17.9.10

Les heures souterraines – Delphine de Vigan


Delphine de Vigan nous avait enchanté avec « No et moi » dont vous trouverez un compte-rendu sur Cetalir. On y voyait déjà cette solitude dans la ville, cette vie en marge au bord du gouffre et au seuil de nos portes, toutes choses qui sont au centre de son dernier roman « Les heures souterraines ».

Ce roman est sombre et laisse planer très peu d’espoir pour les deux êtres ballotés par la vie mais que l’épuisement professionnel et la vie personnelle vidée de toute joie et de substance vont finir par détruire psychologiquement. D. de Vigan fait du thème de la solitude dans la ville, en particulier dans une ville comme Paris, un élément central de son roman. La multitude, malgré ses apparences de trépidation, ses embouteillages, ses galères régulièrement orchestrées par les régies de transports publics est en fait le meilleur moyen de fabriquer de l’isolement, de retrancher les faibles, les plus fragiles dans une zone abandonnée dont il leur sera sans doute impossible d’échapper in fine.

« Les heures souterraines » sont ces moments cruciaux de notre vie où tout va basculer sans qu’on s’en rende compte sur le moment. Une fois le point d’inflexion franchi, il sera impossible de revenir sur ses pas et il faudra de longues heures, un long moment, d’un processus invisible, souterrain, pour inéluctablement vous détruire et jeter sur le bas-côté pour sans doute à jamais.

Nous allons précisément suivre ce processus et, en particulier, son dénouement destructeur, son apothéose explosive finale à travers deux personnages dont tout laisse à penser qu’ils sont appelés à se croiser.

Mathilde et Thibault sont totalement étrangers l’un à l’autre. Ils vivent certes à Paris mais n’ont ni amis communs, ni activité commune. Pourtant, chacun d’eux en cette journée du 21 Mai va suivre un parcours parallèle, passer par des pensées identiques, vivre des moments de stress intense et se frôler, sans le savoir. Chacun avait besoin de l’autre pour s’en sortir mais cette rencontre n’aura jamais lieu car ils auront été broyés et rendus ainsi aveugles, racornis sur leur propre douleur, leur anéantissement.

Broyée, Mathilde l’est depuis qu’elle a osé tenir tête, à peine, à son chef, autoritaire et irascible qui lui avait donné sa chance huit ans plus tôt, en l’embauchant après qu’elle soit brusquement devenue veuve et en charge de trois jeunes enfants. Depuis trois mois, elle vit un enfer quotidien, un harcèlement moral qui la dépouille peu à peu de toute responsabilité, de toute personnalité, de toute perspective, au point de faire d’elle une loque. Alors, en ce matin du 21 Mai, elle a décidé de se reprendre en main, de s’en sortir mais le mécanisme souterrain en œuvre, impitoyable et froid, semble inarrètable.

Broyé, Thibault l’est. Médecin urgentiste, il visite trois mille patients par an, sillonne Paris en tous sens, voit toute la misère du monde, toute l’exclusion que fabrique la capitale. Il est épuisé physiquement et, surtout, il a fini par rompre avec Lisa depuis ce matin même. Lisa qu’il aimait à la folie alors qu’elle ne se donnait jamais autrement que dans des parties de sexe torrides, qu’elle refusait le moindre geste de tendresse et restait à la lisière d’une relation engageante.

Pas à pas, la journée de Mathilde et Thibault va être disséquée. Les scènes, pourtant déroulées à distance, se déroulent selon un parallélisme presque parfait au point qu’il semble inéluctable que Mathilde, qui a besoin d’un médecin et d’un homme capable d’un amour sincère finisse par rencontrer Thibault qui saura soigner Mathilde et qui recherche une femme avec laquelle enraciner une vie à la dérive. Mais les heures souterraines creusent leur ravin et cela ne peut finir que par l’engloutissement.

Un nouvel opus magnifique d’un auteur qui s’impose dans le paysage littéraire contemporain.

Publié aux Editions JC Lattès – 2009 – 300 pages