28.8.10

L’amour et autres surprises matinales – Eliot Perlman


Autant nous avions été enchantés par « Trois dollars » qui nous semblait marquer la naissance d’un grand romancier australien, autant ce recueil de nouvelles (nature que ne laisse deviner ni le titre, ni la jaquette !) nous a laissé sur notre faim.

De qualité très inégales, ces nouvelles manquent globalement de souffle. On n’y retrouve pas cette étincelle d’auto-dérision, ce décalage par rapport au récit, ce sens de l’understatement qui nous avaient conquis dans « Trois dollars ».

Cependant, chacune de ces nouvelles participe à l’illustration d’un thème commun : celui d’un profond isolement d’un être (ou de plusieurs) alors qu’en apparence il pourrait paraître correctement ancré dans son réseau social.

C’est une tristesse, une certaine mélancolie qui s’emparent de nous au fur et à mesure que les pages s’enchaînent. Tristesse de voir des êtres a priori intelligents, structurés, non marginaux s’enfoncer dans la folie, la dépression, le meurtre faute d’avoir su exprimer autrement le profond malaise qui les noie.

Ce tableau d’une humanité qui part en lambeaux, qui laisse les proches abasourdis par ce qu’ils découvrent derrière une façade sociale qui se lézarde ne laisse pas indifférent. Il est simplement regrettable qu’au plan littéraire, la sobriété voulue ne soit pas toujours au service de la cause défendue.

Trois nouvelles sortent du lot tant sur le fond que sur la forme.

« Au monde impérial je n’étais qu’un enfant », dont le titre reprend un ver du poète russe Mandelstam, persécuté par Staline, met en scène un homme d’une quarantaine d’années, marié, persécuté par son épouse qui lui reproche sa médiocrité. Il a perdu son job et se voit contraint de s’improviser fermier alors qu’au fond de lui, c’est un poète. Pas n’importe quel poète car, inconsciemment, il est la réincarnation de Mandelstam dont il reproduit une version australienne d’un ostracisme. Il n’aura d’autre solution que de fuir à son tour dans une douce folie et d’assumer un meurtre qu’il n’aura pas commis.

Avec « Stipalnic est dans sa dernière année », c’est à la lente déchéance d’un étudiant juif australien que nous assistons. Nous le découvrons à l’hôpital, ébahi par ce qui vient de lui arriver. Des affaires de cœur, dans tous les sens du terme, qui témoignent d’une incapacité quasi-psychiâtrique à savoir aimer. C’est bien simple, plus il veut être amoureux, plus il essuyé d’échecs. Plus les échecs s’enchaînent, plus son retrait du monde se prononce. Une déchéance inéluctable se met en branle et met encore une fois en évidence l’isolement qui peut s’emparer des êtres les plus faibles ou les plus naïfs.

Enfin « Une histoire entre deux villes : Moscou et Melbourne » est, de mon point de vue, la meilleure nouvelle de ce gros recueil. Une nouvelle qui illustre la difficulté d’une famille juive de la classe moyenne moscovite à survivre à travers les régimes post staliniens. Malgré l’appartenance au parti, malgré la débrouillardise d’un père ravagé par une vie qui ne ressemble pas à celle qu’il aurait avoir vécu, la famille, poussée par la pression sociale, n’aura d’autres solutions que d’émigrer. Israël est perçue comme la terre d’asile. Il n’en sera rien et c’est une Australie inconnue et non désirée qui servira de refuge. Commence alors le récit minutieux, douloureux d’un processus d’acclimatation difficile et qui conduira la famille au bord de l’explosion. Une nouvelle bouleversante, profondément humaine.

Les autres présentent un intérêt mince, au mieux.

A lire pour ces trois nouvelles, le reste est à oublier.

Publié aux Editions Robert Laffont Pavillons – 330 pages

24.8.10

Titan – La trilogie de Gaïa I – John Varley


Découvrir le premier tome de cette trilogie de SF près de trente ans après sa première publication reste une heureuse découverte. Le livre n’est pas trop daté, à part quelques références à des écrans cathodiques noirs et verts qui nous paraissent aujourd’hui appartenir à la préhistoire informatique et l’absence vertigineuse, même en filigrane, d’Internet. Bien que n’étant pas, loin de là, un inconditionnel de SF, j’avoue avoir lu avec un certain plaisir cette épopée rédigée par l’un des grands auteurs américains de SF des années soixante dix/quatre vingt.

La raison en est fondamentalement que la puissance de l’imaginaire qui préside à la conception de l’ouvrage transcende le temps et les époques. On trouvera même, curieusement, de nombreux parallèles entre ce premier volume de Gaïa et le succès incroyable d’Avatar de James Cameron dont je ne serais pas surpris qu’il se soit plus ou moins librement inspiré de Gaïa.

Lorsque l’équipage du Vaisseau Spatial « Seigneur des Anneaux » (déjà en soi une autre référence !) va découvrir un anneau inconnu de Saturne et y déceler une forme artificielle complexe prouvant indéniablement la présence d’une intelligence supérieure, aucun des membres d’équipage ne peut imaginer en quoi cette découverte va profondément les transformer.

Happé par un bras télescopique géant, le vaisseau va se trouver englouti sur une gigantesque roue maintenue en son moyeu par une série de câbles titanesques qui montent vers une sorte de toit situé à des centaines de kilomètres d’altitude et se fixent sur un tore central.

Chacun des membres d’équipage va être digéré par cette construction avant que d’émerger nu et dispersé, plus ou moins profondément psychologiquement ou physiquement transformé, ayant acquis mystérieusement une somme de connaissances indispensable à la survie sur ce titanesque anneau parsemé de fleuves, de prairies, d’arbres gigantesques, et de mers.

Va commencer alors un long périple pour tenter, d’une part, de retrouver chacun des membres et, d’autre part, trouver un sens à cette construction qui défie l’intelligence humaine. Au cours de ce périple, les hommes et les femmes du « Seigneur des Anneaux » vont devoir, à la fois, tenir compte de leurs propres transformations pour apprendre à vivre ensemble, respectant les parts d’ombre et de liberté, acceptant que le noyau qu’ils ont formé éclate du fait d’aspirations individuelles à être autrement à ce nouveau monde, et à la fois, composer avec les formes de vie multiples et étranges dont cette planète a accouché.

Ainsi, les Titanides, sortes de centaure mi-homme mi-cheval, colorés et intelligents, ayant trouvé dans la nature des moyens sophistiqués de communication et s’exprimant à travers un langage complexe chanté et multi-tonal font indéniablement penser au peuple qui a domestiqué la planète d’Avatar.

La présence d’un gigantesque ver des sables qui ravage toute une partie de la planète est une référence explicite à Dune. Celle de gigantesques saucisses volantes qui sont domestiquées pour servir de moyen de transport aérien est, en soi, une trouvaille.

Le parcours collectif et individuel des membres d’équipage s’annoncera parsemé d’embûches, physiques (il faudra gravir quatre cents kilomètres de câbles pour atteindre le toit de Gaïa et obtenir certaines des réponses aux questions sur ce monde conçu par une déesse toute puissante) et psychologiques (guerres, viols, trahisons). Le récit est haletant, plein des indispensables rebondissements propres à maintenir l’intérêt à son climax.

Mais la vie sur place est d’une telle densité, d’une telle richesse d’expériences, d’une telle intelligence avec la nature qu’elle imposera, l’heure venue, de faire le choix de ne pas revenir sur Terre.

On attend de lire la suite avec impatience !

Publié aux Editions Denoël – réédité en Folio SF – 1980 – 418 pages

22.8.10

MAX – Michel Quint

Le principal intérêt de ce roman de Michel Quint, outre son indéniable et habituelle qualité littéraire dont l’auteur est un habitué, est de nous donner à voir l’Histoire sous un angle profondément humain, à travers le drame personnel qui secoue une jeune femme en pleine seconde guerre mondiale.

Le parti-pris de l’auteur est de faire cohabiter deux histoires parallèles pour mieux mettre en évidence les multiples difficultés de la Résistance française qui tente de se mettre en place, de façon plus ou moins chaotique, sous l’occupation nazie de plus en plus oppressante.

D’un côté, il y a Agathe, cette toute jeune femme de vingt et un ans jetée sur les routes de l’exode où elle verra sa mère mourir dans ses bras, victime des bombardements. Agathe débarque à Lyon, envoyée par son père resté à Lille pour être prise en charge par une famille d’amis. Malheureusement, une fois sur place, elle trouvera porte close et ne devra son salut qu’à un jeune garçon, Maurice, qui l’hébergera et avec lequel une grande passion ne tardera pas à se développer. Maurice est fils de pétainistes. Mais, à la différence de ses parents, il s’est engagé dans la Résistance et y entraînera Agathe.

De l’autre, il y a Jacques Martel, alias Jean Moulin, alias MAX. Du côté de la lumière, Jacques est galeriste à Nice et vit à Lyon dans une petite chambre dans le même immeuble qu’Agathe. Du côté de l’ombre, il y a l’ancien préfet de Chartres, celui qui en Juin 40 s’est juré de combattre l’ennemi, de ne pas laisser la France tomber dans un pétainisme voué à l’échec, celui qui se voit bientôt nommé Ministre plénipotentiaire par le Général de Gaulle, chargé de fédérer les multiples groupes de Résistance en vue de la Libération et de préparer la voie à un nouveau pouvoir politique d’après-guerre.

Agathe et Jacques se croisent, jouent au chat et à la souris. Tous deux sont passionnés d’Histoire et Agathe prépare le concours à l’Agrégation en s’étant fait une spécialité des empereurs romains et de leur pouvoir tyrannique dans lequel elle voit le symbole de la France dans laquelle elle vit d’où la nécessité d’un engagement. Jacques est un homme à femmes, qui voit en Agathe une belle jeune femme, bientôt délaissée par son amoureux Maurice. Il ne saura rien de l’arrestation de ce dernier et de son suicide en prison pour échapper à la torture et ne point dénoncer son réseau et, surtout, Agathe, leur agent de liaison.

On y voit aussi, et c’est la partie la plus intéressante, la somme des conflits internes à la Résistance, la lutte permanente entre les Communistes qui ne veulent pas d’une unité poussée par l’Angleterre et De Gaulle, les partisans de coups de force permanents visant à tuer du boche à tout prix au risque de précipiter les actions de rétorsion et de décimer une résistance encore balbutiante. On y voit les trahisons politiques, les conflits personnels pour se faire une place au soleil, évincer Max devenu gêneur au risque de faire le jeu de l’ennemi.

Ces deux mondes cohabitent, celui de la résistance des petits, héros anonymes et qui tombent sous les coups de l’ennemi souvent trahis par les siens, celui des politiques qui tentent de s’organiser tout en voulant conserver par devers eux le plus de pouvoir possible et faire le jeu de ceux pour qui, plus ou moins consciemment, ils travaillent qu’ils soient Russes, Américains ou Anglais.

Au bout du compte, il en résulte un roman profondément humain et qui permet d’envisager l’Histoire sous son côté sombre, non officiel et peu glorieux.

Publié aux Editions Perrin – 2008 – 243 pages

16.8.10

Sonate de l’assassin – Jean-Baptiste Destremeau

Peut-on être un artiste de génie, défricher de nouveaux horizons, revisiter l’interprétation de pièces mille fois jouées en restant dans la normalité ? C’est, en quelque sorte, à ces questions que tente de répondre de façon originale et assez intéressante Jean-Baptiste Destremeau.

Lorsque, comme Lazslo Dumas, premier Prix de piano du Conservatoire National de Paris, héritier d’une tradition d’instrumentistes de renom, on veut étonner, décaper l’interprétation des classiques pour mieux retenir l’attention des critiques, s’imposer, se faire un nom pour la postérité en accédant au Parthénon des pianistes qui auront marqué leur temps, il faut trouver une source d’inspiration nécessairement hors du commun.

Par hasard, notre pianiste va trouver la solution à son besoin d’inspiration fantastique en tentant d’humaniser ses interprétations techniquement brillantes mais, jusqu’ici, manquant de relief. En glissant ici ou là quelques fausses notes difficilement décelables, habilement enfouies dans de subtils accords et en focalisant son attention sur les premiers rangs de ses auditeurs, Lazslo Dumas va détecter celles et ceux capables de déceler la petite erreur d’interprétation. Par élimination successive et en ne retenant que l’auditeur ou l’auditrice capable d’entendre chacune des erreurs dissimulées, le pianiste va pouvoir alors sélectionner son innocente victime, la traquer pour l’assassiner sauvagement, en donnant lieu à des pulsions démentielles.

Après chaque assassinat, l’interprète développe un complexe de supériorité de plus en plus puissant. Chaque meurtre lui donne une clé pour interpréter une œuvre comme jamais encore quiconque n’en aura été capable et ce, d’autant plus que ses meurtres restent impunis.

Toute cette industrie morbide va se trouver remise en cause lorsque Dumas fera la rencontre, via internet, d’une jeune femme divorcée, mère d’un petit garçon intelligent et passionné de Harry Potter. Lorraine est professeur ainsi que violoncelliste amateur. Bientôt, Lorraine et Lazslow vont filer le parfait amour et commencer une vie de couple.

Mais le répit ne sera que de courte durée car l’inspiration, et donc l’inspiration de Lazslow, vont se ternir jusqu’à provoquer des contre-performances dramatiques pour sa carrière et son renom. Laslow va devoir reprendre ses activités assassines en les rendant de plus en plus sordides, en scénarisant de façon macabre et insoutenable ses meurtres, symboles sanglants et géniaux d’une vision mystique de la musique. Mais plus les meurtres vont s’enchainer, plus la vie de couple va devenir un enfer amenant Lorraine et son fils à s’interroger sur la véritable personnalité de cet homme dépressif aux performances d’interprétation de moins en moins prévisibles, lunatique et au regard de folie. Où sont passé l’amour et les moments de passion, le partage et la fusion qui rassuraient, donnaient l’espoir de recommencer une vie équilibrée ? Qui est Laslow que le petit Arthur, le fils de Lorraine, voit emblématiquement comme un « Mangemort » ?

JB. Destremeau, en dépit d’une fin peu surprenante, sait à la fois tenir son lecteur en haleine et explorer avec brio les méandres sombres de la folie, celle d’un homme qui confond lecture hors du commun de la musique avec vie hors du commun, hors des règles, comme si le génie ne pouvait se développer que dans le mépris des autres et la folie dévastatrice. Le problème est que le remède que l’on croit avoir trouvé à un irrépressible besoin d’être différent produit des effets à chaque fois amoindri et que tuer ne suffit plus, la racine des maux n’étant point traitée. Il faut massacrer, s’aveugler de violence pour tenter vainement de chasser la folie qui envahit en faisant tourner dans la tête de l’assassin une petite sonate de sa composition qui l’obsède et le rend dément.

Le livre est incontestablement une réussite et, si l’on s’intéresse à la musique classique comme c’est mon cas, on y trouvera même quelques intéressantes considérations sur l’architecture de certaines œuvres.

Publié aux Editions Max Milo – 2008 – 381 pages