31.10.09

Tous les hommes sont menteurs – Alberto Manguel


Je faisais la découverte d’Alberto Manguel à travers ce roman récemment publié. Manguel, récompensé par un Prix Médicis Essais en 1998, est Argentin. C’est un être cosmopolite et à multiples facettes, vivant en France depuis de nombreuses années, écrivant habituellement en Anglais et ayant décidé, exceptionnellement, de recourir à l’Espagnol pour accoucher de ce dernier roman.

Manguel fait partie de ces écrivains qui aiment écrire sur l’écriture (comme De Prada ou Jaenada pour prendre deux figures que tout oppose !) et mettent en scène l’homme d’écriture qui se raconte ou promène le lecteur dans les affres de la composition. Attention, ce n’est jamais pompeux, toujours subtilement élaboré, un brin moqueur voire légèrement autocritique.

« Tous les hommes sont menteurs » illustre parfaitement cette tendance tout en se situant volontairement à la croisée de trois chemins : l’intrigue policière, le récit journalistique et la réflexion sur le métier et la fonction d’écrire. Sacrifiant à une tendance de plus en plus forte depuis quelques années, le récit emprunte également une sorte de psalmodie dans laquelle plusieurs personnes (un ami qui se dit très proche, son épouse, son compagnon de cellule au pire moment de la dictature militaire argentine, son éditeur et enfin, celui qui sait tout sur sa mort) vont tenter d’expliquer à un certain Terradillos, journaliste de son état, qui était Alejandro Belivacqua que l’on vient de retrouver mort, le crâne fracassé sur un trottoir.

Bien évidemment, comme dans la vie réelle, chacun des épistoliers a une vision bien trempée du personnage, vision qui présente plus de disjonctions que d’intersections avec celle donnée par le ou les précédents narrateurs.

A la façon d’une enquête policière qui vise à tracer le profil psychologique de la victime pour trouver qui aurait pu lui vouloir du mal au point de le tuer, nous allons naviguer dans le temps et découvrir le personnage terne de Belavicqua. Un homme ordinaire, commetteur de romans-photo populaires, balloté par l’Histoire, victime collatérale de la junte militaire, expulsé malgré lui en Espagne, victime de ses passions amoureuses et auteur apocryphe putatif d’un mystérieux roman qui devint un best-seller dès sa parution.

Comment un tel livre peut-il être l’œuvre d’un personnage si terne ? Quels sont les ressorts de la création littéraire ? Qui est vraiment l’auteur de ce livre ? Qu’est-ce qui fait le succès littéraire ? Ce sont autant de questions que Manguel, qui se met en scène lui-même jusqu’à donner son identité même à l’un des narrateurs, traite avec délectation et brio dans ce petit opuscule.

On savoure la prouesse sans toutefois être emporté par un récit dont l’issue était largement prédictible. C’est ce qui en fait la limite.

Publié aux Editions Actes Sud – 2009 – 200 pages

23.10.09

Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates – Mary Ann Shafer & Annie Barrows


Publié il y a quelques mois, ce livre fut (et continue d’être) un étonnant succès de librairie, objet de diverses louanges.

Pourtant, nous ne nous joindrons pas au chœur laudatif tant ce livre nous a laissé sur notre faim. Le livre fut publié en 2008 aux USA peu après le décès de M.A. Shaffer, ex bibliothécaire de son état. Celle-ci fut assistée par sa nièce, A. Barrows, elle-même auteur de livres pour enfants, pour concocter cet ovni littéraire. Il est écrit clairement par deux amoureuses des livres, aux références solides, doublées d’un brin d’originalité.

On appréciera ainsi la fantaisie des personnages mis en scène et l’understatement si caractéristique de l’humour anglo-saxon qui nous ont arraché, ici et là, quelques timides sourires. Pour autant, nous avouons avoir éprouvé la plus grande difficulté à entrer dans ce roman épistolaire qui ne commence vraiment à trouver son rythme qu’une fois la première moitié achevée. Bref, l’ennui ne fut pas loin de nous guetter avec une agaçante fréquence…

Le thème en est relativement simple. Juliet, écrivain trentenaire vivant à Londres, est en mal d’inspiration. Nous sommes dans l’immédiat après-guerre et Juliet a tout perdu lors d’un bombardement à distance de Londres. Son appartement n’est plus que décombres, ses chers livres, poussières, ses repères éliminés. Elle loge dans un minable petit appartement où elle n’est pas à l’aise et se morfond.

Parce qu’un inconnu résidant à Guernesey lui adresse une lettre en ayant découvert son identité sur un livre acheté d’occasion et qui lui avait appartenu, elle va se mettre à entretenir une correspondance abondante avec une kyrielle d’habitants ayant tous appartenu au cercle littéraire des amateurs de tourtes aux épluchures de patates. Un cercle destiné à tromper l’occupant allemand et où une collection de paysans va peu à peu s’éprendre d’auteurs classiques et tromper la faim, l’ennui, le froid provoqués par la guerre.

Peu à peu, cette correspondance va la faire pénétrer dans l’intimité de familles malmenées par la guerre et soumises à une occupation de plus en plus brutale de l’île.

Poursuivie des assiduités d’un entreprenant éditeur américain, elle va finir par rejoindre l’ile de Guernesey pour faire connaissance de ses correspondants et tenter de lever certains secrets ou fils perdus.

Le livre repose sur une succession de lettres entre les divers protagonistes. Elles s’entrecroisent, donnent parfois différentes interprétations ou versions d’un même événement, traduisent l‘état d’esprit de celles et ceux qui les écrivent puis y répondent. S’entrecroisent des histoires d’amour et des tragédies humaines que la guerre a inévitablement entrainées.

Au final, on aura apprécié une construction assez solide renforcée par une bonne dose d’autodérision, un authentique amour pour les verts pâturages de Guernesey et ses habitants simples, mais il aura manqué un souffle, un allant pour que nous adhérions à ce premier (et dernier) roman de M.A. Shafer.

Publié aux Editions NIL – 391 pages

16.10.09

Amour dans une vallée enchantée – Anyi Wang


Anyi Wang, née en 1954, est une femme écrivain chinoise qui a été récompensée par plusieurs distinctions littéraires en son pays.

« Amour dans une vallée » est un roman sensible, tout en nuances, très féminin et dans lequel la seule action est quasiment celle des pensées qui agitent les deux personnages principaux du livre. C’est donc un roman profondément intimiste et d’un romantisme presque classique. Si vous détestez le genre, alors vous vous y ennuierez, autant le savoir par avance…

Une jeune femme qui travaille dans une maison d’édition chinoise s’ennuie profondément dans son mariage routinier. Son mari n’a pour elle plus aucune surprise à lui offrir, elle se demande pourquoi elle a bien pu l’épouser et le harcèle de reproches souvent injustes et qui ne font que cacher son profond désespoir de ne pouvoir échapper à une vie monotone.

Envoyée sans prévenir dans un colloque d’écrivains chinois dans la province montagneuse et bucolique de Lushan, elle va faire la connaissance d’un jeune écrivain chinois. Une fascination réciproque va bientôt s’emparer de ces deux personnages un peu à la dérive.

Commence alors une histoire d’amour platonique et dans laquelle très peu de paroles sont échangées. Seuls comptent les regards, les petits gestes, les attentions indétectables par les autres et qui témoignent de leur amour impossible. Dix jours passeront ainsi, en espoir, en renoncement, en attente d’un lendemain ailleurs.

Puis la vie monotone reprendra ses droits et ne laissera surnager que quelques images chéries qui permettront de supporter une vie terne.

Pour ma part, n’étant pas du genre romantique, je dois avouer m’être ennuyé ferme dans ce récit par ailleurs bien écrit et superbement traduit. Un livre qui convient probablement plus à un public féminin.

Publié aux Editions Philippe Picquier – 2008 – 147 pages

12.10.09

Black bazar – Alain Mabanckou


Reprenant le thème du gros succès littéraire objet de multiples récompenses que fut son précédent roman « Verre cassé », Mabanckou fait du Mabanckou.

Et c’est bien là le hic… Moins inspiré, moins explosif et caustique, moins abouti que « Verre cassé », « Black bazar » ne pourra éventuellement séduire que les lecteurs qui découvriraient l’auteur avec cette dernière production. Pour les autres, dont je suis, ils resteront clairement sur leur faim.

Certes, le roman est toujours bien écrit et Mabanckou sait toujours autant jouer avec les mots en se moquant gentiment des surprenantes aberrations sexistes de la langue française.

Mais l’histoire de ce Congolais échoué dans les quartiers chauds de Paris et qui vient de se faire larguer par son ex, repartie avec leur fils putatif en compagnie d’un charmeur joueur de tam-tam au pays, ressemble trop à « Verre cassé ».

Comme dans le précédent roman, notre homme passe un temps non négligeable au bistrot avec une bande de potes accros à la Pelforth et qui ont une vision raciste inversée du monde, l’objectif étant de faire payer aux blondes et rousses françaises le prix de la colonisation. Comme dans son succès précédent, les présidents africains à vie et leur cohorte à leur solde en prennent pour leur grade. Comme dans « Verre cassé », l’auteur tente d’exorciser sa misère dans l’écriture et il se met à nous conter sa vie de Noir en terre de France.

Une vie qui condamne aux petits boulots, à vivre dans des logements sociaux minuscules et au confort sommaire. Une vie qui met aux prises d’un racisme ordinaire, ou plus rigolo, d’un voisin de palier antillais qui n’accepte pas sa négritude.

Mais aussi une vie d’homme obnubilé par « la face B des femmes », comprenez leur derrière tentateur et enchanteur qui permet de détecter d’un coup d’œil le côté explosif ou non, au lit s’entend, de la dame. Un regard porté au rang d’art et qui vaut à notre personnage le surnom de « fessologue ».

Bref, il existe quelques traits amusants et choisis mais cela ne tire pas le roman d’une forme d’auto plagiat regrettable.

Publié aux Editions Seuil – 2009 – 247 pages

10.10.09

Plein été - Colette Fellous

Première rencontre, pour ma part, avec cette auteur en vogue. Sentiment mitigé au bout du compte.


Colette Fellous nous mène ici au coeur de plusieurs étés qui ont compté pour elle sous la forme d’un journal intime, non linéaire et dont les pages se remplissent au fur et à mesure qu’un souvenir en appelle un autre. D’où un style forcément décousu et qui peut dérouter.


Ces étés sont ceux de son enfance, à Tunis, rassemblés autour de la nombreuse fratrie et de parents aimants, même s’ils ne s’aimaient plus entre eux. Des étés brûlants où une petite fille découvrait peu à peu ce que grandir signifiait en particulier d’une fait d’une mère en proie à des troubles neurologiques graves qui vont finir par l’emporter jeune et la laisser orpheline.


Des étés où, peu à peu, l’amour se laisse découvrir même si, blocage oblige, certains souvenirs particuliers ont été occultés par une mémoire sélective comme ce qui s’est réellement passé avec ce bel Amor, plus âgé que la petite Colette, et qui a enflammé son coeur et son corps le temps d’un été sans que l’auteur ne sache très bien jusqu’où la frontière n’a pas été franchie.


Il existe de très belles pages dans ce récit de souvenirs comme celles inspirées par les “joueurs de cartes” dont une reproduction meublait le corridor familial, la quête de la maison où la mère fit ses premiers pas et où mettre les siens propres dans ceux de l’être aimée et disparue fait naître un vertige, une fuite du temps.


Il convient de se laisser porter par la non linéarité du récit, par la poésie et la chaleur qui l’habitent pour l’apprécier pour ce qu’il est: une opportunité de nous donner à comprendre, un peu, qui est l’auteur et ce qui l’habite ou la hante.


Publié aux Editions Gallimard - 159 pages

2.10.09

La langue maternelle - Vassilis Alexakis



Ou bien les romans confiés à la sagacité du jury Médicis étaient d’une bien piètre pauvreté, ou bien les membres de cette auguste assemblée ont obéi à un schéma qui, je l’avoue, m’échappe. Toujours est-il que ce prix Médicis 1995 est un roman raté.


Raté par un style ampoulé, alambiqué à souhait et qui se veut souvent érudit mais dont le résultat n’est que d’endormir un peu plus un lecteur qui se demande quand ce périple assommant va bien prendre fin.


Raté par l’incapacité à servir une bien haute ambition dans le thème abordé. Allons donc au fait.


Un émigré grec, dessinateur humoristique pour le compte de grands journaux parisiens, revient au pays après la chute du régime des colonels.


Il y redécouvre sa famille, ses racines, ses souvenirs d’enfance grâce à un frère malheureux en amour et un père, conteur d’histoires pour le gynécée qui l’entoure et malgré tout en proie à des phobies annonciatrices d’un gâtisme avancé. Jusque là, tout va bien.


Là où le roman se met à déraper, c’est lorsque notre émigré, dont le nom (comme celui de l’auteur), ne contient aucun E se met en quête de vouloir comprendre la signification de l’Epsilon qui trônait au-dessus de l’entrée du temple de la pythie à Delphes.


Un mystère non éclairci et qui va conduire notre émigré en mal de pays à un périple désordonné, hasardeux, fait de rencontres plus ou moins cocasses afin d’élaborer une théorie qui en vaudra une autre.


Il y a du bon dans le roman comme l’idée de jeter dans un carnet de voyage un mot, glané au fil du périple, par page commençant par Epsilon et de voir quelle histoire va en sortir. Du bon encore dans l’ambiance des soirées rythmées par l’ouzo, le plaisir de la drague qui sont assez bien rendus.


Mais le récit dérape le plus souvent dans d’ineffables langueurs, une somme de conjectures où l’on se perd sans tarder. Les références à l’antiquité sont difficilement maîtrisées et surtout injectées sans talents, brutes de fonderie et finissent d’assommer le lecteur pourtant docile que je fus.


Au total, je n’avais qu’une hâte, celle d’en finir avec ce roman disons-le, carrément raté. A éviter donc ! Vous trouverez bien d’autres suggestions de lectures passionnantes dans Cetalir pour ne pas perdre votre temps avec celui-ci.


Publié aux Editions Fayard - 313 pages