17.9.09

Le septième voile – Juan Manuel de Prada


Si vous avez lu mes deux notes sur Cetalir sur le magistral recueil de nouvelles « Le silence du patineur » et le fascinant roman « La vie invisible », vous savez alors mon admiration inconditionnelle pour ce jeune auteur trentenaire espagnol.

Sa dernière production, « Le septième voile », n’entame en aucune manière le respect que j’éprouve envers de Prada, bien au contraire. Ce jeune homme est un magicien des mots. Il manie la langue avec une hardiesse dans les images, un souci du vocabulaire, un recours subtil aux mots inusités, une syntaxe et une grammaire éblouissantes qu’on ne trouve presque plus dans l’écriture contemporaine. C’est simple, de Prada est le Victor Hugo moderne, version espagnole. Un Victor Hugo qui n’a pas froid aux yeux, prêt à s’attaquer aux institutions, aux tabous, aux secrets malsains.

« Le septième voile » est en effet une analyse détaillée, sans concession, mise au service d’une fresque romanesque dense, des jeux de pouvoir déchirant l’Allemagne nazie occupant la France, la résistance écartelée entre un communisme stalinien et les accents patriotiques gaullistes, les collabos français pressés de s’enrichir et l’Espagne franquiste obligée de pactiser avec les Américains pour tenter de sauver sa peau avant qu’il ne soit trop tard.

Nous découvrons au passage le comportement abominable qu’eut le régime franquiste envers les Catalans et les Juifs, pages sombres de l’Histoire que notre système éducatif se garde bien de nous enseigner.

Le fil conducteur de ce très épais roman est la recherche du père et de sa propre identité. Le roman s’ouvre sur un prologue de cinquante pages où le narrateur, professeur de littérature d’âge mûr, après avoir perdu sa jeune épouse dans un accident de voiture en apprenant au passage qu’elle était enceinte, ce qu’elle lui avait caché, apprend le décès de sa mère. Son père, brisé par l’émotion, lui révèle alors qu’il n’est pas son vrai père. Le prologue se termine sur une phrase sublime, caractéristique du style de de Prada : « Le monde était une nuit sans faille. J’entendais autour de moi la pullulation du néant, teigne prête à pondre. » (p 48).

Commence alors une longue enquête à la recherche du père. Grâce à un vieux prêtre jésuite très anticonformiste, notre homme va peu à peu découvrir qui fut son père et poursuivre une enquête à la recherche d’une vérité troublante.

Son père fut recueilli dans un cirque ambulant financé par le MI6 pour faire passer des Juifs au Pays Basque. Blessé à la tête, à demi-mort, opéré par un chirurgien devenu jongleur, notre homme va revenir peu à peu à la vie, amnésique et devenir un magicien surdoué. Reconnu par un des chefs de la résistance, une fois la guerre presque terminée, il va découvrir qu’il fut lui-même un héros connu sous le nom d’Houdini dont il veut comprendre les faits et la motivation.

Obsédé par la recherche de son identité, devenu fou par paranoïa, survivant dans des conditions sordides une fois la guerre achevée, il va disparaître sans laisser de traces et mener à son tour, des années plus tard, sa propre enquête tout en laissant sa compagne enceinte. Il découvrira que derrière le héros se cache un homme qui fut broyé par la machine de l’Histoire, manipulé par des courants beaucoup plus forts que lui.

« Le septième voile » fait référence à un tableau mettant en scène l’impudique Salomé et symbolise l’ultime parure qu’on ne fait tomber devant personne sauf à plonger dans les abysses de la psychanalyse pour découvrir son véritable moi.

Or c’est précisément cette double quête, celle du fils destinée à comprendre qui fut son père, celle du père n’acceptant pas, a priori, de se reconnaître en ce qu’on lui donne à voir de lui et découvrant, peu à peu, qu’il ne fut que le jouet des autres, qui structure le récit et lui donne une force immense.

On sort forcément ébranlé d’un récit qui dérange, plein de doutes sur ce que nous aurions été nous-mêmes en de pareilles circonstances, scotchés par l’audace de l’auteur qui a su reconstituer avec minutie et précision, tout en conservant une fougue littéraire inébranlable, le Paris de l’occupation.

Impossible de sortir de ce dense roman qui nous hante et vous absorbera pendant de nombreuses heures d’une écriture sublime au service d’une histoire romanesque haute en couleurs et menée d’une main de maître.

Chapeau bas, Monsieur de Prada !

Publié aux Editions Seuil – 694 pages