28.12.09

Sourde angoisse - Pat Barker


Ce roman s’inscrit dans la grande tradition des romans britanniques, à la limite de la psychologie et du policier. Pas de meurtres, mais un lent malaise qui s’installe lourdement quelque part en Ecosse, au beau milieu des bocages et des champs. Une région sinistrée et qui se remet difficilement de l’abattage forcé des moutons, épidémie de fièvre aphteuse oblige.


La caractéristique majeure de ce roman qui sait vous tenir en haleine, est de mettre en scène des êtres en reconstruction. Toutes et tous sont en recherche difficile du sens à donner à leur vie après une série d’épreuves dont ils ont peine à se remettre. Ces personnages qui interfèrent entre eux et partagent des bouts de passé commun, directement ou indirectement, vont progressivement trouver en l’autre le moyen de repartir de l’avant, malgré le poids du malheur.


Ainsi nous trouvons tout d’abord Kate, une encore belle femme d’une cinquantaine d’années, sculpteur et qui va être brutalement victime d’un étrange accident de circulation. Ejectée de son véhicule, elle se retrouve gravement blessée, hospitalisée alors qu’elle doit exécuter une commande d’un Christ grandiose, oeuvre majeure de sa vie. La scène de l’accident est absolument remarquable et inscrit immédiatement l’oeuvre dans une atmosphère d’étrangeté grandissante.


Comment accepter de se faire assister, à sa sortie, alors qu’elle ne peut supporter la moindre présence dans son atelier ? En quoi la réalisation de ce Christ en tous points différents des habituels poncifs va-t-elle lui permettre de trouver un nouveau sens à sa vie alors qu’elle vient de perdre son mari, Ben, grand reporter, abattu en Afghanistan ?


Elle va faire la connaissance de Stephen, ex grand-reporter de guerre, compagnon de travail et d’infortune de toujours de Ben et qui a assisté à la mort de celui-ci. Stephen vient chercher la paix dans le cottage de son frère pour écrire un livre en hommage à Ben. Un livre qui marque la fin d’une vie professionnelle et le début d’une nouvelle ère personnelle. Stephen vient de quitter son épouse et est en plein divorce, en recherche d’un nouveau sens lui aussi. Stephen jouera un rôle central, véritable plaque tournante entre ces êtres perturbés.


Est-ce Justine qui saura lui donner une réponse, un sens, la jeune et délurée fille du Pasteur qui garde le fils bizarre, un rien autiste du frère de Stephen ? Justine vient de vivre un cuisant échec amoureux, se remet d’une mononucléose et ne sait trop quoi faire en attendant de reprendre ses études de médecine.


Et quel rôle peut bien jouer Peter, protégé du Pasteur, jardinier à se heures, homme à tout faire de Kate, assistant obligé et obligeant, prisme déformateur du Christ statufié et pastoral. Quel passé trouble cache-t-il derrière une attitude toute en retenue ? Pourquoi est-il si insaisissable, si troublant ? Quel lien entretient-il avec les autres acteurs ?


Quant au Pasteur, il s’est fait larguer par son épouse et vit une romance tardive avec une paroissienne déjantée, adolescente attardée et amoureuse de ses moutons disparus. Un homme bizarre et qui cache derrière l’amour du Christ un caractère emporté et une vie de rancune. La risée de la Paroisse où il s’est volontairement laissé enfermé pour cacher une absence de sens.


Autour de ce quatuor gravite un autre couple, le frère et la belle-soeur de Stephen, dont la solidarité de façade ne résistera pas longtemps à une observation attentive. Encore une femme qui se réfugie dans un futile et frénétique jardinage pour fuir une vie sexuelle inexistante, un enfant asocial, une vie vide de tout sens.


Bref, tout ce petit monde va s’influencer et c’est la passionnante observation de ces fils, de ces mots, de ces interactions qui est mise en scène, pas à pas, avec précision et talent. Peu à peu, la tisse se toile, le puzzle prend forme.


Pas de spectaculaire mais un malaise qui grandit et qui va laisser les uns avec des réponses, certains sans.


Recommandé par Cetalir


Publié aux Editions Philippe Rey - 269 pages

Noces au paradis - Mircea Eliade



Je n’ai qu’un mot à vous dire : passez votre chemin ! Ce roman d’un obscur écrivain roumain est l’un des plus mauvais qu’il me fut donné de lire. C’est dire...


Le style est d’une lourdeur odieuse, l’histoire d’un convenu absolu. A se demander comment un tel ouvrage peut être publié face à l’abondance de qualité.


Deux inconnus, fourvoyés dans un relais de chasse des Carpathes vont se relater l’histoire d’amour qui les a bouleversés et les a laissés différents. Mettons...


Il aurait pu y avoir un brin de folie, une passion dévorante, une soif de débauches, une fuite vers un ailleurs éthéré. Rien de tout cela. Nous sommes englués dans la société bourgeoise dans le Bucarest de l’entre-deux guerres et n’avons qu’une hâte : nous enfuir ! Trop de réceptions, aucune émotion, aucun charme, aucune imagination. Mais pourquoi donc avoir publié cette nullité absolue dans la collection de l’Imaginaire ???


Déplorable, rasoir, bref à fuir !


Publié chez Gallimard - 265 pages

19.12.09

Technosmose - Mathieu Terence



La réussite de certains livres tient en partie à leur capacité à saisir d’emblée le lecteur, à ne plus le lâcher ensuite, même si le rythme ou l’écriture ne sont pas toujours de qualités égales.


C’est ce qui arrive avec “Technosmose” dont la scène d’entrée est un véritable morceau de bravoure. Rarement fouille au corps n’aura été décrite avec ce mélange glacial et glaçant de précision médicale et de déshumanisation. Mathier Terence nous fait entrer brutalement, avec son personnage principal, dans un univers carcéral du XXIe siècle.


Iris est une française de trente ans qui vient d’être condamnée à 18 ans de prison pour avoir tué son mari. Elle est incarcérée dans la prison souterraine ultramoderne située à Atlin, dans le Grand Nord canadien, pays où elle a commis son crime.


Sitôt arrivée, Iris n’aura qu’un objectif en tête: s’échapper d’une prison ultra-moderne, bourrée d’équipements technologiques surveillant les moindres faits et gestes de ses pensionnaires et réputée inviolable. Nul sentiment, nulle pulsion ne peut échapper à la caméra. Impossible de protéger la moindre intimité.


La prison d’Atlin symbolise ce que ce monde nouveau, hyper-technologique a de plus sophistiqué. Un environnement où tout est pensé, auto-régulé, auto-surveillé grâce à un savant dosage de soins médicaux personnalisés, visant à une intégration harmonieuse des pensionnaires et une surveillance de tous les instants par un système de capteurs et de caméras décelant le moindre mouvement suspect.


Cette prison a été réalisée par un architecte d’origine hollandaise, vivant au Canada.


Cet architecte fait venir à lui un modeste rédacteur français qu’il va charger de rédiger sa biographie. Ce rédacteur va se prendre de passion pour Atlin et Iris, créant ainsi un lien indirect à distance dont nous comprendrons le dénouement à la toute dernière ligne.


Il y a du “The Island” dans le propos et la manière. M. Terence réussit à rendre avec un très grand talent l’atmosphère prévalant dans un centre d’incarcération modèle avec ses règles officielles et ses contournements. Le rythme est fait d’alternance entre brusques accélérations et la langueur monotone des journées au contenu dosé et surveillé.


La façon dont les rapports humains sont décrits est remarquable et l’auteur sait distiller au goutte-à-gouttes un suspense et une tension remarquables.


Quelle est véritablement la relation qu’entretient Iris avec son frère, quel rôle a-t-il joué dans la mort de son beau-frère ? Quel est le lien qui relie, à distance, Iris et le narrateur ?


Grâce à de remarquables descriptions, nous sommes plongés d’emblée dans un univers codé et où il convient de respecter les règles faute de subir une sanction immédiate et dissuasive.


Pourtant, il doit bien exister un moyen de s’échapper ?


Quel rapport entre ce lien et le body-buildisme auquel Iris va se livrer avec passion ? Un univers où la musculature se développe, en environnement carcéral à coups de dosages chimiques massifs car les meilleurs doivent emporter à tout prix les concours nationaux et internationaux afin de renvoyer l’image d’une prison modèle et moderne.


Certes, tout n’est pas parfait dans ce roman original. La deuxième partie traîne parfois un peu en longueur ou manque de profondeur, ici ou là.


Mais, le livre refermé, j’en conserve une image positive, intrigante, bien meilleure en tous cas que la plupart des romans de projection dans notre monde de l’immédiat après-demain blogués jusqu’ici dans Cetalir.


Publié aux Editions Gallimard - 236 pages



12.12.09

L’implacable brutalité du réveil – Pascale Kramer


Les lecteurs assidus de Cetalir savent toute l’admiration que nous avons pour Pascale Kramer. Cette auteure puise son inspiration dans d’implacables surgissements dramatiques qui, tout à coup, font basculer des vies (cf « Les vivants » ou encore « Onze ans plus tard » par exemple). Autant de situations qui entraînent P. Kramer à plonger dans les ressorts intimes de ses personnages, à malaxer toutes les formes de désespoir, de lâcher prise dont résultent des existences le plus souvent vides, ratées à cause de mauvais choix. Autant de récits emprunts de drame, de tension et de tristesse qui sont le terreau de l’auteur. Il en résulte des livres intimistes et sombres mais formellement beaux.

Son dernier roman s’inscrit dans cette lignée à une nuance de taille près. Autant ses écrits précédents prenaient un point de vue egocentrique et introverti, autant « L’implacable brutalité du réveil » emprunte une forme plus classique dans laquelle les dialogues prennent une place inhabituelle dans la production de l’auteure. Voilà qui devrait lui amener un public moins averti d’autant que le livre est mince et se lit donc très rapidement.

C’est de dépression dont il est question dans le dernier roman de Mme Kramer. Plus exactement, du sentiment de vide, de ratage qui peut s’emparer de certaines femmes qui viennent d’accoucher et se trouvent confrontées à une nouvelle existence à laquelle elles sont incapables de faire face par inconscience ou manque de maturité, parfois.

Alissa et Richard forment pourtant un couple apparemment modèle. Ils s’aiment depuis neuf ans, passaient pour le couple le plus sexy du campus universitaire et sont mariés depuis peu. Alissa vient de donner naissance à Uma, une petite fille vorace, colérique et forcément possessive puisqu’entièrement dépendante.

De retour de l’hôpital, Alissa commence à tout remettre en cause, intérieurement du moins, sans jamais l’exprimer autrement que par des actes plus ou moins conscients dont la gravité et l’intensité vont aller croissant avec celles de la crise qui la secoue. Elle abhorre cet appartement pourtant doté d’une piscine extérieure sous les cieux propices d’un état américain ensoleillé. Elle ne comprend pas comment elle a pu se laisser aller à donner vie à une fille pour laquelle elle n’éprouve que ressentiment et détestation de plus en plus forte. Elle n’aime plus son corps qui s’est empâté et lui refuse toute sensation de bien-être. Avoir décidé d’arrêter de travailler lui apparaît depuis comme un non-sens, une alénation. La perspective de vivre toute sa vie avec Richard lui devient un cauchemar dont la réalité va augmenter au fur et à mesure que celui-ci, perturbé par le comportement inexplicable de sa femme et bouleversé par le retour de Jim, mutilé d’une guerre inutile dans un désert où il ne se passe rien, va lui aussi perdre pied.

A cela s’ajoute que la mère d’Alissa lui annonce le divorce d’avec son père, sa liaison décennale avec un Allemand et que la maison familiale, point d’ancrage solide et stable, sera vendue. Alors Alissa va « péter les plombs » et multiplier les attitudes d’exclusion et de rupture car il faut bien chercher inconsciemment à légitimer in fine, rationnellement, une suite d’actes insensés qui ne peut conduire qu’au drame.

P. Kramer excelle à créer en quelques pages un univers d’autant plus dramatique que la normalité devient l’inexplicable, puis l’inexcusable, pour celles et ceux qui sont extérieurs aux tensions, aux pulsions, aux phobies qui agitent les personnages tourmentés qui peuplent ses romans. Pourtant, nous avons trouvé ce livre significativement moins réussi que les précédents comme s’il manquait une certaine lenteur, un facteur temps qui aurait donné plus de densité et d’impact encore à ces vies qui vont inexorablement se broyer.

Publié aux Editions Mercure de France – 2009 - 141 pages

6.12.09

On ne boit pas les rats-kangourou – Estelle Nollet


Un titre étrange, qui retient l’attention, pour un livre assez fascinant qui nous a, par moments, rappelé l’univers étrange, noir et solitaire, perdu en plein désert qu’avait dressé Percival Everett dans « Blessés ». Un beau compliment quand on sait que le livre d’Estelle Nollet est son premier roman !

Que font ces quelques hommes et femmes échoués en plein désert ? Ce hameau de quelques âmes semble avoir été abandonné de tous. Seuls s’y trouvent un bar glauque, repoussant de saleté et où l’alcool semble couler indéfiniment à flot, et une épicerie fournissant l’essentiel. Ces deux commerces sont ravitaillés par des camions venus de nulle part et qui n’acceptent de livrer que si personne ne les voit comme s’ils avaient peur d’être pris à partie et que l’on tentât de s’emparer d’eux pour fuir.

Car chacune des femmes, chacun des hommes apparaît comme reclus dans ce lieu maudit, abruti de soleil, manquant d’eau, isolé du monde. Ils semblent avoir cherché depuis des années la sortie en sillonnant les collines de pierrailles, en s’écorchant les pieds et les âmes pour revenir, toujours, dans ce bar qui cristallise le renoncement et donne à chacun à voir dans celle des autres sa propre infâmante déchéance.

Dans cet enfer(mement) se trouvent deux êtres singuliers qui sont les seuls à n’avoir pas été menés ici car ils y sont nés, à peu de temps d’intervalle. Il y a Willie, 25 ans, qui cherche un sens à une vie qui en est dépourvue depuis qu’il a vu mourir, à dix ans, ses parents dans l’incendie de leur ferme. Il y a Doug, le simple d’esprit, son unique ami, du même âge, fils d’un couple effacé et qui se tient en marge de la bande d’alcooliques qui forme l’essentiel de cette échappée de l’enfer. Un fils qui passe son temps à creuser des trous, béatement, sous un soleil de plomb, pour les faire admirer à Willie.

Alors, un jour, sans crier gare, Willie décide de partir à la recherche des raisons qui font qu’on ne peut s’échapper de ce village maudit, de comprendre en quoi cet emprisonnement physique et mental est porteur, ou non, de sens. Pour cela, il va lui falloir interroger les habitants, un à un, amener à les confesser pour qu’ils acceptent de dire ce qui les a, chacun, menés jusqu’ici.

De beuveries en errance, au fil d’un temps qui n’en finit pas de s’écouler, chacune de ces âmes perdues va laisser apparaître les grandes ou les petites raisons qui font qu’ils ont en quelque sorte renoncé à vivre.

Au fur et à mesure que cette recherche de sens progresse, un climat de tension dramatique s’installe et se densifie. Car Willie ne pourra faire l’économie de comprendre comment et pourquoi ses parents sont morts en même temps qu’il découvrira d’autres morts restées jusque là précieusement cachées. Une quête de vérité qui va petit à petit casser les codes en usage, faire exploser le groupe jusqu’à ce que les conditions d’un drame soient réunies pour finir par éclater.

Du chaos et du sang jaillira l’espoir, le courage de voir les choses autrement que celles aux quelles on s’est résigné. C’est un livre fort, brillamment construit, à la fois pudique et terrifiant, mélange de conte fantastique et de tragédie classique, une sorte de descente dans l’enfer psychique que nous donne Estelle Nollet. Une sacrée réussite qui devrait signer la naissance d’un auteur sur lequel compter.

Publié aux Editions Albin Michel – 2009 – 328 pages

5.12.09

Je m’en vais - Jean Echenoz



Voilà de la littérature solide, bien écrite ! Jean Echenoz est un maître des lettres et sait associer de façon surprenante les mots souvent communs pour en tirer des images d’une force et d’une poésie surprenantes. Quand, en outre, il y injecte un humour décalé, le lecteur passe un moment agréable, servi par une histoire amusante et pleine de rebondissements.


Un galeriste quitte, sans mot dire, son domicile conjugal en laissant les clés sur le meuble de l’entrée. Un départ définitif, la fin d’une vie impossible, à deux. Il se rend, impatient, chez sa maîtresse dont il va, bien vite, se lasser.


De fil en aiguille, le marché de l’art déclinant, les artistes promus se trouvant en manque d’inspiration, il va finir par céder à son assistant à la tenue constamment négligée et qui semble épuisé par la vie. Un incroyable trésor d’antiquités inuïtes est échoué sur la banquise au large du Canada. Il attend, depuis des années, qu’un inventeur se l’accapare et promet fortune immense à qui saura se l’approprier.


Fauché, financièrement parlant, déçu de la vie parisienne, rasé par les conquêtes féminines sans lendemain et sans saveur, notre homme s’embarque pour un périple audacieux dans le grand Nord.


C’est là un des grands moments du livre, d’une incomparable drôlerie dans sa confrontation d’un occidental blasé et revenu de tout et quelques esquimaux un peu poètes, bruts de fonderie, aux moeurs aussi simples que l’ennui qui les habite est profond !


Nous arrêterons là le récit qui connaîtra de nombreux rebondissements et évoluera peu à peu vers une sorte de roman noir à la grande tenue littéraire et à l’humour décapant.


Certes, ce n’est pas un livre qui marquera l’histoire de la littérature, mais c’est un livre bien fait, encore une fois superbement écrit (certaines comparaisons forcent l’admiration !) et où une collection de personnages pittoresques, déglingués par la vie, brinquebalés par des histoires qui finissent toujours par les dépasser évolue dans un ballet très bien orchestré. Un livre où l’ennui qui habitent les personnages est un trait de caractère commun. Mais un ennui professionnel, structurant et poussant à des actions souvent orthogonales à ce que l’on aurait été en droit d’attendre des personnages mis en scène, d’où un humour très anglo-saxon.


Le lecteur, baladé de surprise en surprise, se prend donc à tourner fébrilement les pages, tout en prenant soin de savourer certains passages d’une inventivité littéraire extraordinaire, jusqu’à refermer, repus et heureux, un livre solidement réalisé.


Bref un petit bonheur...


Publié aux Editions de minuit - 253 pages