26.12.10

Deuils de miel – Franck Thilliez


Ce superbe et haletant roman noir, un maître du genre pour le dire tout de suite, nous emmène loin, très loin dans l’insondable capacité humaine à la perversité, la cruauté, l’élaboration extrême que la vengeance longuement mûrie peut prendre dans un esprit mixant intelligence supérieure et dérangements psychiatriques graves.

Très vite, le ton est donné. Une femme est retrouvée morte, nue, le crâne rasé, dans une posture infâmante au fond d’un confessionnal. C’est un mélange de références religieuses morbides, de codes secrets, d’indices volontairement semés par un criminel surdoué qui constitue la trame d’un roman fort bien charpenté et qui tient le lecteur en haleine sans jamais relâcher une étreinte totale.

On y retrouve une ambiance « Rivières pourpres », une atmosphère lourde où la normalité repose sur une anormalité totale, systématique, transgressive. Rien n’est sacré, sauf l’horreur mise en scène avec sophistication.

Les supplices infligés aux victimes sont épouvantables, réalisés selon des rites codés, à base d’insectes qui dévorent les êtres de l’intérieur dans d’atroces douleurs. Toutefois, la lecture reste parfaitement supportable, Thilliez sachant rester en permanence sur l’exact fil du rasoir entre une écriture hyper-réaliste et une description qui deviendrait médicalement insoutenable.

L’enquête est menée par le commissaire Sharko, déjanté, flic génial mais incontrôlable, homme désespéré depuis que son épouse et sa fille ont été tuées par un chauffard.

Elle nous fait sillonner la France et le Paris interlope, le monde des spécialistes des insectes et celui des textes religieux abscons.

Avec un commissaire comme Sharko aux commandes, cela donne des scènes d’action éclatantes, des actes de bravoure incroyables, des coups de tête qui par leur inspiration géniale vont faire extraordinairement progresser une enquête difficile.

Derrière ce dernier meurtre, c’est une menace de mort collective qui va bientôt surgir et mettre les autorités publiques sur les dents.

L’intrigue est d’une rare densité et la documentation entémologique considérable. La capacité de nuisance des milliards d’insectes est absolument stupéfiante lorsqu’elle tombe dans les mains d’un fou…

Tout est mis en œuvre pour intriguer un lecteur scotché à son siège : raffinement du scenario, lutte de pouvoir dans la police, petite fille troublante et mystérieuse qui apparaît sans qu’on ne l’attende jamais et qui se comporte comme une adulte perverse, meurtres codés… Mais tout finira par s’expliquer bien sûr !

Que vous soyez ou non amateur du genre, ce roman noir est définitivement à lire.

Alors…

Publié aux Editions Rail Noir – 330 pages

23.12.10

Hommes entre eux – Jean-Paul Dubois


Si vous ne connaissez pas Jean-Paul Dubois, prolifique auteur contemporain, alors voici une occasion de le découvrir sans hésiter.

Ce roman féroce, noir, aussi sombre que les hommes qui se déplacent sur la neige immaculée du grand Nord canadien où le livre se déroule, est une pure réjouissance. On est immédiatement happés par le désespoir qui habite ces deux hommes qui s’ignorent et qui vont se découvrir, simplement parce qu’ils ont aimé la même femme.

Paul Hasselblank vit à Toulouse. Il est gravement malade, condamné et survit dans l’attente fatale à coups de piqûres et de médicaments de plus en plus puissants. Avant de mourir et pendant qu’il le peut encore, physiquement parlant, il veut comprendre pourquoi sa femme l’a quitté et ce qu’elle est devenue. Pour cela, il ne dispose que de très peu d’indices, une courte lettre postée d’un coin paumé du fin fond du Canada.

Arrivé sur place, il se confronte à une succession d’inconnues. Comment apprivoiser le froid, comment conduire sur la neige avec une Buick aussi traître que la pellicule de glace qui recouvre la chaussée. Comment comprendre les us et coutumes de ce coin si reculé où l’attraction locale consiste à se faire battre quasiment à mort des hommes entre eux, à mains nues, en laissant hurler une horde de fous furieux abrutis d’alcool, d’ennui et de haine et qui a parié sa paye sur l’improbable vainqueur de ce combat d’un autre temps.

Paul va croiser une galerie de personnages extraordinairement pittoresques. Un hôtelier d’origine indienne qui ne croit plus en l’humanité et qui ne cesse de pleurer le temps passé, celui du respect d’autrui et des choses, celui d’un hôtel qui avait de la classe. Un regret qui le conduit à n’avoir plus foi en l’humanité, à se réfugier dans d’improbables et inutiles travaux d’un bâtiment qui se délite puis à tomber sous le charme du Français, tout simplement parce qu’il se comporte en humain responsable.

Paul va également rencontrer un naturaliste pervers, hautain et qui prend un malin plaisir à jouer avec lui, à le traîner sur un chemin d’épreuves pour lui concéder le nom de l’homme chez qui la femme de Paul a fui avant de disparaître.

Floyd Paterson est ce deuxième homme, celui qui a pris sa femme ou plutôt que sa femme a choisi. Mais elle est partie, a subitement disparu sans laisser de traces.

Floyd est un rustre solitaire, une force de la nature qui vit avec une tare. Il a subi la greffe d’un cœur d’un meurtrier d’enfant, il vit grâce à la mort d’un homme qui donnait lui-même la mort. Et Floyd vit bien dans sa cabane en solides rondins. Il passe son temps à pêcher et chasser en tuant ses proies à l’arc à poulie. Que fuit-il en vivant en solitaire, se nourrissant de la chair de ses proies ?

De là, une histoire va se tisser entre ces deux hommes qu’une femme relie. Une histoire qu’un blizzard apocalyptique va accélérer, dramatiser à l’excès.

Une histoire pour permettre à Paul de comprendre qui il est, d’évacuer ses démons. Une histoire pour découvrir aussi ce qu’est devenue sa femme. Une histoire pour permettre à Floyd de s’accepter, de faire la paix avec sa famille, de trouver un goût de vivre à deux.

Le livre emprunte tour à tour des chemins surprenants et nous mène de surprise en surprise. On entre dedans de plein pied et on est immédiatement captivés par l’atmosphère lourde qui s’impose immédiatement. Chaque personnage, même secondaire, est un petit chef-d’œuvre d’humanité déliquescente.

Peu à peu, le livre prend un tour policier et psychologique, de plus en plus singulier. Hanté par « Aguirre ou la colère de Dieu », Paul observe Floyd manier des flèches qui tuent avec un côté sublime des proies surprises dans leur émotion la plus totale. Mais quelles flèches le destin réserve-t-il à son tour à ces « Hommes entre eux » ?

Rendez-vous page 232 vers une fin inattendue et extraordinaire.

Bref, foncez lire ce superbe roman !

Publié aux Editions de l’Olivier – 232 pages

20.12.10

Alabama Song – Gilles Leroy


Nous voici réconcilié avec Gilles Leroy ! Après une première tentative, renouvelée, avec « Grandir » que nous avons franchement détesté, « Alabama Song » fut la bonne. Il est vrai que ce roman fut récompensé du Prix Goncourt en 2007, mais ceci n’est pas nécessairement le gage absolu d’un grand livre.

Avec « Alabama Song », Leroy se lance dans le genre roman historique fictif. Reposant sur l’étude attentive de la vie du romancier américain des années trente Scott Fitzgerald et de son épouse Zelda, Leroy échafaude la vie échevelée que fut celle de Zelda.

Dès son enfance, Zelda fut à part. Terriblement séduisante, elle représentait la tentation interdite absolue pour les hommes de l’époque : fille du juge puis du gouverneur de l’Etat d’Alabama, avant que ce dernier ne devienne Président de la Cour Suprême, elle était l’incarnation de l’establishment.

Une incarnation que son intrépidité, son caractère rebelle, sa folie (déjà car elle finit par l’emporter, accidentellement à quarante deux ans) a combattu de toute son énergie. Elle rencontra Scott du temps de la première guère mondiale alors qu’il était un séduisant officier américain, organisant le carnet de bal du général sur l’aéroport où cantonnait la troupe.

Elle crut en ses talents d’écrivain avant tous. Elle l’aida, le porta, l’épousa contre sa famille. Elle contribua à son succès fulgurant et devint, avec lui, l’égérie des années folles, se livrant à toutes les débauches possibles.

Mais la vie devint assez vite un enfer. Scott sombra dans l’alcoolisme, ce mal si américain et dans l’impuissance, lui qui n’était pas porté sur la chose.

Zelda dut trouver un nouveau sens à sa vie, tentant d’exister par et pour elle-même comme danseuse, comme écrivain puis comme peintre. Tentatives qui ne connurent pas le succès escompté et qui lui valurent de sombrer de plus en plus dans la dépression jusqu’à être internée de force par son époux après des querelles incessantes et de plus en plus violentes.

C’est cette spirale vers le néant que nous décrit avec précision, mécaniquement, Gilles Leroy. Une descente des plus hautes marches de la gloire vers la déchéance, l’oubli, l’abandon, l’argent fuyant lorsque les succès littéraires ne sont plus au rendez-vous. Une descente qui écrase tout sur son passage, qui broie l’amour, la santé mentale et physique, qui finit même par arracher de force une enfant à sa mère. Une descente qui révèle l’homosexualité latente de Scott, sa tyrannie, ses tricheries pour continuer d’exister un peu, littérairement parlant.

Bref, un livre poignant, vrai, bouleversant pour dire le destin tragique de deux des plus grandes gloires des années folles avant que la deuxième guerre mondiale n’emporte tout.

A lire absolument.

Publié aux Editions Mercure de France – 190 pages

17.12.10

Cinq photos de ma femme – Agnès Desarthe


Décidément, la production d’Agnès Desarthe a quelque chose d’irrégulier. Nous avions été sur notre réserve avec « Le principe de Frédelle », emballé avec « Un secret sans importance » et serons partagé sur « Cinq photos de ma femme ».

Dans ce roman, publié en 1998, c’est au thème de la vieillesse, du soir de la vie, des souvenirs, du sens donné à ce qui a été vécu et qui reste à trouver à une courte période encore à vivre, que la romancière s’attaque.

Pour Mathusalem, rebaptisé Max à son arrivée un peu obscure en France, juif russe chassé au temps des pogroms, le temps a bien du mal à couler depuis que son épouse, Telma, est décédée.

Telma l’obsède et l’observe à distance, par la puissance de la pensée, des bons et des moins bons souvenirs. Telma fut entreprenante, ce fut même elle qui prit l’initiative de séduire Max, après la guerre, une fois son premier mari disparu.

Telma fut souvent, aussi, irritante, distante, tranchante et empêcha bien souvent Max de poursuivre la voie qu’il aurait aimé prendre. Il voulait être chauffeur de locomotive, il fut ouvrier d’entretien de machines textiles, dans la même entreprise que sa femme parce que celle-ci l’a voulu et qu’elle détestait prendre le train.

Alors Max s’ennuie. Ses enfants sont partis vivre à l’étranger, au Japon et en Bolivie. Il ne les voit jamais et correspond régulièrement avec eux pour raconter avec cet humour juif russe un peu sarcastique et amer ses petites et grandes pré-occupations. Max est pris d’une idée bizarre : il décide de faire réaliser un portrait posthume de son épouse par un artiste peintre. Comme il n’en connaît aucun, il part à la quête via les pages jaunes.

Commence alors un périple qui l’amènera à rencontrer un artiste irlandais qui réalise une fresque pour la ville de Caen, ne prend jamais de commande de particulier et vit avec une femme séduisante et charmante malgré un visage totalement ébouillanté.

Il rencontrera aussi une artiste qui n’en a que le nom, mère élevant seule ses deux enfants, sans revenus, dépressive et qui va se jeter sur cette commande avec une folie et un manque de talent sans commune mesure.

De fil en aiguille, par le fruit du hasard ou des commentaires qui circulent au sein de son club de bridge, Max va faire des rencontres inattendues. Celle d’un couple non sexuel d’étudiants des Beaux-Arts, timides, craintifs. Elle est peintre, lui passionné de vidéo. Max devra se raconter, sans fil, pour obtenir le tableau attendu.

Max se fera aussi happer par une voisine de plus de soixante dix ans, encore verte, et qui rêve de réaliser ce portait contre une nuit d’amour torride.

Bref, au fil des rencontres, c’est la vie de Max qui se repasse, les souvenirs qui viennent ponctuer des situations cocasses, une stratégie défense qui a fait ses preuves face aux Russes, aux allemands et à Telma.

Telma qui est omniprésente, Telma qui commente à distance ses faits et gestes, Telma qui le hante et dont il n’arrive toujours pas à se défaire.

C’est une forme de parcours expiatoire que suit Max, un parcours pour purger ses angoisses, ses regrets. Un parcours pour se défaire d’une épouse morte et encore encombrante. Un long chemin tortueux pour enfin décider seul de ce qu’il veut vraiment faire.

Le livre est habile, bien construit, souvent auto-dérisoire. Pourtant, il manque un allant, une pointe de folie pour en faire un livre qui sorte vraiment de l’ordinaire. On s’y ennuie un peu, au fond, comme Max dans sa vie.

Publié aux Editions de l’Olivier – 189 pages

13.12.10

L’héritage impossible – Anne B. Ragde


Avec ce nouvel opus se clôt la trilogie des Neshov (voir « La Terre des mensonges » et « La Ferme des Neshov » dont les notes de lecture sont disponibles sur Cetalir). On y retrouve la bande de personnages cocasses et attachants qui firent le succès (un peu incroyable à nos yeux cependant) des deux premiers volumes.

Ce troisième volet s’ouvre sur un nouveau drame, celui du décès de Tor que sa fille Torunn retrouve dans la porcherie. Déjà contrainte à venir s’installer dans cette ferme où elle ne s’était jamais rendue (cf Tome 2), Torunn va devoir maintenir choisir entre accepter l’héritage synonyme d’obligation d’habitation et d’exploitation de la ferme, ou y renoncer et faire passer ce pauvre bien familial dans le giron de l’Etat.

Autour de Torunn qui se débat avec un travail devenu trop lourd et le gentil jeune homme venu l’aider et qui aimerait bien l’épouser par amour et intérêt mélangés, les frères du défunt défilent dans un ballet effréné de danseurs qui évoluent chacun selon sa propre partition, de façon quasi aveugle et autiste. L’insouciance côtoie le désespoir mais l’un reste aveugle à l’autre.

Margido cède peu à peu à ses assistantes pour agrandir son entreprise de pompes funèbres et se propose de transformer la ferme en dépôts de cercueils et autres objets mortuaires histoire d’aider financièrement Torunn.

Erlend continue de se saouler luxueusement à coup de Champagne Bollinger qui lui donne l’euphorie nécessaire pour vivre pleinement son homosexualité affichée, créer ses vitrines démentes et à scandale et scruter avec anxiété le développement des fœtus que le couple de lesbiennes qu’ils ont choisi avec son compagnon Krumme a accepté de féconder pour eux.

Tout le monde s’excite dans ses projets, Erlend étant toujours déterminé à transformer les silos de la ferme en extravagantes maisons de vacances. De fait, la ferme des Neshov devient un lieu de rencontres agitées qui dissimule mal un quotidien insupportable pour une jeune femme seule et désespérée qui doit de plus prendre soin d’un vieillard ragoûtant et autiste.

Tout finira par imploser, la tension devenant trop grande, les antagonismes trop radicaux, les égoïsmes trop fondamentaux. Les personnages sont toujours parfaitement bien campés, les situations bien trouvées. On suivra donc avec amusement ce théâtre de vaudeville qui continue d’être bien enlevé même si le mot FIN commençait de s’imposer avant que cela ne sente trop le réchauffé.

Publié aux Editions Balland – 2010 – 348 pages

10.12.10

En attendant la montée des eaux – Maryse Condé


Maryse Condé est l’auteur d’une œuvre riche et prolifique, récompensée des Prix de l’Académie Française et Marguerite Yourcenar. Née à Pointe-à-Pitre, elle fait partie de ces auteurs qui constituent le fer de lance littéraire des DOM-TOM.

« En attendant la montée des eaux » est un roman foisonnant et sombre, une allégorie moderne et actuelle sur tous ces maux qui frappent les pays laissés pour compte par les puissances occidentales quand elles n’ont plus aucun intérêt à s’en préoccuper, y ayant exploité tout ce qui pouvait l’être et les laissant retomber dans le chaos qui semble les caractériser dès qu’ils sont livrés à eux-mêmes.

Sombre, le récit l’est car il nous emmène dans tout ce que le monde connaît de conflits provoqués par la misère, l’intolérance religieuse, le racisme et l’ostracisme constamment entretenus par une soif inextinguible de pouvoir qui donne à ceux qui l’arrachent, souvent par la force et dans le sang, les moyens de s’arroger une toute-puissance et par conséquent la volonté de s’y maintenir à tout prix au mépris des conventions ou des résultats démocratiques.

Ce monde de violence, de meurtres et de viols, de guerres civiles incompréhensibles, d’exclusion et d’arrogance, de stupidité et de lucre, nous allons le traverser en suivant l’histoire de trois hommes qu’a priori rien ne prédestinait à faire un bout de route d’infortune en commun.

Tout commence lorsque Babakar, médecin accoucheur, originaire de Guinée et vivant à Pointe-à-Pitre décide de recueillir la petite fille que la jeune Reinette vient de mettre au monde au prix de sa propre vie. Au mépris des lois et des liens du sang, une force irrésistible, un appel venu de l’au-delà l’enjoignent de s’en déclarer le père en même tant que la parturiente mourante lui arrachera la promesse de remettre l’enfant à sa sœur dont il ne sait rien.

Commencera un long périple au côté de Movar, l’Antillais inculte mais qui a le don de savoir écouter et transformer la moindre parcelle de terre en un jardin d’Eden, puis de Fouad, le Palestinien réfugié au Liban et qui ne cessera de parcourir le monde au fur et à mesure que la folie des hommes détruira ce qu’il essaiera vainement de construire.

Chacun de ces hommes va se mettre à nous conter son histoire, celle qui l’a arraché à ses racines, coupé de sa famille souvent exterminée sous ses yeux, poussé à mener une vie d’errance et de doutes. Car à chaque fois qu’une éclaircie apparaissait et laissait croire à la fin des maux, une révolution ou une nouvelle guerre ramenaient à néant tout espoir, enlevant les épouses ou les maîtresses de ces hommes apatrides et donc, premières victimes expiatoires d’une folie qui a besoin de support à son exutoire.

Fort heureusement, la langue magnifique et colorée de Maryse Condé sait éviter l’écueil du pathos pour faire de chacune de ces épopées un témoignage vivant et traversé de rires d’un tragique qui ne cessera jamais. Chacun de ces hommes semble frappé d’une éternelle malédiction car, les femmes qu’ils aiment, les édifices qu’ils érigent, les systèmes qu’ils mettent en place, au total service des autres, tombent bien vite en poussière, mirages vite disparus d’un futur qui aurait pu être radieux.

Le livre nous mènera ainsi de la Guinée au Liban en pleine guerre civile, des Antilles à Haïti où le récit s’achèvera en forme de paroxysme, au moment du tremblement de terre de Janvier 2010, symbole en soi de la malédiction qui semble poursuivre les déshérités. Un livre puissant, à conseiller sans hésitation.

Publié aux Editions JC Lattès – 2010 – 364 pages

5.12.10

Le cœur régulier – Olivier Adam


Au fil de ses publications, que nous suivons avec attention sur Cetalir, Olivier Adam semble bien s’être fait une spécialité qui consiste à mettre en scène, de façon sensible, presque à vif, la douleur de celles et ceux qui vivent en marge, dans la solitude, volontaire ou subie, l’exclusion ou la réclusion pris au piège des brisures que la vie engendre.

« Le cœur régulier » n’échappe pas à cette tradition, bien au contraire tant l’écriture s’y est magnifiée, gagnant en plénitude, en profondeur littéraire comme c’est particulièrement le cas dans le premier tiers du roman beaucoup plus écrit que les précédents.

Ici, Sarah semble bien au moment essentiel de sa vie, celui auquel tout peut basculer dans une direction tragique ou rédemptrice. Voici quatre mois que son frère Nathan, avec lequel elle a entretenu pendant longtemps une relation fusionnelle, est mort dans un accident de voiture. Accident ou suicide ? Cette question la taraude d’autant que ses relations avec ce frère alcoolique et dépressif, excessif et cyclothymique, s’étaient particulièrement distendues depuis quelque temps.

Aussi décide-t-elle de tout plaquer, abandonnant un métier qui la mine, des collègues qu’elle méprise, un mari parfait mais qui ne la touche plus depuis des années, des enfants dans lesquels elle ne se reconnaît plus. Elle part pour le Japon dans un périple qui va la mener jusqu’à une bourgade au bord de la mer, à l’aplomb des falaises d’où viennent se précipiter à longueur d’années des dizaines de Japonais qui n’en peuvent plus de la vie. Un lieu sous la garde d’un énigmatique retraité, ancien commissaire de police, célèbre dans le monde entier pour sa capacité à convaincre in extremis des désespérés de ne pas passer à l’acte et les recueillant dans une maison simple où ils viennent se reconstruire. C’est ici que Nathan avait séjourné, peu de temps avant sa mort. C’est de là qu’il était revenu apparemment transformé, plein d’une énergie nouvelle à peine croyable.

Une fois sur place, Sarah qui observe ce qui se passe autour d’elle avec l’étrangeté que procure inévitablement le fait de côtoyer un monde dont on ne connaît ni les codes ni la langue, va se livrer à une féroce introspection et tenter de comprendre ce qui a bien pu se passer pour son frère comme pour elle.

Olivier Adam mène alors un travail d’orfèvre sur le deuil, sur la culpabilité et la jalousie, la duplicité dans laquelle on peut tomber malgré soi quand on refuse de voir le monde tel qu’il est. Car, plus Sarah descendra en elle, plus elle comprendra ses erreurs, plus elle découvrira que la relation qu’elle croyait exclusive avec son frère ne l’était que pour elle et que d’autres femmes en partageaient les droits avec au moins la même intensité.

De façon presque glaçante, nous observons la lente chute de cette femme qui s’est laissée piéger par la vie et par elle-même jusqu’à ce qu’un détail, un geste, un mot, une scène lui donnent la force de repartir de l’avant et de se reconstruire autrement en évitant les écueils d’une première existence où elle s’est fourvoyée à son propre insu.

Le roman est à l’image de cette rentrée littéraire : sombre, lourd, noir mais malgré tout magnifique, illustration d’une société en plein doute, d’hommes et de femmes en manque de repères et encore incapables d’envisager un futur meilleur.

Publié aux Editions de l’Olivier – 2010 – 232 pages

4.12.10

Synthèse du mois de Novembre

Quelques mots sur les visites du mois de Novembre.

Vous avez consulté 2161 pages avec toujours les mêmes cinq principales consultations (voir mes posts d'Octobre et Novembre).

A noter que, depuis une semaine, "L'Enquête" de Philippe Claudel et "Longtemps je me suis couché de bonne heure" de Gattegno font une arrivée en force en tête des consultations. Ce sont d'ailleurs deux excellentes recommandations de notre part.

Nous vous invitons à découvrir parmi les nouveautés l'étonnant et sulfureux "Apocalypse Bébé" de Virginie Despentes ainsi que "Dans la nuit brune" d'Agnès Desarthe qui est pour nous son meilleur roman et de loin.

N'hésitez pas à nous faire part de vos réactions et commentaires que nous aimerions plus nombreux. Cetalir se veut participatif et interactif !

Bonnes lectures.

La terre des mensonges – Anne B. Ragde


Voici le premier tome d’une trilogie dont le volume trois reste à paraître en France à l’automne 2010. J’avais d’abord découvert le tome 2 « La ferme des Nashov » dont vous trouverez la note de lecture sur Cetalir et qui avait été récompensé d’un prix des Libraires.

Ce premier tome nous donne un certain nombre de clés pour comprendre les relations pour le moins bizarres qui règnent dans cette famille norvégienne où trois frères s’ignorent superbement et détestent un père vieux et sans relief.

Le problème, lorsque l’on commence par le deuxième tome, c’est que le premier ne tient pas vraiment la comparaison. Le style y est encore plus embarrassé que dans le deuxième, qui ne brillait déjà pas de ce côté là mais compensait largement par une bonne dose d’humour caustique et d’auto-dérision nationale.

Mais, surtout, on y trouve déjà exposés les tics des personnages, voire des scènes qui seront largement reprises et développées dans le tome suivant, de façon plus percutante, comme si la plume s’était entre temps rodée. Il en résulte un sentiment de manque d’imagination, de défaut de créativité que la lecture du seul tome suivant effacerait en soi.

Ce premier tome est donc en définitif assez poussif et tend à traîner un peu en longueur. Toutefois, l’agonie de la mère donnera l’occasion de comprendre la vraie relation entre les trois frères et leur père, de découvrir la vie cachée d’une mère maîtresse femme et qui faisait régner ordre et terreur sur une ferme qui connut son heure de gloire avant de partir à vau-l’eau. Une ferme et une famille qui vit et s’étiole à force de mensonges et de dissimulations.

On y comprendra pourquoi Erlend décida alors d’émigrer tout jeune au Danemark pour y vivre pleinement son homosexualité ainsi que les raisons d’un alcoolisme de moins en moins larvé de Tor, resté seul à élever ses cochons qu’il traite comme ses propres enfants. Ce sont là d’ailleurs les pages les plus sincères que celles qui donne à voir cet homme orphelin, jamais marié et séparé depuis l’enfance de la mère de sa fille qu’il eut tôt et par hasard, en train de dialoguer ou de pleurer à chaudes larmes avec ses truies reproductrices. Il y aura aussi l’assiduité d’une fraiche veuve envers Mardigo, celui qui a choisi de faire profession de croque-mort, et qui trouvera son dénouement ridicule dans le tome suivant. La fragilité de la fille de Tor, Torrund, appréhendée et brossée à grands traits ici, sera enfin largement développée par la suite.

Au total, ce tome initial n’est pas indispensable, le deuxième opus se suffisant à lui-même.

Publié aux Editions Balland – 2009 – 371 pages

29.11.10

La bulle cauchemar – Sylvie Weil


Un nouvel auteur, encore méconnu et qui mérite d’être découvert. Sylvie Weil est née aux Etats-Unis et a grandi en France, pays entre lesquels sa vie s’est partagée. Ce n’est que récemment (2002), après une carrière dans l’enseignement dans des collèges des états de New-York et du Vermont, qu’elle a décidé de se consacrer à l’écriture.

Autant dire qu’une importante part autobiographique se retrouve dans « La bulle cauchemar ».

Elsa est une mère qui fut mariée à un Français dont elle eut un fils, Julien. Elle vit à New-York et assiste, impuissante et désespérée, au rapt de son fils par une porto-ricaine excentrique, autoritaire, délurée mais sympathique.

Dans ce court roman très introverti (nous sommes dans la tête d’Elsa), l’auteur nous donne à réfléchir au lien si particulier qui peut unir une mère, juive, possessive, protectrice et son fils. Un fils qui connut une enfance des plus difficiles, infirme et hanté par une folie qui lui valut plusieurs internements.

Une vie qui a enfermé Elsa dans sa « bulle cauchemar » : une vie de phobies, d’angoisses de voir son fils disparaître ou ne jamais exister en tant qu’individu autonome. Une vie sans sommeil, sans joie et dont le sens fut tout entier voué à un fils qui la trahit.

Car le sentiment d’Elsa est bien que Julien la trahit d’abord en la quittant pour une femme, ensuite, et surtout, pour cette femme qui n’est certainement pas celle dont elle avait rêvée, qu’elle avait même inventée pour son fils.

Autant l’idéale fille Goldstein que son psychisme avait patiemment construit pour son fils était modeste, réservée, dévouée toute entière à un fils délicat, autant Linda, la future belle-fille, est une véritable tornade qui se moque des conventions et qui fait plier son monde, à commencer par Julien, à ses volontés totales, absolues, indiscutables.

C’est à la dizaine de mois qui précède le mariage que nous allons assister. Des mois de bulle cauchemar pour Elsa, des mois pour d’abord refuser l’inéluctable, tenter vainement de le combattre. Puis, des mois pour accepter, rationnaliser, apprendre à aimer une famille exubérante dont certains membres entretiennent avec Dieu un rapport étrange et très intime.

Dix mois pour combattre ses angoisses, se construire une nouvelle personnalité, devenir adulte et belle-mère, plus simplement mère protectrice et castratrice.

Tout cela est fort bien analysé avec beaucoup de tendresse, beaucoup de subtilité et de délicatesse. Jamais on ne sombre dans le mélo dégoulinant ou le roman juif, surjoué et insupportable.

Un roman court, bien fait, émouvant et touchant, qui donne envie d’en découvrir d’autres de ce même auteur.

Publié aux Editions Joelle Losfeld – 148 pages

26.11.10

Le coup du cavalier – Andrea Camilleri


Andrea Camilleri est un maître du roman noir, best-seller adulé en Italie. Avec « Le coup du cavalier », il signe un sympathique roman dont l’intrigue se situe à la fin du XIXe siècle dans une Sicile livrée aux mains de la mafia.

Un jeune inspecteur des finances royales débarque dans une petite bourgade écrasée de chaleur. Il est intègre, dévoué à son pays, fier du rôle qu’il doit jouer.

Pourtant, ses deux prédécesseurs ont connu un sort tragique, assassiné par des mains jamais identifiées, pour des raisons jamais élucidées, l’enquête étant confiée à une police pourrie jusqu’à la moelle.

Grâce à son intelligence, le jeune inspecteur va mettre à jour un trafic juteux autour des moulins à grains soumis à un impôt jugé confiscatoire.

Mais, son attitude intransigeante, sa volonté de mettre à bas un système corrompu vont à son tour lui attirer les pires ennuis. Et c’est cette machination politico-judiciaire que Camilleri va s’attacher à démontrer implacablement. Les éternels ingrédients qui permettent au banditisme de régner sans partage sont parfaitement décrits : corruption généralisée, clientélisme, petits services rendus à rendre au centuple, pressions et intimidations, suppression physique des récalcitrants, tout y passe.

C’est à la fois le contexte historique (la Sicile il y a cent quarante ans, la taxe sur les moulins) et la forme littéraire qui font l’intérêt de ce roman bien construit et qui va réserver son lot de rebondissements palpitants.

En effet, ce roman se déroule en quatre parties bien distinctes. La première dépeint avec précision le contexte et s’attache à mettre en place des personnages souvent pittoresques tels ce curé de village obsédé par ses paroissiennes parmi lesquelles il sélectionne régulièrement ses maîtresses souvent consentantes ou bien encore, cette veuve mangeuse d’hommes qui use de ses charmes pour parvenir à ses fins financières, alternant manipulation, tentation, séduction et sachant ne céder que lorsque son avantage est total.

La deuxième partie est un brillant échange de missives où l’on voit tout le monde politique, juridique et financier mis en émoi ou en appétit, c’est selon, par les révélations faites par le jeune inspecteur.

La troisième partie noue le drame et fait se refermer un redoutable piège sur l’inspecteur dérangeant.

La quatrième partie constitue le dénouement. Un épilogue qui se joue selon une subtile partie d’échecs, d’où le titre, et où simulacre de folie et utilisation des armes de l’ennemi finiront par faire triompher le bien.

On ne s’ennuie pas une seconde à la lecture d’un roman noir solide et qui sort décidément de l’ordinaire. Un roman instructif pour rappeler que les mêmes ficelles continueront de produire les mêmes effets tant que l’humanité laissera se développer en son sein malversations et enrichissements abusifs, bref depuis toujours et pour toujours…

Publié aux Editions Métailié Suites – 217 pages

24.11.10

L’enquête – Philippe Claudel

Un homme, l’Enquêteur, débarque dans une ville anonyme pour mener une enquête sur une série de suicides survenus dans l’Entreprise. Une Entreprise gardée comme un camp militaire et dans laquelle le personnel se comporte de façon incompréhensible, obéissant à des lois absurdes.

Dans la ville, tout semble se conjuguer pour rendre la vie impossible. Les foules compactes suivent des chemins tracés, traverser les voies soulève un torrent d’insultes provenant d’une cohorte d’automobilistes avançant à une incroyable lenteur. Loger dans l’hôtel relève d’un exploit car il faut répondre à un incroyable questionnaire sur un règlement que l’on est sommé d’apprendre par cœur par la Gérante. Une fois passée l’épreuve, les chambres allouées sont proprement inhabitables, le petit-déjeuner absurdement infect, pris dans la promiscuité d’un lumpen proletariat renouvelé chaque matin et abusivement présenté comme des touristes. Encore faut-il passer des heures retenu en garde-à-vue par le Policier qui loge dans un placard à balai et qui est immédiatement au courant de vos moindres actes, punissant sévèrement les écarts les plus anodins, laissant passer les autres.

Sans parler d’un climat qui alterne avec brutalité le froid le plus extrême avec une chaleur insupportable. Sous ce régime, l’Enquêteur va rapidement perdre tous ses repères, toute son humanité pour finir broyé par un système incompréhensible et qui ne semble fabriquer que l’impersonnel, l’inutile, retranchant toute part de joie et d’humanité à ceux qui survivent à un régime absurde.

C’est donc un roman à cheval entre un monde kafkaïen, fait d’une mécanique autonome dont la logique réside dans l’illogique et l’absence de toute réflexion, et un monde huxlien fait d’anticipation et dans lequel l’homme est gommé par un pouvoir tout-puissant.

Un roman fascinant par sa construction, la volonté délibérée de dépouiller l’Enquêteur de tous ses repères, de toutes ses croyances et ses valeurs en le confrontant à une succession de situations qui l’affament, le privent de ses vêtements, de sa liberté de mouvement, premières étapes avant la privation de la liberté puis de la liberté de penser. Un roman pour rappeler que le libre arbitre nécessite démocratie et respect. Un récit pour nous donner à voir que notre société ne mène nulle part si ce n’est à sa perte si elle ne redonne pas sa place à l’individu, au souci du lien social.

Certes, mais face à l’hallucinante séquence finale on peut se demander quel est le propos de l’auteur. Simple fable ou mise en garde ? Philippe Claudel prend bien soin de nous rappeler que « C’est en ne cherchant pas que tu trouveras ». Alors, il reste de l’espoir pour trouver la clé à ce roman étrange mais, qu’au fond, nous avons beaucoup aimé pour son parti-pris d’anticonformisme.

Publié aux Editions Stock – 2010 – 278 pages

21.11.10

Apocalypse bébé – Virginie Despentes


Première rencontre littéraire pour moi avec la sulfureuse Virginie Despentes, connue pour ses romans au vitriol, aux relents de sexe brutal, écrits avec une plume trempée dans l’acide et la destruction d’un viol qu’elle a subi à l’âge de dix-sept ans. Ouvrir un bouquin de cette auteur, c’est donc accepter un parti-pris qui dérange, une vision du monde quasi nihiliste, noire, genre « no future ».

« Apocalypse bébé » ne déroge pas à la tradition et balance une grande claque dans la gueule de ses lecteurs. Il semble bien que Madame Despentes ait ici encore décidé de régler ses comptes avec la société moderne – et en particulier française – bien-pensante. Une société dont il n’est pas difficile de comprendre que, pour elle, elle ne peut être que vouée à l’auto-destruction, minée de l’intérieur par l’hypocrisie et une pourriture de l’âme.

Pour cela, elle recourt à un style d’une extrême violence, mélange inhabituel de français littéraire (assez peu en fait), d’argot, de jargon des banlieues et d’une complaisance crue lorsqu’il s’agit de mettre en scène des moments d’actes sexuels dans toute leur perversité car, dans son esprit, le sexe semble bien ne pouvoir qu’être violent, pornographique et infâmant. D’ailleurs, grande militante de l’homosexualité féminine, seules les lesbiennes trouvent grâce malgré le déchainement de partouzes dans lesquelles Fellini aurait figure de petit garçon.

Drôle de titre cependant pour ce roman qui tue. Mais enfin, passons. Là n’est pas l’essentiel. Ici, on entre à pieds joints dans le monde de la loose, derrière la façade apparente des choses.

Despentes nous projette sans précautions, de plein fouet, dans un road-movie putride entre Paris et Barcelone. Une sorte de thriller social à la recherche d’une adolescente, Valentine, de quinze ans brutalement disparue sans laisser de traces.

Voilà des années que Valentine en faisait voir de toutes les couleurs à son père romancier connu mais auteur de livres au style et aux thèmes décalés, tendance chrétienne de droite, et à sa belle-mère, mal dans sa peau, larguée. Une adolescence trash, avec sexe à gogo et de préférence crade, usage de drogues de plus en plus dures, scènes familiales violentes avec un père dépassé, incapable d’exprimer son amour filial et une belle-mère honnie parce qu’elle a pris la place d’une mère qui s’est enfuie sans un mot et sans jamais donner signe de vie alors qu’elle avait un an.

Pour la retrouver, Lucie, la détective sur le coup, la quarantaine, déprimée, moche, spécialiste des filatures d’adolescents dans les quartiers bourges va faire équipe avec la Hyène. Une fille énigmatique, capable d’une violence physique et psychique incroyable, lesbienne tendance dure, au passé trouble. Un duo fascinant et qui constitue la grande réussite de ce livre parce qu’il a d’improbable et de dérangeant.

L’enquête nous fait descendre dans les bas-fonds de la société. Plus on avance dans le récit, plus V. Despentes nous confronte avec l’intimité de chacun de ses personnages. Une intimité peu reluisante, faite de compromissions, de dépravations et dans laquelle la sexualité joue une place d’autant plus omniprésente qu’elle est a-normale. Chaque personnage est le témoin inconscient d’une société qui se désagrège sous les coups de butoir d’une banlieue qui vit en marge et selon ses propres règles, d’un usage des stupéfiants qui détruit les élites, de la recherche permanente d’une satisfaction individuelle au mépris des intérêts familiaux ou sociétaux. Un monde totalement pourri et où il ne faut pas se fier aux apparences.

Il faudra donc voir la fin surprenante et inattendue comme la parabole de la pensée subversive de l’auteur pour laquelle notre monde semble définitivement condamné.

Un livre qui s’impose à tout lecteur voulant faire connaissance avec un auteur à part dans le paysage littéraire actuel.

Publié aux Editions Grasset – 2010 – 343 pages

20.11.10

Cher amour – Bernard Giraudeau


Première rencontre pour ma part avec cet immense acteur qui se lança tardivement, et avec un succès certain, dans la carrière d’écrivain. « Cher amour » est et fut son dernier livre, celui composé en partie, comme il l’avoue lui-même en toute fin de l’ouvrage, sur un lit d’hôpital, rongé par un cancer du rein qui finira par l’emporter. A ce titre, ce livre constitue un ultime témoignage d’un homme qui se savait en train de mourir mais qui avait la pudeur de le cacher.

Pourtant, j’eus bien du mal, au départ, à rentrer dans ce « Cher amour ». Le livre s’ouvre sur trois belles pages d’une belle écriture, formée à la fréquentation assidue des classiques, à l’apprentissage forcené des textes des plus grands auteurs dont on ne peut sortir indemne tellement ils vous habitent et vous hantent. Trois pages en forme de déclaration d’amour à une femme idéale, fantasmée, Madame T., qui n’existe pas et à qui l’auteur va se confier au fil d’un récit très autobiographique.

B. Giraudeau connut un parcours romanesque. Embarqué à quinze ans dans la Marine Nationale, il passa deux ans sur le navire amiral « Jeanne d’Arc » et fit deux fois le tour du monde. Il y découvrit les continents tout en dévorant, déjà, les plus grands auteurs. Il y fit les découvertes des passions qui démangent les hommes, ses premières fréquentations féminines, plus ou moins tarifées, et se heurta au vertige des multiples cultures qui pullulent sur notre belle planète.

Après cette introduction d’une intense poésie, d’un classicisme exalté, Giraudeau nous emmène de force dans ces successions de découvertes et de rencontres que furent sa vie. Les unités de temps et de lieu explosent alors car nous changeons de continents et d’époques au fur et à mesure que les souvenirs jaillissent. Mais toujours, la pensée de la femme aimée persiste. Et, toujours, le métier de l’acteur et du cinéaste l’entrainent sur de nouvelles routes comme autant de nouveaux prétextes à des découvertes qui fuient le plus possible celles des sentiers battus d’un tourisme moderne balisé.

Certes, les innombrables digressions sur les anecdotes historiques qui traversent son récit en Amazonie rendent la lecture un peu difficile et ont failli me décourager. C’est, à mon sens, la partie la moins réussie du livre. Mais, une fois cette jungle humide et hostile traversée, une fois l’histoire rappelée, faite de massacres et de sacrifices, de confrontations religieuses sur fond de recherche effrénée d’un or inexistant, le récit va trouver un rythme hypnotique et fascinant.

Nous partons alors à la découverte des Philippines, de Djibouti, du Cambodge ou du Vietnam où l’acteur tourne. Et Giraudeau possède un vrai talent de conteur, un œil pour voir différemment, décoder et interpréter les petits gestes anodins qui en disent long. C’est tout simplement sublime !

Fascinante est aussi la confession qui hante le dernier tiers du livre, celle de l’impossible épreuve qui consiste à digérer les mille cinq cents vers d’une terrible complexité de ce Richard III de Shakespeare qu’il faudra deux ans à l’acteur à maîtriser. Au cours de cette laborieuse et usante ingestion, toute situation devient prétexte à être illustrée d’un couplet de vers rassurant la mémoire et stabilisant une épreuve de chaque instant.

En refermant ce livre, on ne peut que vouer un témoignage reconnaissant à cet homme de culture et de générosité, acteur et écrivain, disparu encore jeune et que nous apprenons à connaître dans cette sorte d’ultime confession à la vie et à l’amour.

Ne manquez pas ce livre hors du commun !

Publié aux Editions Métailié – 2009 – 269 pages

12.11.10

Dans la nuit brume – Agnès Desarthe


Dès les premières lignes, Agnès Desarthe sait captiver notre attention, nous faire subir un choc pour mieux nous mener ensuite au cœur d’un récit noir et glaçant, en permanence à l’équilibre entre le fantastique, l’onirique et l’historique.

Le roman s’ouvre sur la mort d’un jeune homme, Armand, dont le corps explose avant d’être réduit en cendres dans l’explosion de la gigantesque boule de feu qui jaillit de sa moto. Armand, le jeune homme idéal, gentil, dévoué, beau et tendre. Armand, l’amant magique de Marina, la jeune fille de dix huit ans de Jérôme, ce cinquantenaire énigmatique que rien ne semble émouvoir et autour duquel tout le roman va graviter.

La mort d’Armand est un choc au moins aussi terrible pour Jérôme que pour sa fille. Son côté inexplicable et insupportable ravive des épisodes douloureux dans la tête de Jérôme. Commence alors une longue plongée dans l’inconscient, la nécessité presque vitale pour Jérôme de savoir qui il est, lui qui a toujours caché à ses proches et au monde qu’il fut un enfant trouvé dans les bois, recueilli puis adopté par un couple. Ce dernier prit un soin méticuleux à ne laisser aucune piste, à leur mort, et à entretenir Jérôme dans une construction mentale de son enfance qui va s’effriter, sous le choc qu’il vient de subir.

Le talent d’Agnès Desarthe, dans ce qui constitue à nos yeux son meilleur livre jusqu’ici, est alors de brouiller les pistes. Pourquoi Armand est-il mort, quel rapport cette mort violente peut-elle bien avoir avec la disparition brutale d’une jeune fille gothique dont le père vendit peu de temps après cette disparition la Triumph qui emporta le jeune homme dans la mort ?

Que peut bien vouloir l’ex-épouse de Jérôme dont il est divorcé depuis dix ans et qui débarque pour l’enterrement d’Armand qu’elle ne connaît pas pour bientôt semer le trouble dans la vie de l’homme qu’elle quitta sans explication ?

Qui est cette femme énigmatique, cette écossaise aux manières sans gêne et au langage crû qui tourne autour de Jérôme sous le prétexte de l’acquisition d’une immonde bâtisse auprès de l’agence immobilière qu’il dirige ?

Pourquoi Alexandre, un inspecteur homosexuel à la retraite, vient-il enquêter auprès de Jérôme sitôt l’enterrement terminé ? Pourquoi ces questions et ces théories sur les disparitions d’adolescents ?

De fil en aiguille et après nous avoir fait emprunter de nombreux chemins de traverse, la vérité sur l’enfance et les parents génétiques de Jérôme va remonter à la surface. Une vérité qui nous plonge dans le Thanatos de l’époque nazie, dans l’enfer des déportations et des camps, dans l’extermination systématique de familles entières. Une vérité qui, de façon systématique, démontrera que la réalité n’est jamais celle des apparences et des projections qu’elle entraine pour l’ensemble des enquêtes qui se croisent et s’entrecroisent dans ce roman singulier et sombre.

On en ressort troublé mais assez admiratif du travail mené.

Publié aux Editions de l’Olivier – 2010 – 211 pages

10.11.10

Longtemps, je me suis couché de bonne heure – Jean-Pierre Gattégno

Une fois de plus, Gattégno réussit en quelques pages à créer un environnement subtil, mélange de poésie, de voyages intérieurs et de réalité sordide qui envoûte le lecteur. Un envoûtement auquel on échappera, et encore, qu’une fois ce superbe roman refermé.

C’est dans la simplicité apparente que Gattégno va puiser ici son inspiration. Sébastien Ponchelet est homme à tout faire dans une maison d’édition. Un job loin d’un domicile en banlieue défavorisée, mal payé et soumis à la torture psychologique d’un petit chef.

Pas trop le choix, car Sébastien sort de prison et vient d’être libéré sous conditionnelle après un braquage à main armée où il s’est laissé entraîner parce qu’il n’a pas osé dire non à un petit caïd.

La vie de Sébastien est banale, attristante : logé chez une pute qui lui ouvre de temps en temps ses cuisses, sans amour, sans tendresse, sans mouvements, il ne connaît ni passion, ni centre d’intérêt. Il est simplement loyal, discret, efficace.

Et puis, un jour sa vie va basculer en tombant par un concours de circonstances sur un manuscrit quasiment illisible, surchargé d’annotations que sa maison d’édition refuse de publier. Un livre où la première phrase, qui donne son titre au livre, le plonge dans un envoûtement et lui fait découvrir un autre monde que celui abrutissant de la télévision vide d’intérêt et que les cuites à la bière.

A partir de là, Sébastien va commencer un parcours personnel initiatique qui va l’amener à avoir un autre rapport aux livres que celui de les classer, les manipuler, les transporter du matin au soir. Un rapport fait de rêves, de poésie, de plongée totale, abandonnée, absolue dans un ouvrage qui sait vous captiver.

Gattégno se livre sans emphase, simplement, à une analyse approfondie du rapport de l’auteur au lecteur, du support au contenu, des mots à la pensée parallèle qu’ils entrainent chez ceux qui les découvrent et en qui ils raisonnent.

De là, Sébastien va progressivement ouvrir son cercle relationnel, découvrir les femmes et comprendre que l’amour est avant tout fait d’émotions dont il a tout ignoré jusqu’ici.

Parce qu’il a partagé la cellule VIP du plus grand voleur de tableaux vivants, il fut initié à la peinture et à la lecture que son codétenu de luxe pratiquait avec avidité, moyen intellectuel de s’évader d’un univers dénue de sens.

Leurs parcours vont encore se croiser et Sébastien va devoir affronter de multiples épreuves pour choisir le sens ultime qu’il souhaite donner à sa vie. Sera-t-il un éternel mauvais garçon, acceptera-t-il de se lancer à la découverte des univers artistiques et du monde des émotions insoupçonnées jusqu’alors.

Gattégno brosse ici un magnifique roman sur le désir, la capacité à dire, les inhibitions, l’importance des rencontres qui bouleversent une vie. Quel sens a la création ? Quel impact a-t-elle sur ceux qui la découvrent ou la subissent ? Quelles lectures d’une même œuvre avoir et pourquoi ?

Autant de thèmes qui sont abordées dans ce livre avec pudeur, sans forfanterie, enveloppés dans un univers drôle malgré la sordidité dont il est empreint.

Définitivement et absolument recommandé par Cetalir.

Publié aux Editions Actes Sud -271 pages

5.11.10

Sang chaud, nerfs d’aciers – Arto Paasilinna


Après les succès retentissants, entre autres, de « Petits suivcides entre amis » ou bien encore « Le lièvre de Vatanen » (dont vous trouverez la note de lecture sur Cetalir), l’écrivain finlandais A. Paasilinna nous livre son dernier opus.

Pour une fois, l’auteur quitte un peu son ton humoristique, délaisse les gags ou les situations cocasses en série pour se lancer dans une fresque familiale historique sur deux générations qui se superposent avec les pires heures que la Finlande ait connu au XXème siècle.

Le roman s’ouvre quelques semaines avant la naissance de Anti Kokkoluoto chez l’accoucheuse du village, veuve et robuste femme, chasseuse de phoques et devineresse, sorte de sorcière que tous admirent et redoutent pour sa capacité à prédire l’avenir. Elle annoncera aux parents de Anti que celui-ci naîtra au moment où la Finlande plongera dans la guerre civile de 1918 et vivra jusqu’à l’âge, alors canonique, de soixante dix ans.

C’est cette période qui nous mènera jusqu’en 1990 que nous allons traverser sous la plume alerte de Paasilinna. Elle nous donnera à voir un pays dont nous savons ici peu de choses. Un pays secoué par d’énormes tensions internes entre suédophones et finnois augmentées de nouvelles tensions entre les Blancs, partisans d’une liberté plus ou moins adossée à la Suède, et les Rouges, qui ne jurent que par la Russie communiste toute proche. Un pays qui s’écroulera lors de la crise de 1929, plongeant des milliers de familles paysannes dans la plus profonde misère, qui verra l’effondrement du peu d’industries qu’elle comptait et favorisera, de ce fait, l’émergence des chemises brunes fascistes.

De fait, la Finlande sera l’alliée de l’Allemagne durant la seconde guerre mondiale, repoussant les attaques russes dans un premier temps malgré une écrasante infériorité numérique. Puis, elle tournera casaque et rejoindra le camp des vainqueurs tout en payant un très lourd tribut de guerre à la Russie Stalinienne qui aura fini par venir à bout d’une résistance patriotique qui aura fait de très nombreuses victimes.

Anti et son père, un petit commerçant rusé, marié à la plus belle femme du village, l’institutrice, se trouveront mêlés, comme bien d’autres, à tous ces faits historiques. Loyaux et malins, ils sauront, avec des fortunes diverses, tirer les marrons du feu sans échapper, pour des durées plus ou moins longues, aux geôles finnoises ou russes au gré des circonstances.

Le père d’Anti, habile spéculateur, saura s’enrichir au-delà de toutes espérances sans perdre son âme tout en ayant su faire les bons choix politiques, y compris par le coup de poing car les Finlandais sont bagarreurs. Anti apprendra à devenir adulte, laissant le sang chaud de son père parler, lorsque de besoin, et faisant preuve de nerfs d’acier dans les circonstances de guerre, de grèves, de conflits qui vont jalonner sa vie. Il finira entrepreneur, député et ministre, respecté de tous.

Paasilinna possède un talent inné de conteur qui s’exprime ici une fois encore. On suit donc avec intérêt l’histoire de cette famille au fur et à mesure que la grande Histoire s’écrit. On y vit, on y meurt. On en tire parti ou non. Comme partout, le destin individuel est une affaire de circonstances et de talents.

Publié aux Editions Denoël – 2010 – 218 pages

2.11.10

Christine Lagarde – Enquête sur la femme la plus puissante de France – Cyrille Lachèvre et Marie Visot

Réalisé par respectivement le rédacteur en chef et une journaliste du service économique du Figaro, deux journalistes qui suivent Madame Lagarde depuis 2005, ce livre nous donne à découvrir qui est cette femme considérée désormais comme l’une des femmes les plus puissantes au monde. Mettons tout de suite les choses au point : ce livre n’est pas un panégyrique d’une Ministre passée du vingt- quatrième rang lorsqu’elle rejoignit le gouvernement Villepin comme Ministre du Commerce Extérieur au quatrième rang depuis qu’elle est Ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi dans le gouvernement Fillon II. Il n’est pas non plus un livre critique sur les cercles de pouvoir. Disons que c’est tout simplement un livre intelligent, assez objectif et qui tente d’expliquer comment une inconnue du monde politique il y a encore cinq ans s’est hissée à la position qu’elle occupe désormais au point qu’elle semble être devenue indispensable au Président de la République.

Pourtant, l’arrivée dans l’arène politique de Madame Lagarde a bien failli lui être fatale. Débarquée la veille des Etats-Unis où elle occupait, à Chicago, le poste de Chairman du groupe d’avocats Baker-McKenzie, ses premières déclarations mirent le monde politique en émoi. Elle n’en connaissait pas les codes et comprit très vite que la stature de Ministre lui ôtait tout droit d’exprimer ce qu’elle pensait. Cela ne l’empêcha pas de multiplier les gaffes ou de tenir, plus tard, des propos lénifiants qui lui valurent les surnoms durables de « Madame La gaffe » ou bien encore celui de « Madame La Marquise » suscité par son élégance et son goût des bijoux.

Alors, pourquoi et comment Madame Lagarde parvint-elle à survivre à tous les gouvernements depuis cinq ans et à rejoindre le club très fermé des occupants de Bercy à y avoir séjourné au moins trois ans d’affilée ?

Les auteurs nous donnent une réponse détaillée et circonstanciée à cette question. Tout d’abord, Madame Lagarde est une femme d’une grande loyauté, au service des Présidents Chirac puis Sarkozy parce qu’avant tout, elle sert la France dans le respect d’une conviction de droite libérale. Loin des partis (bien que membre de l’UMP, elle s’en tient distante), elle ne vise d’autres intérêts que celui de servir les intérêts nationaux n’hésitant pas à sacrifier au passage vie personnelle et avantages que lui procuraient son statut précédent.

Ensuite, parce qu’avocate de formation, Madame Lagarde a développé des talents de négociatrice hors pair, reposant sur une connaissance approfondie des dossiers et la capacité à entretenir des relations interpersonnelles cordiales avec les interlocuteurs qu’elle côtoie.

Aussi, parce que sa maîtrise parfaite de l’Anglais lui vaut la reconnaissance internationale et que sa personnalité combinée à son intelligence ont permis plus d’une fois de trouver des solutions improbables à des situations de négociation internationale d’une extrême complexité.

Enfin, et c’est sans doute là la partie la plus captivante du livre, parce qu’elle a joué un rôle critique, aux côtés de Nicolas Sarkozy, dans la sauvegarde des banques françaises qui ont bien failli disparaître à jamais dans la tourmente financière, que son sang froid et son réseau lui ont permis de coordonner des décisions vitales pour éviter la plus grande crise mondiale qui aurait plongé le monde plusieurs siècles en arrière. Enfin parce qu’elle a su faire ce qu’il fallait pour sauver l’Euro qui faillit bien disparaître, avec toutes les conséquences catastrophiques facilement imaginables lors de la récente crise grecque, en convainquant celles et ceux qu’il fallait dans un laps de temps extrêmement court.

Madame Lagarde est enfin, et surtout, une femme de caractère. Un caractère qui s’est trempé au cours d’une éducation classique et rigoureuse, laissant peu de place à l’improvisation. Puis qui s’est renforcée par la pratique intensive de la natation synchronisée, notre Ministre étant une ex vice-championne de France en la matière. Son esprit d’équipe développé par la pratique du sport collectif et son sang-froid lui valent dès lors le respect de tous d’autant que, ne faisant pas de politique et s’en tenant aux dossiers, elle n’a pas d’ennemis politiques.

Alors bien sûr, il reste une face plus sombre, celle de sa vie personnelle, évoquée avec pudeur ici ou là. Consacrer sa vie à sa réussite professionnelle lui valut son divorce, le regret de n’avoir jamais vraiment pu s’occuper de ses enfants, une vie sentimentale difficile.

Une fois le livre refermé, on ne peut s’empêcher d’éprouver un immense respect pour cette femme hors du commun, discrète et efficace, grand serviteur de l’Etat dont il est probable qu’elle connaîtra un destin hors du commun.

Publié aux Editions Michel Lafon – 2010 – 333 pages

29.10.10

Un aperçu du mois d'octobre

Comme promis, nous avons accéléré le rythme et le nombre de publications de notes ce mois-ci. La fréquentation croissante du site nous encourage d'ailleurs dans cette direction.

Il faut sans doute croire que "Le premier homme" d'Albert Camus doit être à l'étude en ce moment dans un certain nombre d'Académies. C'est en effet cette note qui ressort en tête à quasi égalité avec "Magnus" de Sylvie Germain que, pour notre part, nous avions moyennement apprécié.

Comme le mois dernier, on retrouve ensuite le superbe "Les chaussures italiennes" de Henning Mankell, le très beau "Melnitz" de Charles Lewinsky et "Malavita" de Tonio Benacquista à stricte égalité de consultations avec "Eldorado", sans doute le meilleur roman de Laurent Gaudé et l'indispensable "Les champs d'honneur" de Jean Rouaud qui gagna le Goncourt avec un livre d'un raffinement littéraire stupéfiant.

Viennent ensuite "L'insomnie des étoiles", le très moyen dernier Marc Dugain, puis "J'habite en bas de chez vous", un récit autobiographique coup de poing à découvrir et, enfin l'étrange et captivant "Grâce et dénuement" d'Alice Ferney.

Bref, les lecteurs de Cetalir ont du goût !

N'hésitez pas, le blog fourmille de lectures qui ne vous laisseront pas indifférents.

Bien cordialement,

Un secret sans importance – Agnès Desarthe


Ce roman fut « Prix du Livre Inter » en 1996.

Dès les premières pages, A. Desarthe sait créer une atmosphère à part, un monde où la vie intérieure prédomine, un monde fait plus pour les poètes et les rêveurs que pour les acharnés de la production à tout prix.

C’est ce décalage sur le mode dominant contemporain qui crée l’interpellation initiale. Une invitation douce, tendre à nous laisser bercer par la musique des sentiments.

La richesse du livre tient dans la diversité des personnages mis en scène. Ils sont tous et toutes en rupture avec le mode de pensée normatif, toutes et tous à la recherche d’une chose ou d’un être qu’ils ont le plus grand mal à décrire et donc, à trouver.

C’est cette richesse qui constitue aussi, sans doute, un obstacle à une lecture aisée du livre. En fait, on y plonge avec délice ou bien on rejette le tourbillon ambiant et sa descente au plus profond des émotions. Des émotions d’autant plus intenses qu’elles ne savent pas s’exprimer.

Au fond, le thème central du livre est la difficulté à communiquer alors qu’on admire, qu’on aime, qu’on est attiré par l’autre.

Ce secret, c’est l’incapacité à dire, à avouer ses sentiments. C’est aussi ce que l’on tient caché pour ne pas peiner l’autre, pour ne lui donner que de la joie à être ensemble. Ce secret, c’est aussi celui d’une autre vie qui n’a pas été et ne sera jamais.

Un livre à l’image de ses sentiments : hors du temps car il se situe vaguement en fin de vingtième siècle, hors de l’espace car on ne sait trop si c’est à Londres, à Paris, ailleurs que l’action se situe. Mais, est-ce important ? Car la poésie, la musique du cœur n’a que faire des contingences.

Ce qui frappe aussi dans ce délicieux roman, c’est le décalage constant entre ce que les personnages sont en apparence au monde et ce qu’ils sont en réalité, en tant que moi souffrant.

Les professeurs savants d’université ne se sont jamais remis d’amours prématurément avortées de jeune homme. Ils ont passé leur vie à chercher un sens aux mots parce qu’ils ne savaient pas décrire leurs maux.

Et ils succombent à la première beauté qui passe, à la première jeune femme qui saura les émouvoir, leur rappeler une étincelle d’innocence depuis longtemps perdue par eux. La vie vacille pour une silhouette, un mot, un geste, le plaisir irrefrèné de se laisser partir à la dérive de ses sentiments. Enfin, elle vacille putativement car passer de l’autre côté est une autre histoire…

Et puis il y a Violette, l’incompréhensible Violette. Elle revient d’un séjour à l’hôpital psychiatrique et se soigne à coups de pilules roses et de jardinage en dépit du bon sens. Violette est attirante par le mystère qu’elle représente, son interface au monde en rupture avec les standards, la spontanéité dont elle fait preuve.

Violette est aussi le symbole de la femme enfant. Elle en a l’apparence, le physique et souvent la mentalité. Peu à peu, un amour qui ne dit pas son nom, tout aussi impossible qu’une vie normale, lui permettra de sortir du cycle chimique infernal, de refaire surface, d’oser repartir.

Ce livre est un tableau vivant d’une galerie de personnages qui se croisent, éprouvent des sentiments les uns pour les autres, rêvent d’une autre vie sans jamais passer à l’acte. Sonia, atteinte d’un cancer, juive religieuse, pratiquante, dévouée à dieu et à son mari est un personnage en retrait, essentiel pour lire ce qui se déroule sous nos yeux.

Certes, la lecture est parfois empesée d’une religion judaïque trop présente et aurait gagné en force en restant plus universel.

Un bien léger reproche pour une indéniable réussite, hautement recommandable.

Publié aux Editions de l’Olivier – 210 pages

24.10.10

Elle voulait toucher le ciel – Yves Viollier


Avec ce roman, l’auteur devrait toucher un large public amateur de lecture simple, facile d’approche, bien construite et distrayante. Un ouvrage qui se situe dans le droit fil de la production prolifique d’une Bernard Clavel, récemment décédé : bien fait, pas désagréable mais que l’on oubliera assez rapidement.

Bref, si vous cherchez quelque chose qui sorte de l’ordinaire, ce n’est pas pour vous.

Si vous vous demandez, en revanche, comment occuper agréablement une journée de vacances, le choix est alors parfaitement recommandable.

Yves Viollier nous transporte au cœur de la Charente. Une femme écrit et raconte. On pressent un malheur, une étrangeté. 300 pages plus loin, on en saura tout, et plus d’une vie aura été chamboulée.

Renée a la bonne cinquantaine. Elle est fille de l’Assistance Publique après que sa mère l’aura abandonnée en pleine seconde guerre mondiale. C’est une « fille de boche » qui traîne son origine comme une marque d’infamie, un ostracisme d’autant plus cruel qu’il fut colporté, amplifié par des enfants de son âge qui ne faisaient que répéter ce qu’ils avaient entendu chez eux.

Renée est mariée à Bernard depuis l’âge de seize ans. Un amour solide, profond, simple, poli par le temps, profondément ancré par les épreuves qu’il a fallu endurer et l’adversité d’une belle-famille qui ne voulait pas de Renée, fille de rien accusée de voler un fils pour accaparer l’héritage d’une famille de viticulteurs. C’est que nous sommes au pays du Cognac. Un pays en crise où l’argent ne coule plus à flots.

Renée et Bernard, après avoir attendu trente ans qu’une succession se débloque, entreprennent de restaurer un gigantesque logis reçu en héritage. Une entreprise titanesque, trop grosse pour être menée à deux, trop lourde pour un couple de retraités aux petits moyens. Mais ils ont attendu toute leur vie d’entreprendre de redonner vie au « Château de l’ingénieur », gloire architecturale du patelin où ils habitent.

Mais voilà qu’un corbeau vient entraver leur aventure. Un corbeau qui fait resurgir l’origine obscure et infamante de Renée pour la déstabiliser, la faire douter, la détruire. Un corbeau qui va s’acharner sur le couple jusqu’à ce que les drames s’enchaînent.

L’auteur sait parfaitement maintenir le suspense et conduire son intrigue sans dévier du droit fil. Une intrigue qui va nous en apprendre long sur le couple et qui va enfin permettre à Renée de comprendre d’où elle vient et de qui elle est l’enfant.

L’ambiance typique des petites villes de province où tout se sait, tout s’entend, tout le monde se surveille est également rendue avec un excellent réalisme. Une ambiance très téléfilm de bonne qualité.

Des rebondissements en juste quantité, un style simple en font un bouquin agréable et à consommer pour ce qu’il est. Ce n’est déjà pas mal !

Publié aux Editions Robert Laffont – 300 pages

20.10.10

Hôtel de Lausanne – Thierry Dancourt


Mr Dancourt, qui travaille comme rédacteur indépendant dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, signe ici son premier roman. Malheureusement, ce livre ne restera pas dans les annales et il serait surprenant qu’un nouveau grand talent littéraire ait ainsi vu le jour…

L’auteur nous plonge au sein d’un couple énigmatique dont nous devinons peu à peu qu’ils sont sans doute plus ou moins amants sans que ceci ne soit vraiment jamais éclairci. D’ailleurs, le parti pris de l’auteur est la démarche allusive et labyrinthique. Les secrets sont partout gardés et seul un observateur attentif peut déceler une référence, un mot, une intonation qui pourraient lui permettre de dévoiler un coin de ce qui est caché. Bref, on ne sait pas ce que l’on cherche dans ce court roman et on comprend vaguement ce que l’on y a trouvé une fois la dernière page achevée.

Christine est une jeune fille de vingt ans qui passe son temps dans le cimetière de Passy. Elle y observe les tombes des grands hommes en nourrissant les oiseaux. Elle va y faire la connaissance de Daniel, un peu plus âgé, qui cherche la trace de meubles du décorateur Jean Royère de part le monde pour le compte d’un collectionneur belge. Un peu velléitaire, Daniel va se laisser prendre dans les humeurs maniaco-dépressives de Christine.

En suivant un long catalogue des rues de Paris, en parcourant d’assommants ouvrages sur les villes d’architecture de France (on voit d’où vient l’auteur), Daniel va découvrir un père collectionneur de mappes monde, un fiancé réalisateur devenu bientôt mari absent, une tenancière de bar maternelle, un ancien danseur de l’opéra pilier de bar…

Au bout du compte, la grande absente est la mère de Christine dont il conviendra de percer le secret.

Cette galerie de personnages se croise en suivant les fils d’un récit trop approximatif et qui manque d’allant pour captiver un lecteur arrivé ici par hasard. Un bon conseil : passez votre chemin !

Publié aux Editions La Table Ronde – 175 pages

16.10.10

L’insomnie des étoiles – Marc Dugain

Drôle de titre qui mérite quelques explications livrées d’ailleurs par l’auteur lui-même dans une interview accordée au Point. Pour l’auteur, qui s’est fait une spécialité des histoires monstrueuses et hors du commun (La chambre des Officiers, La malédiction d’Edgar ou bien encore Une exécution ordinaire), les étoiles nous observent en permanence. Or, avec le Mal qui rôde sans cesse sur terre, la monstruosité aussi imaginative des hommes que permanente, les étoiles ont du mal à trouver le sommeil.

Or, de monstruosité, il est bel et bien de nouveau question avec ce dernier roman de Dugain. Cette fois-ci, c’est au cœur du système nazi que par glissements successifs, presque imperceptiblement, l’auteur va nous entrainer.

Le roman commence dans une ferme allemande confiée à la seule garde d’une adolescente de quatorze ans depuis que son père est parti sur le front russe. Une fille squelettique, entourée de deux chevaux faméliques, et qui se nourrit au compte-gouttes d’un stock de patates. Une proie facile et tentante pour des policiers mafieux, livrés à eux-mêmes et qui vont faire main basse sur les biens avant que d’essayer de la violer.

Lorsque, plusieurs mois plus tard, elle sera découverte à moitié morte par une patrouille française emmenée par le Capitaine Louyre ce dernier voudra à tout prix comprendre la raison de la présence d’un squelette calciné caché au fond d’une malle dissimulée sous un tas de chiffons. Commencera alors une longue enquête, comme un entêtement à trouver la vérité hideuse, directe et indirecte, malgré des millions d’autres morts plus ou moins atroces dans une Europe ravagée.

Placée sous la garde du Capitaine et confinée dans une garnison inoccupée et rutilante d’une petite ville d’Allemagne, la jeune fille tente de se remettre. Mais, malgré elle, elle a vu certaines scènes qui pourraient compromettre certains des notables locaux. Elle devient donc l’enjeu de manipulations auxquelles Louyre va s’opposer de tout son poids.

Derrière ces manipulations se cachent en réalité des faits bien plus graves et qui se sont déroulés dans l’hôpital surdimensionné de la ville, précipitamment abandonné, récuré et vidé de tout contenu avant la fuite des troupes nazies. Et c’est cette vérité inavouable que Louyre va s’acharner à faire révéler par celui qui en fut l’instigateur et l’exécuteur.

Patiemment, usant de ruse, Louyre obligera l’auteur de faits particulièrement graves à avouer un secret qu’il gardera pour lui seul. Ce sera là l’acte d’héroïsme principal d’un officier qui, dans le civil, est un astronome, plus préoccupé de science et d’exactitude que de guerre et de violence. Il n’y gagnera que le plaisir d’avoir tiré au clair l’indicible et pousser au suicide l’auteur de faits odieux sous couvert d’instructions douteuses du pouvoir nazi.

Dugain nous fait ainsi plonger derrière la façade de ce que disent les livres d’Histoire, révélant, sous forme de fiction, ce qui fut une pratique du plus abominable régime qu’engendra le vingtième siècle, à égalité avec le Stalinisme.

Cependant, je dois avouer être resté sans cesse à l’extérieur de ce roman qui n’a pas su me captiver ou me hanter, malgré ses qualités de construction. Il me semble lui manquer le souffle des trois précédentes œuvres majeures de cet auteur à part dans le paysage littéraire français contemporain. Je crains qu’on oublie assez vite cet opus qui ne me paraît pas émerger d’une nouvelle rentrée littéraire chargée.

Publié aux Editions Gallimard – 2010 – 226 pages

Grâce et dénuement – Alice Ferney


Avec ce roman, Alice Ferney a obtenu le Prix Culture et bibliothèque pour tous en 1997. Un livre écrit avec un certain lyrisme, fruit d’une écriture travaillée, maîtrisée et parfois, brutalement, pleine d’une fulgurance où se cache une certaine passion.

Grâce et dénuement, c’est la marque de fabrique du peuple des gitans. Un peuple en marge qui suit ses propres codes et où l’appartenance au clan, à la famille est sacrée. Un peuple où l’on se suffit à être hommes et où les femmes sont simplement faites pour enfanter, tenir un semblant de salubrité, veiller sur leur homme et leur progéniture.

C’est dans un clan familial que nous entraine Alice Ferney. Un clan tenu par une vieille femme, Angélique. Enfin, vieille avant son heure car à cinquante ans, sans soins, sans nourriture saine, avec une hygiène approximative et vivant dehors en permanence, tout devient plus lourd à porter et le désir d’en finir peut s’emparer d’êtres qui sont nés sans rien, n’ont rien acquis et s’en iront aussi pauvres.

Angélique est veuve d’un époux qui ne fut capable de rien, qui n’avait ni santé, ni volonté et qui a tout juste été capable de lui faire cinq enfants, cinq fils, parce qu’elle le voulait.

Quatre de ses fils sont encore vivants. Ils forment le socle du clan avec leurs épouses et la ribambelle de mioches qui court autour, dépenaillés, incultes, déscolarisés. Ils vivent sur un terrain vague appartenant à une vieille institutrice un peu en marge et qui refuse de les expulser. Leur vie est simple, insalubre, faite d’improvisation, de débrouillardise et de vols aux alentours.

Chacun de ses hommes connaît une fortune diverse dans son couple mais tous sont viscéralement soudés, liés à une mère castratrice qui n’a pas su ou voulu en faire des hommes autonomes et responsables.

Un jour, une gadjé, Esther, la quarantaine bien portante, mariée, infirmière, mère de trois enfants, débarque pour lire aux enfants, sans demander d’autre contrepartie que de leur donner cette chance de découvrir l’ouverture au monde qu’apporte la lecture. Ce sera un succès total suscitant émotion, respect de l’autre et échange entre ces enfants qui ne connaissaient jusque là que la domination pour s’imposer aux autres.

Peu à peu, elle va se faire admettre par le clan, les aider, les assister jusqu’à faire scolariser la fille aînée à force de pugnacité et d’opiniâtreté. Elle sera là pour tous les coups durs et saura assister sans démonstration, par simple générosité.

Peu à peu, elle va découvrir les tensions inhérentes à ce clan, la fureur et la folie qui peut s’emparer d’un homme sans métier, sans langage structuré, sans femme.

Peu à peu, comme elle, nous allons vivre avec ces gitans et découvrir ce qui peut donner sens à une vie qui ne tend pas vers l’accumulation de richesses ou de biens plus ou moins futiles.

Certes, le discours est parfois moralisateur avec une propension à défendre certaines valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Mais l’auteur réussit au moins le tour de force que de nous amener de l’autre côté de notre monde et de nous interpeler sur nos responsabilités et le propre sens que nous donnons à nos vies.

Il y a bien des longueurs, des imperfections dans ce récit parfois plus ethnographique que romancé. Mais le tout mérite que l’on s’y intéresse tant pour le fond que la forme.

Publié aux Editions Actes Sud – 289 pages

9.10.10

Paysage aux trois arbres – Yehoshua Kenaz


Derrière ce titre se cachent en fait deux récits (des petits romans ou de longues nouvelles en quelque sorte). Celui qui donne le titre à ce livre est le deuxième et le plus court des deux. C’est de mon point de vue également le moins intéressant d’un livre qui n’a pas soulevé en moi un profond enthousiasme…

Le premier récit porte un titre original : « On brûle les placards d’électricité ». Ces deux récits constituent une variation sur un thème commun. Comment vivre ensemble dans un pays où cohabitent juifs, arabes, palestiniens sans compter les forces militaires anglaises, au moment de la seconde guerre mondiale où se déroule le deuxième récit.

Nous partageons la vie de quelques familles israéliennes. Des familles modestes, quelconques, très représentatives de la moyenne.

Dans le premier récit, Kenaz s’applique dans la première partie à mettre en place ses personnages. Il décrit avec précision et pudeur les tensions qui habitent ces couples ou ces familles qui cohabitent au sein d’un immeuble quelconque de Tel Aviv. Une tension cristallisée autour de deux travailleurs arabes qui entretiennent l’immeuble à coups de serpillères crasseuses. La fermeture des frontières pour cause de nouveaux attentats fait que le premier d’entre eux ne peut plus se rendre sur place.

Ces mêmes attentats qui se traduisent par d’incessants bombardements de missiles font qu’un pauvre hère va devoir envoyer sa famille à l’abri. Il sera exploité par le syndic de l’immeuble qui le loge comme un miséreux dans les sous-sols à peine ventilés et le traitent comme un éternel suspect de tous les maux qui s’abattent sur le peuple juif. Il sera le remplaçant exploité, méprisé, exploité.

Le drame de la solitude est au cœur de ce petit roman. Solitude d’une vieille dame qui succombera à l’incendie toxique, sans doute volontaire, d’un des placards d’électricité (d’où le titre). Solitude du travailleur arabe, coupée de sa famille, de ses racines, ravagé par des angoisses matérialisées par un chaton rouquin, symbole du mal et de la tentation. Un homme déraciné et au bord du désespoir.

Solitude encore d’un des voisins, au chômage, que sa compagne a quitté. Un brave type qui cherche à protéger ces travailleurs arabes, à leur payer ce qui leur est dû, à maintenir cahin-caha un immeuble où les moyens et la volonté manquent.

C’est lui qui va s’occuper des obsèques de la vieille dame et qui va, à la façon d’une intrigue légèrement policière, essayer de comprendre ce que sont d’étranges personnages que son enquête sur l’origine de l’incendie va lui faire rencontrer. C’est lui qui crée le minimum de lien social entre toutes ces hommes et ces femmes, si dissemblables, qui partagent la vie de cet immeuble.

La force du récit tient dans sa grande pudeur. L’auteur se tient à l’extrême limite d’une quasi distanciation vis à vis de son ouvrage. Il ne juge pas. Il se contente de l’exposé des simples faits comme pour inviter ses lecteurs à se reconnaître et à comprendre en quoi une attitude héritée de préjugés et d’indifférence peut provoquer chez celles et ceux qui vivent à côté.

Le deuxième récit est de la même veine mais tourne autour d’un nombre recentré de personnages et se focalise sur la suspicion, l’étrangeté que la cohabitation de populations disparates ne peut manquer d’engendrer.

C’est aussi un récit sur la force de l’art avec la présence d’un militaire anglais qui tue le temps en reproduisant avec minutie une peinture de Rembrandt dans laquelle il livrera toutefois, à ceux qui sauront le déceler, un message personnel.

Le récit est moins fouillé, moins touchant aussi.

Au total, une indéniable curiosité qui n’en fait pas un must indispensable. Un récit pour comprendre, en tous cas, de façon originale le quotidien d’une société qui vit dans la peur permanente du conflit et des attentats. A vous de voir.

Publié aux Editions Actes Sud – 306 pages

7.10.10

La ville des prodiges – Eduardo Mendoza


Ce gros roman, très dense, est l’héritier moderne de la tradition picaresque. Mendoza nous entraine avec son sens de l’humour habituel dans une Barcelone qui se transforme, entre les deux expositions universelles de 1888 et 1929.

Deux immenses chantiers qui vont jeter les bases de la ville moderne, lumineuse, vivante que nous connaissons de nos jours.

Deux immenses chantiers qui vont bouleverser la vie des catalans, les ruiner tout en enrichissant les notables locaux.

Pour suivre cette épopée, Mendoza imagine un personnage haut en couleurs qui arrive encore adolescent dans cette ville obscure, sale et pauvre avant l’exposition universelle de 1888.

Un personnage pauvre, ruiné par un père qui s’est embarqué dans une improbable aventure cubaine et qui y aura tout perdu. Un personnage qui pour survivre devra faire preuve d’une volonté de fer, d’une détermination et d’une abnégation en vue d’un seul objectif : devenir riche.

A partir de là, Mendoza nous entraine dans un tourbillon sans répit où se mêlent les anarchistes qui, à l’occasion de chacune de ses expositions et l’explosion de la société aidant, vont ébranler un monde en voie d’industrialisation, et les bourgeois préoccupés de préserver pouvoir et fortune.

Mais ce sont souvent à des personnages étranges, décalés, loufoques que l’auteur fait appel pour mieux rendre la folie qui s’empare de la ville, tout en se moquant gentiment des sphères du pouvoir catalan et castillan que tout oppose.

Cette galerie comporte des géants capables de fracasser des têtes à mains nues et d’engloutir des quantités de pâtisseries incroyables tout en abusant allègrement des filles plus ou moins faciles ; un hôtelier glauque dont le vice est de se déguiser en femme pour se rendre nuitamment dans les bas-fonds de la ville ; un marquis méprisant et assoiffés d’expériences sexuelles de plus en plus bizarres ; des anges sauveurs des causes perdues ; de généraux méprisants, idiots et absurdes ; d’émissaires naïfs et habillés des reliques saintes pour défendre la cause de leur ville dans une capitale qui la méprise ; et de bien d’autres encore.

Bref, une collection d’humanité souvent plus préoccupée à s’enrichir, à servir sa propre glorification qu’à se préoccuper du bien-être général.

Une humanité manipulée par le personnage romanesque qui naviguera entre trois femmes aussi dissembles que possible mais essentielles à sa destinée.

Pour autant, le roman n’est pas exempt de défauts. Souvent, nous glissons d’un sujet à l’autre sans transition et le lecteur a du mal à s’y retrouver entre les multiples personnages et les lieux. Sans connaissance préalable de Barcelone, il me paraît impossible d’apprécier ce roman.

De plus, les références historiques sont trop souvent plaquées au récit et constituent autant de raccords trop visibles qui déstructurent la linéarité du roman.

Au bout du compte, on commence à compter les pages et on finit un peu par se lasser d’un roman un peu trop flamboyant, un peu trop riche. Bref, comme un repas trop riche et dont on sature avant la fin en se demandant quand on va en finir. Dommage.

Publié aux Editions Seuil – 406 pages

2.10.10

Les disparues de Vancouver – Elise FONTENAILLE


Elise Fontenaille se délecte à faire de ce qui dérange, de l’indicible, la matière première de son univers romanesque. On l’avait déjà vu avec « Unica », que nous avions beaucoup aimé sur Cetalir avant qu’il ne soit récompensé par le Grand Prix de la Science-Fiction Française 2008. Là, c’était la pédophilie sur Internet qui servait de trame à un superbe récit où le réel, le fantasme et l’imaginaire se mêlaient pour former un univers fascinant.

Avec son dernier récit « Les disparues de Vancouver », Elise Fontenaille a décidé de frapper un grand coup. Publié au moment de l’ouverture fastueuse et presque immorale des JO d’Hiver de Vancouver 2010, le livre prend le contrepied de l’image idyllique que le Canada chercha à envoyer au monde en nous plongeant dans ce que cette ville et ce pays ont de plus glauque, de plus barbare.

Car c’est à Vancouver, dans le Dowtown Eastside (DTES) que se concentre le pire de la prostitution, celle des jeunes Indiennes, souvent encore à peine pubères, disparues de chez elles, accros à l’héroïne et prêtes à tout, à n’importe quel prix pour se payer un fix. Une prostitution sur fond de racisme omniprésent au Canada depuis qu’au XIXème siècle, comme nous le rappelle l’auteur dans un parallèle frappant, 10000 femmes indiennes furent convoyées vers des réserves, encadrées par des hommes en armes et que plus de 4000 d’entre elles moururent de mauvais traitements pendant le voyage.

En effet, qui peut bien se préoccuper du sort de ces Indiennes victimes des « bad dates », ces gars, souvent des maris ou pères de famille qui, parce qu’elles ne sont pas blanches se croient tout permis avec ces filles et les tabassent plus ou moins violemment. Et, malgré les disparitions soudaines, sans laisser la moindre trace, personne ne fait rien, et surtout pas la Police Canadienne qui s’en fout royalement.

Pourtant, elles disparaissent ces filles et de plus en plus depuis dix ans. Par dizaines même. Seuls quelques amis ou membres de la famille se réunissent alors, une fois par an, pour célébrer leur mémoire, pleurer ensemble à défaut de recevoir le moindre soutien.

Il faudra la persévérance d’un homme au cœur d’or, Wayne Leng, tombé amoureux d’une prostituée trentenaire et restée belle, Sarah De Vries, pour forcer le destin et amener la police canadienne à s’intéresser enfin au problème et à découvrir l’horreur absolue. Parce que Sarah a disparu brutalement sans laisser de traces, Wayne enquête sans relâche, harcèle la police et laisse tomber son job pour se consacrer à plein temps à un site recensant les disparues de Vancouver et glanant la moindre information à leur propos.

Alors, peu à peu, l’étau va se resserrer autour de William Picket, un fermier éleveur de porcs, devenu soudainement riche grâce à la spéculation immobilière. Un taiseux qui organise des fêtes orgiaques où les Hell Angels consomment bière et viande à gogo tout en se livrant à d’ignobles activités sexuelles avec des filles enlevées du DTES et livrées en pâture. Tout le monde le sait mais personne ne pipe mot car Picket achète le voisinage, la police en leur refilant des stocks de viande. Sauf qu’un jour, presque par hasard, on finira par découvrir que cette viande n’est autre que celle des prostituées qu’il a sauvagement assassinées, découpées après les avoir accrochées à des crocs de bouchers avant de les transformer en rôtis de prétendu porc. Les restes sont bouffés par les cochons ou enfouis dans le lisier. Commencera alors une longue investigation pour retrouver les traces d’ADN et compter au moins soixante neuf victimes, ce qui fait de Picket le plus grand serial killer d’Amérique du Nord.

Tout cela est réel et fut étouffé à l’aube du nouveau millénaire. Il a fallu de la persévérance à Madame Fontenaille pour faire parler ceux qui se taisaient et accoucher d’un récit plus journalistique que romancé. Un récit qui fait froid dans le dos et qui est malheureusement authentique.

Certes le livre n’a pas le côté onirique d’Unica et le style en est dépouillé à l’extrême à l’image de ces victimes qui n’ont absolument plus rien. Il n’en reste pas moins un indispensable témoignage sur ce que l’homme est capable de pire.

Publié aux Editions Grasset – 2010 – 193 pages

Quelques nouvelles

Merci pour votre fidélité de plus en plus grande sur Cetalir qui est consulté dans le monde entier. La France reste, bien sûr, la principale origine de vos visites, suivies par le Canada et les Etats-Unis.

Sur le mois d'Octobre, le site a enregistré 1478 consultations de pages, en progression significative sur les trois derniers mois.

Les pages les plus consultées, dans l'ordre décroissant, ont été la semaine dernière :

Les Chaussures italiennes - Henning Mankell *****
Le premier homme - Albert Camus ***
Melnitz - Charles Lewinsky *****
Titan - La Triologie de Gaïa I - John Varley ***
Sex, Foot et Royalties **

Sur le mois de Septembre, le quinté est le suivant :

Les Chaussures italiennes - Henning Mankell *****
Le premier homme - Albert Camus ***
Melnitz - Charles Lewinsky *****
Magnus - Sylvie Germain ***
Au temps où la Joconde parlait - Jean Diwo *****

Merci donc encore pour vos visites et surtout, n'hésitez pas à nous laisser un commentaire auquel nous répondrons très rapidement.

Nous allons aussi augmenter le nombre de posts par semaine, disposant d'un stock de centaines de notes en attente.

Bien cordialement et bonnes lectures !

1.10.10

Univers, univers – Régis Jauffret


Une femme met un gigot au four. Commence une longue, très longue digression sur les infinies personnages possibles, rêvés, putatifs, probables, croyables ou incroyables que cette inconnue pourrait revêtir.

Un univers de possibles où Jauffret nous entraine avec un certain brio. En une page, il n’est pas rare que cette femme en soit dix, douze, quinze, vingt. Elle change de nom, de prénom, de mari, de passé, de présent et de futur.

Puis, les pages défilant, certains univers sont plus explorés que d’autres, certains passés font l’objet d’une description sur dix pages.

Quelques personnages, comme ce couple insupportable, les PIERROT, de bobos qui n’ont de cesse d’agrandir leur résidence avec piscine et d’organiser des dîners avec baignades obligatoires, structurent un récit tourbillonnant.

Des thèmes apparaissent comme récurrents. Ils hantent ces univers parallèles, donnent des pistes sur les angoisses qui habitent cette femme.

A-t-elle été parricide, infanticide ? A-t-elle assassiné son mari ? Elle a des flashes d’univers carcéral dont elle sort parfois indemne, parfois détruite, parfois morte.

Parfois aussi, pour mieux nous dérouter dans ce roman à part, très spécial, nous nous retrouvons au détour d’une phrase, d’un mot ou d’un chapitre dans la peau d’un des possibles maris.

Chacun de ces êtres suit un passé spécifique. Rares sont les parcours linéaires. Souvent, le meurtre, la violence, la drogue peuplent une enfance où une adolescence tumultueuses. Parfois, une fois adultes, une vie rangée, lisse, efface un passé plus ou moins lourd.

Le gigot connaît lui aussi un sort qui varie au fil des personnalités empruntées. Dans tous les cas, c’est à une femme désespérée, désemparée, déstructurée, déboussolée que nous avons à faire. D’ailleurs existe-t-elle vraiment ?

Très moderne par sa structure, ce roman finit cependant par lasser. 300 pages eussent largement suffi à servir de trame à un délire onirique et littéraire qui provoquera adhésion ou rejet. Pas de juste milieu possible.

Mais voilà, le roman en fait 600 et là, c’est overdose !

Toutefois, d’autres auront apprécié car ce roman s’est vu décerné le prix « Décembre 2003 ».

Une curiosité à découvrir, quitte à l’abandonner avant la fin…

Publié aux Editions Verticales – 609 pages