30.7.10

Grandir – Gilles Leroy


Un homme encore jeune, devenu écrivain, regarde un vieux film en 8mm et se souvient. Sous ses yeux défilent les images hésitantes, amateur, d’un banquet de noces. Un de ces banquets qui n’en finissent pas et où mourir d’apoplexie grâce à la combinaison voulue de grande chaleur et de victuailles en abondance, semble être la règle.

Ce banquet réunit principalement les petits, les sans-grades d’une petite ville de province. Une de ces villes qui survivent grâce à la présence d’une verrerie industrielle omnipotente et omniprésente. La seule façon de trouver un travail est d’y entrer, le plus souvent comme ouvrier, et de s’aliéner à un patron aux relents paternalistes.

Ce banquet, vu à l’époque par les yeux du narrateur, adolescent de quatorze ans, est le symbole même des tensions familiales qui déchirent certains de ses membres. Un mélange fétide de jalousie, d’admiration, d’envie et de cupidité face à celui, le père du narrateur, qui a su s’en sortir, faire de l’argent et épouser une belle égyptienne, énigmatique et attirante. Un père violent, rude, un rien voyou, admirateur de santiagues et de belles voitures. Un homme d’apparences et d’esbroufe.

Ce banquet fut aussi pour l’adolescent l’occasion de son dépucelage par une belle et délurée cousine qui l’initia sur le champ, sans tabou, aux plaisirs de la chair, dans le grenier, juste au-dessus des adultes qu’il ne comprend pas encore mais commence à pressentir.

Une découverte brutale, forcée, voulue par la belle. Une histoire qui s’arrêtera comme elle aura commencé : sans explications et sur décision de cette fille envoûtante.

Trois ans et quatre mois plus tard, un nouveau banquet, au même endroit avec les mêmes membres. Enfin pas tous. Certains sont morts et d’autres sont en train de quitter la vie, fauchés par la maladie, la folie, la dépression ou le chômage, une autre petite mort. Il y a là une belle galerie de personnages peu touchés par la grâce. La France profonde qui s’ennuie et se console à coup de bouteilles.

Et un nouvel amour, un vrai, qui révèle au grand jour ce que tout le monde soupçonne : l’homosexualité du narrateur. Une homosexualité en forme de défi, violente, totale, crue, faite pour choquer ce monde de la petite bourgeoisie courtaude et haïe.

Bref, c’est à une peinture au vitriol de la société des petits, de leurs aigreurs, de leur rancune d’avoir été laissés pour compte que se livre Gilles Leroy. Mais une peinture tellement léchée qu’elle lasse, très vite.

Le style est recherché, on sent que chaque phrase a du faire l’objet d’un choix précis des mots et les formules, souvent savantes, alambiquées, nous rappellent qu’il s’agit d’un homme de lettres.

De lettres certes, mais pas de cœur. Car, où sont les sentiments, où est la spontanéité ? Il manque le souffle à ce livre trop cérébral pour en faire un brûlot violent. On le traverse en admirant la construction et la maîtrise du style et du vocabulaire mais, pas une seule fois, on n’entre de plain-pied dans cette histoire qui nous reste étrangère. Comme un musée austère, sans mystère, sans lumière, exposant crûment de belles pièces qui ne parlent pas.

Si bien que le livre –vite – achevé, il n’en reste pas grand-chose. La preuve en est que j’avais lu ce roman à sa sortie en 2004, avant la création de Cetalir, et qu’il m’avait laissé un vague souvenir. Le relire (à tort, mais passons) n’apporta rien de plus si ce n’est la confirmation qu’il s’agit d’un livre assez raté pour un auteur finalement primé en 2007.

Dont acte !

Publié aux Editions Mercure de France – 294 pages