26.3.10

Pays de neige – Yasumari Kawabata


« Pays de neige » est souvent considéré par les exégètes de Kawabata comme son chef-d’œuvre. Sa maturation fut d’une extrême lenteur. Composé tout d’abord sous la forme de nouvelles, le récit fit l’objet d’une publication progressive entre les années 1935 et 1947. Il fut ensuite remanié en 1971 pour être publié sous sa forme définitive. C’est dire l’importance de ce livre dans l’œuvre du Prix Nobel de Littérature.

Pour apprécier « Pays de neige », il faut accepter le parti-pris de lenteur et d’apparente simplicité qu’adopte Kawabata. Il n’y a nulle hâte dans le récit, le rapport au temps, l’abandon à une certaine langueur acceptée étant ce qui caractérise les personnages centraux du livre. Comme la neige efface les reliefs des montagnes et engourdit le lieu de villégiature où se déroule le récit, en installant le froid elle assourdit les passions tout en reculant le moment où les deux personnages centraux, en proie à une symbolique et étrange danse de séduction, vont devoir faire des choix qui les engageront irrémédiablement.

La neige et le frimas gèlent une situation que tout observateur ne pourra considérer que comme anormale. Seul le drame, unique solution à un état de fait par nature non perdurable, sera de nature à mettre les personnages en face de la réalité.

C’est donc une œuvre éminemment subtile, psychologiquement complexe que nous livre l’auteur. Un tableau d’un extrême soin dans lequel chaque détail va compter, un élément isolé en expliquant un autre, le tout prenant son sens au fur et à mesure que le temps se déroule.

Shimamaru est un homme nanti qui vit une vie sans implication, une forme de dandy esthète asocial, féru de danse moderne occidentale en ce début de XXème siècle. Il occupe médiocrement son temps à publier à compte d’auteur des éditions luxueuses d’ouvrage sur sa passion que jamais personne ne lira.

Parce qu’il a connu autrefois une femme qu’il a aimée avec passion et dont il fut aimé et parce qu’il l’a abandonnée sans donner signe de vie, malgré ses promesses depuis une centaine de jours, il lui prend la fantaisie de revenir au village de montagne où ils se connurent. Dans le train qui le mène sur place, il observe à son insu une jeune femme troublante, Yoko, qui accompagne un homme malade et qui, tous deux, descendent à la même gare que lui.

Arrivé sur place, il demande à retrouver la maîtresse de musique, son ex-amante Komoko, dont il découvre qu’elle exerce désormais le métier de geisha. Cette femme semble l’attendre depuis toujours et après une défense de pure convenance, elle se redonne à lui.

Sur cette base, Kawabata structure son récit en trois mouvements principaux. Le premier nous ramène par un flash-back à leur première rencontre, à la passion des corps qui exultent, à l’intensité des sentiments. Une passion qui n’empêcha pas Shimamaru de quitter Komoko sans un mot pour revenir à Tokyo auprès de sa femme et de ses enfants.

Le deuxième mouvement est celui du temps présent, des retrouvailles, du lien de dépendance Maître/Esclave si cher à Hegel et qui ne tardent pas à faire de Komoko la maîtresse officielle d’un homme dont on ne sait dire s’il l’aime ou s’il s’amuse d’elle. A nouveau, il la laissera pour retourner à ses affaires.

Le troisième mouvement est celui du retour de Shimamaru. Un retour qui va se prolonger et s’installer avec l’hiver, la neige, les activités quasi artisanales des villageois décrites avec un esthétisme à couper le souffle. Malgré le devoir qui l’appelle, Shimamaru semble ne plus pouvoir faire marche arrière. Plus Komoko se livre aux touristes venus payer ses services, plus la dépendance morbide s’accroît. Le surgissement inattendu de Yoko qui trouble profondément l’homme versatile qu’est Shimamaru, la découverte progressive du lien qui unit les deux femmes ne pourront que projeter les acteurs dans un drame purificateur.

Un livre sublime et complexe.

Publié aux Editions Albin Michel – 1960 (1ere édition) – 190 pages

22.3.10

Les violons du roi – Jean Diwo


Le secret de Jean Diwo, qui s’est fait une spécialité du roman historique, tient dans sa capacité à plonger délicieusement ses lecteurs quelques siècles en arrière et à leur faire côtoyer une galerie de personnages illustres dont nous apprenons tout ou presque, comme s’ils étaient nos voisins de palier ou nos amis de longue date. Je me souviens encore de ses fameuses « Dames du faubourg » et ai éprouvé avec « Les violons du roi » le même plaisir réel, continu procuré par une écriture souple qui s’appuie sur une documentation des plus solides et une maîtrise du sujet remarquable qui font de ce roman historique un livre hautement recommandable.

Cet opuscule (de presque cinq cent pages tout de même) vise à faire de nous des amateurs éclairés de l’art de la lutherie. Au centre du roman se trouve l’inégalé Stradivarius dont nous allons suivre la longue vie (il vécut entre quatre vingt et quatre vingt dix ans) entièrement dévouée à une passion dévorante et quasi exclusive qui fit passer le violon du rang d’instrument secondaire à celui d’instrument brillant, de premier plan mettant en valeur des artistes virtuoses, le plus souvent compositeurs, qui en tirèrent la quintessence. En quelques décades, la technique de jeu poussa la technique de conception et la conception s’améliorant sans cesse, la musique progressa vers des contrées qui ouvrirent le chemin vers la musique symphonique puis le romantisme, cent cinquante ans plus tard.

Stradivarius commença comme jeune apprenti chez Amati (le troisième de sa génération considéré en son temps comme le maître incontesté de la lutherie) dans la ville de Crémone où il séjourna toute sa vie. Très vite, Amati sut déceler chez ce jeune homme timide, pauvre, d’origines inconnues, muet sur sa famille, dévot et secret un talent qui pouvait faire de lui un grand maître.

Lorsque Stradivarius s’installa à son compte, bien des années plus tard, il fit progresser à pas de géants la technique à la suite de longues recherches empiriques qui l’amenèrent à travailler sur les essences du bois, la forme des ouïes, l’épaisseur des voutes ou des tables, la taille des instruments. Son rêve, qu’il finit par accomplir, était de concevoir l’instrument parfait mêlant beauté esthétique, vernis incomparable, son chaud et profond.

Sa renommée s’installant, il forma les nouvelles générations qui propagèrent l’art de la lutherie en France (François Médard, le maître français, sortit de ses ateliers) ou explorèrent des voies alternatives (on pense à Amati del Gesu– le fils de l’Amati où Stradivarius fit son apprentissage - qui fut, à la fin de sa vie son principal challenger, l’égalant en qualité et en beauté).

Tout ce que la vie musicale de l’époque compta d’important passa par les ateliers de Stradivarius ou fit appel à ses services. On suivra avec fascination les récits brillants et précis faits par l’auteur sur Corelli, le fondateur de l’art d’utiliser le violon de façon moderne, Biber que les amateurs éclairés connaissent pour avoir écrit des pièces d’une modernité encore saisissante quatre siècles plus tard, Tartini à la technique ébouriffante…

De longues pages sont également consacrés à Venise, capitale musicale italienne voire européenne, et à Vivaldi qui plaça définitivement le violon à la base des orchestres modernes et imposa la structure nouvelle du concerto en trois mouvements.

Si, comme c’est mon cas, vous êtes un fou de musique classique, ce livre est tout simplement jouissif. Il sait donner l’impression d’être intelligent sur un sujet pointu tout en procurant un plaisir de lecture réel et constant.

Publié aux Editions Denoël – 1990 – 476 pages

18.3.10

Tabloid dreams - Robert Olen BUTLER



BUTLER nous entraîne, dans cette série de nouvelles modernes et récentes, dans un univers décalé et où la puissance de l’esprit s’amuse à repousser les frontières du réel tangible.


Car ces nouvelles sont une forme d’illustration splendide quant au fait que notre imaginaire construit avant tout notre monde personnel à nous seuls perceptible, d’où de fréquents problèmes de communication illustrés cocassement ici.


Ces nouvelles sont aussi et beaucoup celles d’un amour unilatéral ou bien épuisé par de trop longues années de cohabitation. Un amour que l’un des deux partenaires continue d’éprouver pour l’autre, malgré tout, malgré souvent la mort toujours joliment mise en scène, en douceur, comme un élément accentuant le caractère comique de la situation.


On se délecte donc à la lecture de ces petites pièces souvent brillantes. Certes, comme souvent, leur qualité est inégale. Mais, globalement, la plupart de ces récits sont des petits joyaux d’impertinence, de moquerie sur nos conditions d’humains éplorés après un bonheur perdu ou jamais encore trouvé.


La boucle est bouclée car nous commençons à bord du Titanic, la nouvelles “Un noyé du Titanic parle au travers d’un waterbed” où nous assistons au coulage stoïque du paquebot, vécu via l’esprit d’un fonctionnaire des Indes un rien guindé tombant follement amoureux d’une passagère inconnue et, à première vue indifférente, lui offrant galamment une apparente survie avant que de se rendre, seul, à sa table de jeu.


Nous découvrirons dans la nouvelle conclusive, “Des survivants du Titanic découverts dans le triangle des Bermudes”, que l’indifférence n’était que feinte et que ce fut la surprise de cet abordage, si j’ose dire, qui empêcha la belle de s’enfuir avec son galant.


Nous avons adoré “Une femme qui se sert d’un oeil de verre pour espionner son mari volage” où, un oeil de verre posé avec ruse dans un verre à dents sur la table de chevet du lit conjugal informe en direct une greffière des ébats adultères d’un mari lassé de trop longues années de mariage.


Ou bien encore “Un mari jaloux revient dans la peau d’un perroquet”, où un mari décédé et toujours amoureux, réincarné en perroquet, réussit à attirer l’attention de son ex-épouse et à se faire acheter par elle. Malgré ses cris d’amour désespéré, il va assister, plus ou moins impuissant, aux exploits sexuels de son ex avec le genre d’hommes qu’elle a toujours aimés et lui détestés. Hilarant !


Bref, vous l’avez compris, ne manquez pas ce recueil qui se dévorera en tout au plus deux heures qui passeront au grand galop.


Publié aux Editions Poche Rivage - 286 pages

12.3.10

La voyageuse de nuit - Françoise Chandernagor



Que les parents, dissimulés ou drapés dans le désir de protéger ou de régenter leurs enfants, même devenus adultes, peuvent commettre comme dégâts psychologiques et physiques sur leur progéniture.


C’est le thème choisi par F. Chandernagor dans son dernier roman. Un roman qui nous a beaucoup déçu. La faute à un rythme épouvantablement long, à une surenchère de descriptions et d’introspection sur ce que passé et présent combinés peuvent produire sur quatre femmes mûres. Elles ont la cinquantaine passée, sont mariées, multi-divorcées, multi-parturientes pour certaines d’entre elles, mais toujours viscéralement liées et dépendantes de leur mère, Olga.


Quatre femmes qui assistent, impuissantes, à une agonie programmée de leur mère. Programmée car, depuis 6 ans, Olga refuse de se faire soigner et souffre le martyr, emportée progressivement par trois cancers et d’autres complications.


Mais Olga lutte, de toutes ses forces et de toute sa volonté et manipule à distance sa famille pour conserver autour d’elles filles et petits-enfants, jusqu’à l’épuisement de ceux-ci.


L’auteur ne nous épargne rien dans les détails d’une mort atroce. Les mots sont souvent crûs, les escarres largement évoquées pour souligner le combat héroïque contre la souffrance et pour régenter une famille qui souffre cruellement de l’absence d’homme.


Certes, il y a bien un père et un mari, “pacha” dans la marine marchande et qui aura passé son existence absent et loin des siens. Un père, un mari dont la mort d’Olga mettra à jour la vraie vie. Un secret de famille jalousement gardé qu’Olga connaissait. Une lutte contre la mort pour se venger de ce mari.


Derrière une unité de façade, c’est à la déchéance de la cellule familiale que nous allons assister. Peu à peu, les souvenirs remontant à l’occasion des longues veilles et des repas de nuit pour tenir le coup, les petits et les grands secrets vont faire surface. Nous allons progressivement comprendre ce qui fait de ces quatre femmes des êtres profondément instables, à la merci du moindre déséquilibre affectif.


Alors, ces femmes trouvent chacune un refuge, qui dans l’alcool, qui en fuyant à l’autre bout du monde, qui en entretenant une vie parallèle et homosexuelle, qui en tentant de se suicider.


Une fois la mère partie, rapidement après le soulagement, c’est la digue qui cède. Les apparences cèdent vite la place à une réalité triste, voire désespérante. La scène du vidage de la maison familiale, du partage du peu de biens est à ce titre révélatrice. Des apparences trompeuses, une décoration qui s’écroule faute de la maîtresse de maison et de son savoir-faire pour assembler l’inassemblable, rafistoler le jetable...


Pour autant, le livre s’enlise pour plusieurs raisons. D’abord, parce que seul le point de vue féminin est étudié. Les hommes sont quasiment absents de ce livre hormis le père, peu reluisant et peu bavard, et un grand-père idéalisé, russe d’origine, un peu loufoque et qui s’est installé sur le plateau creusois à la fin de la guerre de quatorze.


Ensuite parce que le livre s’encombre de méandres qui à défaut de former un fleuve qui grossit, transportent le lecteur vers des cours d’eau sans intérêt et qui nuisent au débit.


Enfin parce que, à vouloir décrire et la vie d’Olga du temps du Grand-Père, et sa vie de femme, et son agonie, et la vie des quatre filles avant, pendant et après le décès d’Olga, on s’y perd. Il y avait matière à 700 ou 800 pages. Les plus de 300 sont ou trop courtes (non !) ou trop nombreuses (ce que je pense).


On referme le livre déçu d’autant que la fin est absolument incompréhensible.


Vous trouverez bien d’autres choix plus recommandables sur Cetalir...


Publié aux Editions Gallimard - 323 pages

10.3.10

Le Maître ou le tournoi de Go – Yasunari Kawabata


Yasunari Kawabata fut l’une des figures majeures de la littérature japonaise du XX ème siècle. Né en 1899, il se suicida en 1972 après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature en 1968.

Kawabata ancra son œuvre dans la description d’un monde en transition, celui d’un Japon fort de ses traditions, en proie à d’insoutenables tensions, en train de basculer vers la modernité qui redéfinit les rôles et les règles. Typiquement nippon, il est le narrateur des mondes intérieurs qui nous agitent et porte une attention extrême aux moindres détails, à ces toutes petites touches extrêmement travaillées, peaufinées qui font de son œuvre un héritage léché, précis où chaque mot compte.

« Le Maître ou le Tournoi de Go » s’inscrit parfaitement dans cette tradition. Le roman repose sur un fait historique. Seuls les noms des protagonistes ont été changés.

Dans ce roman très court mais très dense, Kawabata s’attache à décrire avec un soin extrême une partie de Go qui fut organisée entre le Maître de soixante-quatre ans, héritier d’une longue dynastie de joueurs qui virent le Go comme une forme d’esthétisme codifié, et son jeune challenger de trente ans, joueur professionnel, tourmenté et fougueux, réputé pour ses attaques finales particulièrement meurtrières.

La partie s’étala sur six mois, fit l’objet d’un règlement pointilleux que la maladie du Maître obligea à revoir fréquemment. Chaque révision fit l’objet d’intenses négociations où l’entourage des joueurs prendra un rôle essentiel lorsque les egos des deux protagonistes finissent par conduire à de fréquentes impasses.

Transportés dans des lieux retirés, isolés du monde, les joueurs placent leurs coups après d’intenses réflexions pour le challenger ou de très courts moments pour le Maître, sûr de son art. Ces longues réflexions ne sont pas tant des moments d’hésitation qu’un des moyens mis en œuvre pour déstabiliser psychologiquement le Maître, habitué à pratiquer sur des cycles courts de jeu.

Même si l’on ne connaît rien au Go, on se laisse immédiatement prendre par l’atmosphère de tension qui préside à cette partie historique et incroyablement longue. Une partie qui symbolise la lutte entre la tradition et la modernité, le respect des normes et l’inventivité, entre un Japon finissant et un Japon conquérant.

Les moments de jeu sont souvent perturbés par d’infimes détails : le bruissement du vent, l’approche de l’orage, un joueur de flûte qui s’exerce au loin, le bruit d’une cascade. Selon le moment du jeu, ces petits détails donneront lieu à d’agréables commentaires ou seront le prétexte à alimenter la bataille terrible et définitive entre ces deux conceptions du monde qui s’opposent.

Même si la fin de la partie ne fait pas mystère, la victoire du challenger étant dès le départ rappelée, on est saisi par l’intensité dramatique savamment maintenue crescendo grâce à l’insertion de la description des moments de détentes qui rythment les journées de jeu, espacées entre elles de quatre, puis deux jours. C’est là qu’on observe les hommes qui se cachent sous ces deux joueurs. La maladie qui ronge le Maître en route inéluctable vers la mort, un esprit qui vagabonde de plus en plus vers le passé. L’agitation chronique du challenger, victime de maux de ventre, père de jeunes enfants générateurs d’un perpétuel désordre symbole du monde qui va de l’avant.

Le livre est tout simplement magnifique et constitue une excellent entrée en matière vers l’œuvre de Kawabata si vous ne la connaissez pas encore.

Publié aux Editions Albin Michel – 1975 – 158 pages

6.3.10

Des yeux de soie – Françoise Sagan


Il m’aura fallu attendre d’avoir presque cinquante ans pour découvrir Françoise Sagan que, malgré ma boulimie de lecture, je n’avais jamais encore abordée ! Ce superbe recueil de dix-neuf nouvelles m’a totalement comblé et donné l’envie de vite réparer cet injuste oubli. Vous voilà prévenus.

Françoise Sagan avait un redoutable talent pour dissimuler derrière une écriture d’apparence facile et gracile une redoutable férocité pour le monde qu’elle fréquentait et les largesses dont elle abusait.

« Des yeux de soie » nous projette dans un univers où l’argent semble donner tous les droits en aplanissant les difficultés quotidiennes. Mais un monde dont la loyauté s’absente aux détours d’un regard, d’un geste, d’une parole qui font brutalement basculer une vie et entrainent dans les affres de l’adultère ou de la compromission.

Alternativement, maris et épouses se retrouvent confrontés ici à ce qu’ils n’osaient envisager. Alors de redoutables vengeances qui, souvent n’iront pas au bout, s’ourdissent. Mais aussi et surtout la résignation, l’embarras, la forfaiture car il faut bien du courage pour mettre à exécution les pires menaces mentales que ces esprits en mal de sensations fortes élucubrent à force d’alcool ou d’auto-conviction.

C’est alors que Françoise Sagan assène son coup de grâce, ne trouvant à ses personnages fats voire ridicules, mais profondément humains, aucune circonstance atténuante. C’est là que surgissent les yeux de soie pour envelopper d’une trompeuse douceur des vies de dépit, de résignation auxquelles l’argent n’aura rien changé, au fond.

Ces tableaux sont d’une terrible truculence et laissent l’empreinte d’une griffe acérée que la précision du style et le sens de la formule rendent fallacieusement douce.

Merci aux Editions Stock d’avoir réédité ce petit bijou !

Publié aux Editions Stock – 1975 réédition 2009 – 193 pages

Le cercle de famille - Nobuo KOJIMA



KOJIMA est un romancier du début du XXe siècle (il est né en 1915) qui a marqué la littérature japonaise contemporaine. Ce n’est qu’assez tardivement qu’il se fait connaître et commence à rencontrer une notoriété grandissante. Sa formation de base est celle d’un enseignant en littérature anglaise, figure dont nous retrouverons une double illustration dans le roman “Le cercle de famille”.


Pour plus d’informations sur l’auteur, n’hésitez pas à consulter le lien suivant :

http://www.shunkin.net/Auteurs/?author=214


“Le cercle de famille” est une peinture détaillée, intime, minutieuse comme le sont souvent les romans des grands auteurs nippons, du délitement progressif du cercle familial d’une famille japonaise typique du début des années soixante (le roman est paru en 1965).


Le personnage principal est un traducteur de langue anglaise qui découvre l'infidélité conjugale de son épouse. Celle-ci l’a trompée, sans que les circonstances soient jamais véritablement éclaircies, avec un soldat américain que le couple hébergeait en sa demeure.


Une infidélité qui marque un nouveau tournant dans une crise continue d’un couple en voie d’explosion. Pour tenter de sauver ce qui peut l’être encore, l’épouse, Tokiko, va entraîner son mari, Shunsuke, dans la construction d’une villa ultra-moderne, très américaine dans sa conception, dans la lointaine banlieue de Tokyo. Les factures s’amoncellent et la maison se révèle une source d’ennuis et de désillusions permanentes. Façon de dire que ce n’est pas un substitut qui permet de régler des problèmes de fond, évidence qu’adultes, nous oublions souvent.


Puis, un cercle vicieux va se mettre en route avec la maladie qui frappe durement Tokiko et finira par l’emporter.


C’est à l’occasion de cette lente et douloureuse agonie que le couple va se resouder, se retrouver, comprendre, trop tard, en quoi la présence et l’existence de l’autre est ce qui donne un fort sens à sa propre vie.


Mais la disparition de l’épouse et de la mère, qui était celle qui cimentait la famille face à un mari et père absents et décalé des préoccupations pratiques, va finir par faire exploser toute la famille.


Derrière la minutie déjà signalée se cache un style simplissime, souvent déroutant pour un lecteur occidental rationnel. Il est fréquent de glisser au détour d’une phrase d’un lieu à un autre, d’un personnage à l’autre, sans qu’aucune mention explicite ne soit là pour nous le signaler. A nous de comprendre en fonction des mots prononcés ou des pensées décrites, comme autant de petits cailloux pour nous permettre de suivre la piste d’une famille en crise.


Ce roman fut considéré comme l’archétype de l’impact de la vie moderne japonaise, post guerre mondiale, sur les valeurs traditionnelles et familiales qui finirent par être largement emportées.


Plus de quarante plus tard, le livre reste plus une curiosité historique pour tout amateur de littérature que comme une oeuvre majeure et indispensable.


Publié aux Editions Philippe Picquier - 231 pages