5.9.10

Le chasseur zéro – Pascale Roze


Prix Goncourt en 1996 pour un premier roman : pas si fréquent. Le chasseur zéro, c’est cet avion kamikaze qui a causé tant de dégâts sur la flotte américaine pendant la seconde guerre mondiale.

C’est un de ces chasseurs qui a précisément coulé le cuirassé sur lequel le père de Laura Carlson se trouvait. Un père qu’elle n’a jamais connu car elle n’était pas née au moment du drame. Un drame qu’on lui cache d’ailleurs et dont, enfant, elle cerne peu à peu les contours au travers d’une mère névrosée, dépressive, repliée dans ses souvenirs et la douleur d’avoir perdu celui qu’elle aimait.

Mais l’âge passant, élevée par ses grands-parents maternels qui s’enfoncent de plus en plus dans la sénilité, Laura va découvrir par elle-même la vérité en se livrant à des lectures documentées qui lui en apprendront plus que ce que sa famille veut en dire.

Elle va aussi et surtout faire connaissance par elle-même du chasseur zéro en laissant s’installer en elle un bourdonnement permanent. Une forme d’acouphènes qui symbolise la mort qui rôde, le chasseur qui gravite autour de sa proie et qui attend patiemment le moment propice pour causer la ruine d’une santé psychologique fragile.

C’est là la principale force du roman que d’avoir su emprunter une manifestation physique intangible, ancrée au plus profond de soi pour décrire comment ce père disparu et celui, métaphoriquement parlant, qui l’a tué vont entrainer peu à peu Laura dans une folie, un retranchement du monde, un suicide affectif qui n’auront pas d’autre issue que tragique.

Car comment réussir à vivre quand on redoute la survenue brutale d’un ennemi invisible, incernable, indomptable.

Certes, Laura s’équipe de boules Quies et absorbe des pilules roses pour dormir et calmer ses nerfs, mais ce bruit de moteur qui l’habite anéantit rapidement ses amours, ses liens sociaux.

C’est au naufrage de cette jeune femme, amoureuse d’un compositeur qui gagne la reconnaissance des siens, que nous assistons. Un naufrage qui trouvera son paroxysme lorsque l’amant de Laura, qui n’en peut plus du silence résigné dans lequel son amie se retranche, lui fera écouter une sublime composition qui traduit l’impact du chasseur zéro après son piqué sans retour possible.

Un impact qui ruinera le couple et laissera Laura seule face à elle-même. A elle de trouver les ressources de sortir d’une détresse dûment entretenue par une mère à moitié folle et dont elle aura découvert la détresse amoureuse à l’aube de son adolescence.

Ce roman de nature assez sombre est assez réussi et marque sans doute possible l’arrivée d’un auteur à remarquer. Fallait-il pour autant lui décerner le Goncourt ? La réponse est sans doute dans la question…

Publié aux Editions Albin Michel – 164 pages