ils sont eux-mêmes à leurs propres tourments, à leurs désirs.

Bref, un très grand livre indispensable à tout amateur de littérature contemporaine originale et de grande qualité.

Un des must de Cetalir, sans hésiter !

publié aux Editions Actes sud - 363 pages