18.11.09

La vérité sur Marie – Jean-Philippe Toussaint


Voilà un roman coup de poing, hallucinatoire, qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus. Bâti sur un rythme endiablé, reposant sur une écriture d’une éblouissante précision et dotée d’un pouvoir de séduction extraordinaire, ce roman s’impose comme l’une des œuvres majeures de la rentrée littéraire 2009. Il fut d’ailleurs très justement récompensé par le « Prix Décembre » (qu’on avait parfois connu moins inspiré…).

C’est une forme de malédiction qui semble coller aux basques de Marie, jeune femme aux multiples et troublantes facettes qui font d’elle un personnage énigmatique, déroutant et donc attirant. Une malédiction construite en trois chapitres clairement distincts, décalés dans le temps, comme autant de chemins de traverse à suivre pour découvrir la vérité sur cette femme fragile, sous des apparences trompeusement décidées, qu’est Marie.

Le premier chapitre est en soi une véritable prouesse littéraire. Marie, jolie trentenaire qui vient de se séparer de son compagnon au retour d’un voyage au Japon, vient de faire l’amour avec un homme proche de la cinquantaine. Ecrasée par un été parisien étouffant, la ville cède à un orage dantesque. Soudainement, l’amant s’effondre victime d’une crise cardiaque. C’est à la mort en direct de cet inconnu que nous allons assister sans qu’aucun détail ne nous soit épargné, avec un luxe de précision et un style qui rend de façon haletante l’urgence des gestes et la détresse d’une Marie qui n’a pas d’autre recours que d’appeler à l’aide son ancien compagnon. Le chapitre se conclut sur un étrange et troublant rapprochement de deux êtres qu’on devine tourmentés et encore passionnément attachés l’un à l’autre. Un climat de mystère s’est installé.

Sans transition s’ouvre un deuxième chapitre qui se déroule quelques mois plus tôt. Nous découvrons la rencontre de Marie et de celui qui allait devenir son amant et allons assister à une nouvelle scène de folie. Elle est tout aussi brillamment exécutée que la première et, comme elle, se déroule de nuit, sous un nouvel orage diluvien qui inonde les pistes de l’aéroport Narita à Tokyo. L’amant, éleveur de chevaux de son état, va devoir lutter avec un étalon qui refuse d’embarquer dans le box de chargement et qui, pris de folie, va partir en un galop de légende et au plus profond de la nuit zébrée d’éclairs sur les pistes d’un aéroport aussitôt transformée en enclos de rodéo. On croit que la tension va alors retomber, une fois l’animal capturé, mais JP. Toussaint se lance alors dans une nouvelle épopée associée au récit d’un voyage en soute mémorable et éprouvant pour les nerfs. Fin du chapitre. Un moment de littérature éblouissant et absolument saisissant, qui prend aux tripes.

Le troisième chapitre nous montre Marie, quelque temps plus tard, dans sa petite maison de l’île d’Elbe. Elle y est seule s’occupant de remettre de l’ordre dans un jardin torturé et en s’occupant des chevaux que lui a laissés son père à sa mort. Le compagnon narrateur refait une apparition inattendue. Un jeu trouble de séduction réciproque, jamais consommée, suggestive et insupportable commence. Les conditions sont alors de nouveau réunies pour nous projeter dans une nouvelle scène infernale où un incendie de chaleur se déclenche nuitamment. Une nuit qui hante décidément JP. Toussaint et qui se pose comme autant d’inévitables transitions vers un ailleurs inconnu et inattendu. Là encore, l’auteur sait happer des lecteurs conquis et les plonger au cœur même de la destruction inexorable qui est à l’œuvre.

Trois chapitres pour dire la perte d’un amour, le désir de l’autre toujours présent, et un jeu complexe de séduction qui ne peut progresser que dans le drame que semble déclencher Marie malgré elle. Trois chapitres d’une remarquable densité et d’une maîtrise stylistique devenue rare. Un jeu brillant déroulé sur un rythme effréné, aux confins de l'hallucination.

On en sort abasourdi, enthousiaste aussi et en concluant qu’un grand, très grand livre, est né !

Publié aux Editions de Minuit – 2009 – 205 pages