9.7.10

La nuit de l’illusionniste – Daniel Kehlmann


Premier roman de ce jeune prodige de la littérature allemande récompensé par de nombreux prix littéraires et des succès planétaires, « La nuit de l’illusionniste » parut en 1997 avant que d’être profondément remanié dans une nouvelle édition en 2007 dont nous rendons compte ici.

Disons d’emblée que cette nouvelle version de « La nuit de l’illusionniste » compte parmi les meilleures recommandations de Cetalir. C’est un livre frappant, dont on se souviendra longtemps par la force de son écriture et la subtilité du thème retenu.

Parce qu’il y est question de la vocation de magicien et du trouble qu’engendre le monde de l’illusion qui efface les frontières entre le tangible et l’inconcevable, le livre se situe aussi aux confins du réel et du fantastique. Car, comment rester sain d’esprit lorsqu’on est un illusionniste à qui tout réussit, qui invente des tours de plus en plus audacieux, vers qui tous les regards convergent et que l’on découvre, au détour d’un soir, sans s'y attendre, qu'on a prise sur le réel, qu'on peut le distordre à volonté ?

A partir de ce bouleversement des propres repères de celui qui est passé maître à effacer ceux du commun des mortels, D. Kehlmann imagine un homme hanté par ce qu’il a découvert, brisé par des pouvoirs qu’il ne veut ni ne peut assumer. Mais surtout, un homme qui ne sait pas vraiment s’il a rêvé ce qu’il a fait ou fait ce qu’il n’a pas rêvé de faire.

C’est ce passage de la gloire, durement acquise après des errances vers la théologie, une tentation avortée vers la prêtrise, puis des années de travail acharné au service d’un don exceptionnel, vers l’oubli décidé qui fait toute la beauté de ce roman. Un roman où le doute est persistant, doute de soi, doute de sa vocation, doute sur les frontières du réel. Un roman qui jongle avec des points de fuite inattendus, faits pour dérouter le lecteur, le laisser tout entier à la merci d'un auteur passé maître à vous entraîner là où il le veut.

Quand la pression devient trop forte, quand on a peur de ce que l’on risque de devenir, quand la réalité devient de moins en moins appréhensible, alors surgit l’inconscient, voire la folie. On voit poindre celle-ci au fur et à mesure que le récit progresse au point que l’on ne saura jamais vraiment au fond si la femme aimée à laquelle ce roi de la magie semble s’adresser dans ce qui est une ultime confession est réelle ou le fruit d’une nouvelle illusion, la Viviane moderne d’une figure de Merlin qui aura décidé de se laisser abattre pour ne pas avoir à affronter ce qu’il a découvert de ses propres capacités.

Il y a une vraie dimension métaphysique dans ce livre que l’on peut lire à de multiples niveaux. Dans tous les cas, il appelle un profond respect et les plus chaudes recommandations !

Publié aux Editions Actes Sud – 2007 – 175 pages