29.10.10

Un aperçu du mois d'octobre

Comme promis, nous avons accéléré le rythme et le nombre de publications de notes ce mois-ci. La fréquentation croissante du site nous encourage d'ailleurs dans cette direction.

Il faut sans doute croire que "Le premier homme" d'Albert Camus doit être à l'étude en ce moment dans un certain nombre d'Académies. C'est en effet cette note qui ressort en tête à quasi égalité avec "Magnus" de Sylvie Germain que, pour notre part, nous avions moyennement apprécié.

Comme le mois dernier, on retrouve ensuite le superbe "Les chaussures italiennes" de Henning Mankell, le très beau "Melnitz" de Charles Lewinsky et "Malavita" de Tonio Benacquista à stricte égalité de consultations avec "Eldorado", sans doute le meilleur roman de Laurent Gaudé et l'indispensable "Les champs d'honneur" de Jean Rouaud qui gagna le Goncourt avec un livre d'un raffinement littéraire stupéfiant.

Viennent ensuite "L'insomnie des étoiles", le très moyen dernier Marc Dugain, puis "J'habite en bas de chez vous", un récit autobiographique coup de poing à découvrir et, enfin l'étrange et captivant "Grâce et dénuement" d'Alice Ferney.

Bref, les lecteurs de Cetalir ont du goût !

N'hésitez pas, le blog fourmille de lectures qui ne vous laisseront pas indifférents.

Bien cordialement,

Un secret sans importance – Agnès Desarthe


Ce roman fut « Prix du Livre Inter » en 1996.

Dès les premières pages, A. Desarthe sait créer une atmosphère à part, un monde où la vie intérieure prédomine, un monde fait plus pour les poètes et les rêveurs que pour les acharnés de la production à tout prix.

C’est ce décalage sur le mode dominant contemporain qui crée l’interpellation initiale. Une invitation douce, tendre à nous laisser bercer par la musique des sentiments.

La richesse du livre tient dans la diversité des personnages mis en scène. Ils sont tous et toutes en rupture avec le mode de pensée normatif, toutes et tous à la recherche d’une chose ou d’un être qu’ils ont le plus grand mal à décrire et donc, à trouver.

C’est cette richesse qui constitue aussi, sans doute, un obstacle à une lecture aisée du livre. En fait, on y plonge avec délice ou bien on rejette le tourbillon ambiant et sa descente au plus profond des émotions. Des émotions d’autant plus intenses qu’elles ne savent pas s’exprimer.

Au fond, le thème central du livre est la difficulté à communiquer alors qu’on admire, qu’on aime, qu’on est attiré par l’autre.

Ce secret, c’est l’incapacité à dire, à avouer ses sentiments. C’est aussi ce que l’on tient caché pour ne pas peiner l’autre, pour ne lui donner que de la joie à être ensemble. Ce secret, c’est aussi celui d’une autre vie qui n’a pas été et ne sera jamais.

Un livre à l’image de ses sentiments : hors du temps car il se situe vaguement en fin de vingtième siècle, hors de l’espace car on ne sait trop si c’est à Londres, à Paris, ailleurs que l’action se situe. Mais, est-ce important ? Car la poésie, la musique du cœur n’a que faire des contingences.

Ce qui frappe aussi dans ce délicieux roman, c’est le décalage constant entre ce que les personnages sont en apparence au monde et ce qu’ils sont en réalité, en tant que moi souffrant.

Les professeurs savants d’université ne se sont jamais remis d’amours prématurément avortées de jeune homme. Ils ont passé leur vie à chercher un sens aux mots parce qu’ils ne savaient pas décrire leurs maux.

Et ils succombent à la première beauté qui passe, à la première jeune femme qui saura les émouvoir, leur rappeler une étincelle d’innocence depuis longtemps perdue par eux. La vie vacille pour une silhouette, un mot, un geste, le plaisir irrefrèné de se laisser partir à la dérive de ses sentiments. Enfin, elle vacille putativement car passer de l’autre côté est une autre histoire…

Et puis il y a Violette, l’incompréhensible Violette. Elle revient d’un séjour à l’hôpital psychiatrique et se soigne à coups de pilules roses et de jardinage en dépit du bon sens. Violette est attirante par le mystère qu’elle représente, son interface au monde en rupture avec les standards, la spontanéité dont elle fait preuve.

Violette est aussi le symbole de la femme enfant. Elle en a l’apparence, le physique et souvent la mentalité. Peu à peu, un amour qui ne dit pas son nom, tout aussi impossible qu’une vie normale, lui permettra de sortir du cycle chimique infernal, de refaire surface, d’oser repartir.

Ce livre est un tableau vivant d’une galerie de personnages qui se croisent, éprouvent des sentiments les uns pour les autres, rêvent d’une autre vie sans jamais passer à l’acte. Sonia, atteinte d’un cancer, juive religieuse, pratiquante, dévouée à dieu et à son mari est un personnage en retrait, essentiel pour lire ce qui se déroule sous nos yeux.

Certes, la lecture est parfois empesée d’une religion judaïque trop présente et aurait gagné en force en restant plus universel.

Un bien léger reproche pour une indéniable réussite, hautement recommandable.

Publié aux Editions de l’Olivier – 210 pages

24.10.10

Elle voulait toucher le ciel – Yves Viollier


Avec ce roman, l’auteur devrait toucher un large public amateur de lecture simple, facile d’approche, bien construite et distrayante. Un ouvrage qui se situe dans le droit fil de la production prolifique d’une Bernard Clavel, récemment décédé : bien fait, pas désagréable mais que l’on oubliera assez rapidement.

Bref, si vous cherchez quelque chose qui sorte de l’ordinaire, ce n’est pas pour vous.

Si vous vous demandez, en revanche, comment occuper agréablement une journée de vacances, le choix est alors parfaitement recommandable.

Yves Viollier nous transporte au cœur de la Charente. Une femme écrit et raconte. On pressent un malheur, une étrangeté. 300 pages plus loin, on en saura tout, et plus d’une vie aura été chamboulée.

Renée a la bonne cinquantaine. Elle est fille de l’Assistance Publique après que sa mère l’aura abandonnée en pleine seconde guerre mondiale. C’est une « fille de boche » qui traîne son origine comme une marque d’infamie, un ostracisme d’autant plus cruel qu’il fut colporté, amplifié par des enfants de son âge qui ne faisaient que répéter ce qu’ils avaient entendu chez eux.

Renée est mariée à Bernard depuis l’âge de seize ans. Un amour solide, profond, simple, poli par le temps, profondément ancré par les épreuves qu’il a fallu endurer et l’adversité d’une belle-famille qui ne voulait pas de Renée, fille de rien accusée de voler un fils pour accaparer l’héritage d’une famille de viticulteurs. C’est que nous sommes au pays du Cognac. Un pays en crise où l’argent ne coule plus à flots.

Renée et Bernard, après avoir attendu trente ans qu’une succession se débloque, entreprennent de restaurer un gigantesque logis reçu en héritage. Une entreprise titanesque, trop grosse pour être menée à deux, trop lourde pour un couple de retraités aux petits moyens. Mais ils ont attendu toute leur vie d’entreprendre de redonner vie au « Château de l’ingénieur », gloire architecturale du patelin où ils habitent.

Mais voilà qu’un corbeau vient entraver leur aventure. Un corbeau qui fait resurgir l’origine obscure et infamante de Renée pour la déstabiliser, la faire douter, la détruire. Un corbeau qui va s’acharner sur le couple jusqu’à ce que les drames s’enchaînent.

L’auteur sait parfaitement maintenir le suspense et conduire son intrigue sans dévier du droit fil. Une intrigue qui va nous en apprendre long sur le couple et qui va enfin permettre à Renée de comprendre d’où elle vient et de qui elle est l’enfant.

L’ambiance typique des petites villes de province où tout se sait, tout s’entend, tout le monde se surveille est également rendue avec un excellent réalisme. Une ambiance très téléfilm de bonne qualité.

Des rebondissements en juste quantité, un style simple en font un bouquin agréable et à consommer pour ce qu’il est. Ce n’est déjà pas mal !

Publié aux Editions Robert Laffont – 300 pages

20.10.10

Hôtel de Lausanne – Thierry Dancourt


Mr Dancourt, qui travaille comme rédacteur indépendant dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, signe ici son premier roman. Malheureusement, ce livre ne restera pas dans les annales et il serait surprenant qu’un nouveau grand talent littéraire ait ainsi vu le jour…

L’auteur nous plonge au sein d’un couple énigmatique dont nous devinons peu à peu qu’ils sont sans doute plus ou moins amants sans que ceci ne soit vraiment jamais éclairci. D’ailleurs, le parti pris de l’auteur est la démarche allusive et labyrinthique. Les secrets sont partout gardés et seul un observateur attentif peut déceler une référence, un mot, une intonation qui pourraient lui permettre de dévoiler un coin de ce qui est caché. Bref, on ne sait pas ce que l’on cherche dans ce court roman et on comprend vaguement ce que l’on y a trouvé une fois la dernière page achevée.

Christine est une jeune fille de vingt ans qui passe son temps dans le cimetière de Passy. Elle y observe les tombes des grands hommes en nourrissant les oiseaux. Elle va y faire la connaissance de Daniel, un peu plus âgé, qui cherche la trace de meubles du décorateur Jean Royère de part le monde pour le compte d’un collectionneur belge. Un peu velléitaire, Daniel va se laisser prendre dans les humeurs maniaco-dépressives de Christine.

En suivant un long catalogue des rues de Paris, en parcourant d’assommants ouvrages sur les villes d’architecture de France (on voit d’où vient l’auteur), Daniel va découvrir un père collectionneur de mappes monde, un fiancé réalisateur devenu bientôt mari absent, une tenancière de bar maternelle, un ancien danseur de l’opéra pilier de bar…

Au bout du compte, la grande absente est la mère de Christine dont il conviendra de percer le secret.

Cette galerie de personnages se croise en suivant les fils d’un récit trop approximatif et qui manque d’allant pour captiver un lecteur arrivé ici par hasard. Un bon conseil : passez votre chemin !

Publié aux Editions La Table Ronde – 175 pages

16.10.10

L’insomnie des étoiles – Marc Dugain

Drôle de titre qui mérite quelques explications livrées d’ailleurs par l’auteur lui-même dans une interview accordée au Point. Pour l’auteur, qui s’est fait une spécialité des histoires monstrueuses et hors du commun (La chambre des Officiers, La malédiction d’Edgar ou bien encore Une exécution ordinaire), les étoiles nous observent en permanence. Or, avec le Mal qui rôde sans cesse sur terre, la monstruosité aussi imaginative des hommes que permanente, les étoiles ont du mal à trouver le sommeil.

Or, de monstruosité, il est bel et bien de nouveau question avec ce dernier roman de Dugain. Cette fois-ci, c’est au cœur du système nazi que par glissements successifs, presque imperceptiblement, l’auteur va nous entrainer.

Le roman commence dans une ferme allemande confiée à la seule garde d’une adolescente de quatorze ans depuis que son père est parti sur le front russe. Une fille squelettique, entourée de deux chevaux faméliques, et qui se nourrit au compte-gouttes d’un stock de patates. Une proie facile et tentante pour des policiers mafieux, livrés à eux-mêmes et qui vont faire main basse sur les biens avant que d’essayer de la violer.

Lorsque, plusieurs mois plus tard, elle sera découverte à moitié morte par une patrouille française emmenée par le Capitaine Louyre ce dernier voudra à tout prix comprendre la raison de la présence d’un squelette calciné caché au fond d’une malle dissimulée sous un tas de chiffons. Commencera alors une longue enquête, comme un entêtement à trouver la vérité hideuse, directe et indirecte, malgré des millions d’autres morts plus ou moins atroces dans une Europe ravagée.

Placée sous la garde du Capitaine et confinée dans une garnison inoccupée et rutilante d’une petite ville d’Allemagne, la jeune fille tente de se remettre. Mais, malgré elle, elle a vu certaines scènes qui pourraient compromettre certains des notables locaux. Elle devient donc l’enjeu de manipulations auxquelles Louyre va s’opposer de tout son poids.

Derrière ces manipulations se cachent en réalité des faits bien plus graves et qui se sont déroulés dans l’hôpital surdimensionné de la ville, précipitamment abandonné, récuré et vidé de tout contenu avant la fuite des troupes nazies. Et c’est cette vérité inavouable que Louyre va s’acharner à faire révéler par celui qui en fut l’instigateur et l’exécuteur.

Patiemment, usant de ruse, Louyre obligera l’auteur de faits particulièrement graves à avouer un secret qu’il gardera pour lui seul. Ce sera là l’acte d’héroïsme principal d’un officier qui, dans le civil, est un astronome, plus préoccupé de science et d’exactitude que de guerre et de violence. Il n’y gagnera que le plaisir d’avoir tiré au clair l’indicible et pousser au suicide l’auteur de faits odieux sous couvert d’instructions douteuses du pouvoir nazi.

Dugain nous fait ainsi plonger derrière la façade de ce que disent les livres d’Histoire, révélant, sous forme de fiction, ce qui fut une pratique du plus abominable régime qu’engendra le vingtième siècle, à égalité avec le Stalinisme.

Cependant, je dois avouer être resté sans cesse à l’extérieur de ce roman qui n’a pas su me captiver ou me hanter, malgré ses qualités de construction. Il me semble lui manquer le souffle des trois précédentes œuvres majeures de cet auteur à part dans le paysage littéraire français contemporain. Je crains qu’on oublie assez vite cet opus qui ne me paraît pas émerger d’une nouvelle rentrée littéraire chargée.

Publié aux Editions Gallimard – 2010 – 226 pages

Grâce et dénuement – Alice Ferney


Avec ce roman, Alice Ferney a obtenu le Prix Culture et bibliothèque pour tous en 1997. Un livre écrit avec un certain lyrisme, fruit d’une écriture travaillée, maîtrisée et parfois, brutalement, pleine d’une fulgurance où se cache une certaine passion.

Grâce et dénuement, c’est la marque de fabrique du peuple des gitans. Un peuple en marge qui suit ses propres codes et où l’appartenance au clan, à la famille est sacrée. Un peuple où l’on se suffit à être hommes et où les femmes sont simplement faites pour enfanter, tenir un semblant de salubrité, veiller sur leur homme et leur progéniture.

C’est dans un clan familial que nous entraine Alice Ferney. Un clan tenu par une vieille femme, Angélique. Enfin, vieille avant son heure car à cinquante ans, sans soins, sans nourriture saine, avec une hygiène approximative et vivant dehors en permanence, tout devient plus lourd à porter et le désir d’en finir peut s’emparer d’êtres qui sont nés sans rien, n’ont rien acquis et s’en iront aussi pauvres.

Angélique est veuve d’un époux qui ne fut capable de rien, qui n’avait ni santé, ni volonté et qui a tout juste été capable de lui faire cinq enfants, cinq fils, parce qu’elle le voulait.

Quatre de ses fils sont encore vivants. Ils forment le socle du clan avec leurs épouses et la ribambelle de mioches qui court autour, dépenaillés, incultes, déscolarisés. Ils vivent sur un terrain vague appartenant à une vieille institutrice un peu en marge et qui refuse de les expulser. Leur vie est simple, insalubre, faite d’improvisation, de débrouillardise et de vols aux alentours.

Chacun de ses hommes connaît une fortune diverse dans son couple mais tous sont viscéralement soudés, liés à une mère castratrice qui n’a pas su ou voulu en faire des hommes autonomes et responsables.

Un jour, une gadjé, Esther, la quarantaine bien portante, mariée, infirmière, mère de trois enfants, débarque pour lire aux enfants, sans demander d’autre contrepartie que de leur donner cette chance de découvrir l’ouverture au monde qu’apporte la lecture. Ce sera un succès total suscitant émotion, respect de l’autre et échange entre ces enfants qui ne connaissaient jusque là que la domination pour s’imposer aux autres.

Peu à peu, elle va se faire admettre par le clan, les aider, les assister jusqu’à faire scolariser la fille aînée à force de pugnacité et d’opiniâtreté. Elle sera là pour tous les coups durs et saura assister sans démonstration, par simple générosité.

Peu à peu, elle va découvrir les tensions inhérentes à ce clan, la fureur et la folie qui peut s’emparer d’un homme sans métier, sans langage structuré, sans femme.

Peu à peu, comme elle, nous allons vivre avec ces gitans et découvrir ce qui peut donner sens à une vie qui ne tend pas vers l’accumulation de richesses ou de biens plus ou moins futiles.

Certes, le discours est parfois moralisateur avec une propension à défendre certaines valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Mais l’auteur réussit au moins le tour de force que de nous amener de l’autre côté de notre monde et de nous interpeler sur nos responsabilités et le propre sens que nous donnons à nos vies.

Il y a bien des longueurs, des imperfections dans ce récit parfois plus ethnographique que romancé. Mais le tout mérite que l’on s’y intéresse tant pour le fond que la forme.

Publié aux Editions Actes Sud – 289 pages

9.10.10

Paysage aux trois arbres – Yehoshua Kenaz


Derrière ce titre se cachent en fait deux récits (des petits romans ou de longues nouvelles en quelque sorte). Celui qui donne le titre à ce livre est le deuxième et le plus court des deux. C’est de mon point de vue également le moins intéressant d’un livre qui n’a pas soulevé en moi un profond enthousiasme…

Le premier récit porte un titre original : « On brûle les placards d’électricité ». Ces deux récits constituent une variation sur un thème commun. Comment vivre ensemble dans un pays où cohabitent juifs, arabes, palestiniens sans compter les forces militaires anglaises, au moment de la seconde guerre mondiale où se déroule le deuxième récit.

Nous partageons la vie de quelques familles israéliennes. Des familles modestes, quelconques, très représentatives de la moyenne.

Dans le premier récit, Kenaz s’applique dans la première partie à mettre en place ses personnages. Il décrit avec précision et pudeur les tensions qui habitent ces couples ou ces familles qui cohabitent au sein d’un immeuble quelconque de Tel Aviv. Une tension cristallisée autour de deux travailleurs arabes qui entretiennent l’immeuble à coups de serpillères crasseuses. La fermeture des frontières pour cause de nouveaux attentats fait que le premier d’entre eux ne peut plus se rendre sur place.

Ces mêmes attentats qui se traduisent par d’incessants bombardements de missiles font qu’un pauvre hère va devoir envoyer sa famille à l’abri. Il sera exploité par le syndic de l’immeuble qui le loge comme un miséreux dans les sous-sols à peine ventilés et le traitent comme un éternel suspect de tous les maux qui s’abattent sur le peuple juif. Il sera le remplaçant exploité, méprisé, exploité.

Le drame de la solitude est au cœur de ce petit roman. Solitude d’une vieille dame qui succombera à l’incendie toxique, sans doute volontaire, d’un des placards d’électricité (d’où le titre). Solitude du travailleur arabe, coupée de sa famille, de ses racines, ravagé par des angoisses matérialisées par un chaton rouquin, symbole du mal et de la tentation. Un homme déraciné et au bord du désespoir.

Solitude encore d’un des voisins, au chômage, que sa compagne a quitté. Un brave type qui cherche à protéger ces travailleurs arabes, à leur payer ce qui leur est dû, à maintenir cahin-caha un immeuble où les moyens et la volonté manquent.

C’est lui qui va s’occuper des obsèques de la vieille dame et qui va, à la façon d’une intrigue légèrement policière, essayer de comprendre ce que sont d’étranges personnages que son enquête sur l’origine de l’incendie va lui faire rencontrer. C’est lui qui crée le minimum de lien social entre toutes ces hommes et ces femmes, si dissemblables, qui partagent la vie de cet immeuble.

La force du récit tient dans sa grande pudeur. L’auteur se tient à l’extrême limite d’une quasi distanciation vis à vis de son ouvrage. Il ne juge pas. Il se contente de l’exposé des simples faits comme pour inviter ses lecteurs à se reconnaître et à comprendre en quoi une attitude héritée de préjugés et d’indifférence peut provoquer chez celles et ceux qui vivent à côté.

Le deuxième récit est de la même veine mais tourne autour d’un nombre recentré de personnages et se focalise sur la suspicion, l’étrangeté que la cohabitation de populations disparates ne peut manquer d’engendrer.

C’est aussi un récit sur la force de l’art avec la présence d’un militaire anglais qui tue le temps en reproduisant avec minutie une peinture de Rembrandt dans laquelle il livrera toutefois, à ceux qui sauront le déceler, un message personnel.

Le récit est moins fouillé, moins touchant aussi.

Au total, une indéniable curiosité qui n’en fait pas un must indispensable. Un récit pour comprendre, en tous cas, de façon originale le quotidien d’une société qui vit dans la peur permanente du conflit et des attentats. A vous de voir.

Publié aux Editions Actes Sud – 306 pages

7.10.10

La ville des prodiges – Eduardo Mendoza


Ce gros roman, très dense, est l’héritier moderne de la tradition picaresque. Mendoza nous entraine avec son sens de l’humour habituel dans une Barcelone qui se transforme, entre les deux expositions universelles de 1888 et 1929.

Deux immenses chantiers qui vont jeter les bases de la ville moderne, lumineuse, vivante que nous connaissons de nos jours.

Deux immenses chantiers qui vont bouleverser la vie des catalans, les ruiner tout en enrichissant les notables locaux.

Pour suivre cette épopée, Mendoza imagine un personnage haut en couleurs qui arrive encore adolescent dans cette ville obscure, sale et pauvre avant l’exposition universelle de 1888.

Un personnage pauvre, ruiné par un père qui s’est embarqué dans une improbable aventure cubaine et qui y aura tout perdu. Un personnage qui pour survivre devra faire preuve d’une volonté de fer, d’une détermination et d’une abnégation en vue d’un seul objectif : devenir riche.

A partir de là, Mendoza nous entraine dans un tourbillon sans répit où se mêlent les anarchistes qui, à l’occasion de chacune de ses expositions et l’explosion de la société aidant, vont ébranler un monde en voie d’industrialisation, et les bourgeois préoccupés de préserver pouvoir et fortune.

Mais ce sont souvent à des personnages étranges, décalés, loufoques que l’auteur fait appel pour mieux rendre la folie qui s’empare de la ville, tout en se moquant gentiment des sphères du pouvoir catalan et castillan que tout oppose.

Cette galerie comporte des géants capables de fracasser des têtes à mains nues et d’engloutir des quantités de pâtisseries incroyables tout en abusant allègrement des filles plus ou moins faciles ; un hôtelier glauque dont le vice est de se déguiser en femme pour se rendre nuitamment dans les bas-fonds de la ville ; un marquis méprisant et assoiffés d’expériences sexuelles de plus en plus bizarres ; des anges sauveurs des causes perdues ; de généraux méprisants, idiots et absurdes ; d’émissaires naïfs et habillés des reliques saintes pour défendre la cause de leur ville dans une capitale qui la méprise ; et de bien d’autres encore.

Bref, une collection d’humanité souvent plus préoccupée à s’enrichir, à servir sa propre glorification qu’à se préoccuper du bien-être général.

Une humanité manipulée par le personnage romanesque qui naviguera entre trois femmes aussi dissembles que possible mais essentielles à sa destinée.

Pour autant, le roman n’est pas exempt de défauts. Souvent, nous glissons d’un sujet à l’autre sans transition et le lecteur a du mal à s’y retrouver entre les multiples personnages et les lieux. Sans connaissance préalable de Barcelone, il me paraît impossible d’apprécier ce roman.

De plus, les références historiques sont trop souvent plaquées au récit et constituent autant de raccords trop visibles qui déstructurent la linéarité du roman.

Au bout du compte, on commence à compter les pages et on finit un peu par se lasser d’un roman un peu trop flamboyant, un peu trop riche. Bref, comme un repas trop riche et dont on sature avant la fin en se demandant quand on va en finir. Dommage.

Publié aux Editions Seuil – 406 pages

2.10.10

Les disparues de Vancouver – Elise FONTENAILLE


Elise Fontenaille se délecte à faire de ce qui dérange, de l’indicible, la matière première de son univers romanesque. On l’avait déjà vu avec « Unica », que nous avions beaucoup aimé sur Cetalir avant qu’il ne soit récompensé par le Grand Prix de la Science-Fiction Française 2008. Là, c’était la pédophilie sur Internet qui servait de trame à un superbe récit où le réel, le fantasme et l’imaginaire se mêlaient pour former un univers fascinant.

Avec son dernier récit « Les disparues de Vancouver », Elise Fontenaille a décidé de frapper un grand coup. Publié au moment de l’ouverture fastueuse et presque immorale des JO d’Hiver de Vancouver 2010, le livre prend le contrepied de l’image idyllique que le Canada chercha à envoyer au monde en nous plongeant dans ce que cette ville et ce pays ont de plus glauque, de plus barbare.

Car c’est à Vancouver, dans le Dowtown Eastside (DTES) que se concentre le pire de la prostitution, celle des jeunes Indiennes, souvent encore à peine pubères, disparues de chez elles, accros à l’héroïne et prêtes à tout, à n’importe quel prix pour se payer un fix. Une prostitution sur fond de racisme omniprésent au Canada depuis qu’au XIXème siècle, comme nous le rappelle l’auteur dans un parallèle frappant, 10000 femmes indiennes furent convoyées vers des réserves, encadrées par des hommes en armes et que plus de 4000 d’entre elles moururent de mauvais traitements pendant le voyage.

En effet, qui peut bien se préoccuper du sort de ces Indiennes victimes des « bad dates », ces gars, souvent des maris ou pères de famille qui, parce qu’elles ne sont pas blanches se croient tout permis avec ces filles et les tabassent plus ou moins violemment. Et, malgré les disparitions soudaines, sans laisser la moindre trace, personne ne fait rien, et surtout pas la Police Canadienne qui s’en fout royalement.

Pourtant, elles disparaissent ces filles et de plus en plus depuis dix ans. Par dizaines même. Seuls quelques amis ou membres de la famille se réunissent alors, une fois par an, pour célébrer leur mémoire, pleurer ensemble à défaut de recevoir le moindre soutien.

Il faudra la persévérance d’un homme au cœur d’or, Wayne Leng, tombé amoureux d’une prostituée trentenaire et restée belle, Sarah De Vries, pour forcer le destin et amener la police canadienne à s’intéresser enfin au problème et à découvrir l’horreur absolue. Parce que Sarah a disparu brutalement sans laisser de traces, Wayne enquête sans relâche, harcèle la police et laisse tomber son job pour se consacrer à plein temps à un site recensant les disparues de Vancouver et glanant la moindre information à leur propos.

Alors, peu à peu, l’étau va se resserrer autour de William Picket, un fermier éleveur de porcs, devenu soudainement riche grâce à la spéculation immobilière. Un taiseux qui organise des fêtes orgiaques où les Hell Angels consomment bière et viande à gogo tout en se livrant à d’ignobles activités sexuelles avec des filles enlevées du DTES et livrées en pâture. Tout le monde le sait mais personne ne pipe mot car Picket achète le voisinage, la police en leur refilant des stocks de viande. Sauf qu’un jour, presque par hasard, on finira par découvrir que cette viande n’est autre que celle des prostituées qu’il a sauvagement assassinées, découpées après les avoir accrochées à des crocs de bouchers avant de les transformer en rôtis de prétendu porc. Les restes sont bouffés par les cochons ou enfouis dans le lisier. Commencera alors une longue investigation pour retrouver les traces d’ADN et compter au moins soixante neuf victimes, ce qui fait de Picket le plus grand serial killer d’Amérique du Nord.

Tout cela est réel et fut étouffé à l’aube du nouveau millénaire. Il a fallu de la persévérance à Madame Fontenaille pour faire parler ceux qui se taisaient et accoucher d’un récit plus journalistique que romancé. Un récit qui fait froid dans le dos et qui est malheureusement authentique.

Certes le livre n’a pas le côté onirique d’Unica et le style en est dépouillé à l’extrême à l’image de ces victimes qui n’ont absolument plus rien. Il n’en reste pas moins un indispensable témoignage sur ce que l’homme est capable de pire.

Publié aux Editions Grasset – 2010 – 193 pages

Quelques nouvelles

Merci pour votre fidélité de plus en plus grande sur Cetalir qui est consulté dans le monde entier. La France reste, bien sûr, la principale origine de vos visites, suivies par le Canada et les Etats-Unis.

Sur le mois d'Octobre, le site a enregistré 1478 consultations de pages, en progression significative sur les trois derniers mois.

Les pages les plus consultées, dans l'ordre décroissant, ont été la semaine dernière :

Les Chaussures italiennes - Henning Mankell *****
Le premier homme - Albert Camus ***
Melnitz - Charles Lewinsky *****
Titan - La Triologie de Gaïa I - John Varley ***
Sex, Foot et Royalties **

Sur le mois de Septembre, le quinté est le suivant :

Les Chaussures italiennes - Henning Mankell *****
Le premier homme - Albert Camus ***
Melnitz - Charles Lewinsky *****
Magnus - Sylvie Germain ***
Au temps où la Joconde parlait - Jean Diwo *****

Merci donc encore pour vos visites et surtout, n'hésitez pas à nous laisser un commentaire auquel nous répondrons très rapidement.

Nous allons aussi augmenter le nombre de posts par semaine, disposant d'un stock de centaines de notes en attente.

Bien cordialement et bonnes lectures !

1.10.10

Univers, univers – Régis Jauffret


Une femme met un gigot au four. Commence une longue, très longue digression sur les infinies personnages possibles, rêvés, putatifs, probables, croyables ou incroyables que cette inconnue pourrait revêtir.

Un univers de possibles où Jauffret nous entraine avec un certain brio. En une page, il n’est pas rare que cette femme en soit dix, douze, quinze, vingt. Elle change de nom, de prénom, de mari, de passé, de présent et de futur.

Puis, les pages défilant, certains univers sont plus explorés que d’autres, certains passés font l’objet d’une description sur dix pages.

Quelques personnages, comme ce couple insupportable, les PIERROT, de bobos qui n’ont de cesse d’agrandir leur résidence avec piscine et d’organiser des dîners avec baignades obligatoires, structurent un récit tourbillonnant.

Des thèmes apparaissent comme récurrents. Ils hantent ces univers parallèles, donnent des pistes sur les angoisses qui habitent cette femme.

A-t-elle été parricide, infanticide ? A-t-elle assassiné son mari ? Elle a des flashes d’univers carcéral dont elle sort parfois indemne, parfois détruite, parfois morte.

Parfois aussi, pour mieux nous dérouter dans ce roman à part, très spécial, nous nous retrouvons au détour d’une phrase, d’un mot ou d’un chapitre dans la peau d’un des possibles maris.

Chacun de ces êtres suit un passé spécifique. Rares sont les parcours linéaires. Souvent, le meurtre, la violence, la drogue peuplent une enfance où une adolescence tumultueuses. Parfois, une fois adultes, une vie rangée, lisse, efface un passé plus ou moins lourd.

Le gigot connaît lui aussi un sort qui varie au fil des personnalités empruntées. Dans tous les cas, c’est à une femme désespérée, désemparée, déstructurée, déboussolée que nous avons à faire. D’ailleurs existe-t-elle vraiment ?

Très moderne par sa structure, ce roman finit cependant par lasser. 300 pages eussent largement suffi à servir de trame à un délire onirique et littéraire qui provoquera adhésion ou rejet. Pas de juste milieu possible.

Mais voilà, le roman en fait 600 et là, c’est overdose !

Toutefois, d’autres auront apprécié car ce roman s’est vu décerné le prix « Décembre 2003 ».

Une curiosité à découvrir, quitte à l’abandonner avant la fin…

Publié aux Editions Verticales – 609 pages