16.10.10

Grâce et dénuement – Alice Ferney


Avec ce roman, Alice Ferney a obtenu le Prix Culture et bibliothèque pour tous en 1997. Un livre écrit avec un certain lyrisme, fruit d’une écriture travaillée, maîtrisée et parfois, brutalement, pleine d’une fulgurance où se cache une certaine passion.

Grâce et dénuement, c’est la marque de fabrique du peuple des gitans. Un peuple en marge qui suit ses propres codes et où l’appartenance au clan, à la famille est sacrée. Un peuple où l’on se suffit à être hommes et où les femmes sont simplement faites pour enfanter, tenir un semblant de salubrité, veiller sur leur homme et leur progéniture.

C’est dans un clan familial que nous entraine Alice Ferney. Un clan tenu par une vieille femme, Angélique. Enfin, vieille avant son heure car à cinquante ans, sans soins, sans nourriture saine, avec une hygiène approximative et vivant dehors en permanence, tout devient plus lourd à porter et le désir d’en finir peut s’emparer d’êtres qui sont nés sans rien, n’ont rien acquis et s’en iront aussi pauvres.

Angélique est veuve d’un époux qui ne fut capable de rien, qui n’avait ni santé, ni volonté et qui a tout juste été capable de lui faire cinq enfants, cinq fils, parce qu’elle le voulait.

Quatre de ses fils sont encore vivants. Ils forment le socle du clan avec leurs épouses et la ribambelle de mioches qui court autour, dépenaillés, incultes, déscolarisés. Ils vivent sur un terrain vague appartenant à une vieille institutrice un peu en marge et qui refuse de les expulser. Leur vie est simple, insalubre, faite d’improvisation, de débrouillardise et de vols aux alentours.

Chacun de ses hommes connaît une fortune diverse dans son couple mais tous sont viscéralement soudés, liés à une mère castratrice qui n’a pas su ou voulu en faire des hommes autonomes et responsables.

Un jour, une gadjé, Esther, la quarantaine bien portante, mariée, infirmière, mère de trois enfants, débarque pour lire aux enfants, sans demander d’autre contrepartie que de leur donner cette chance de découvrir l’ouverture au monde qu’apporte la lecture. Ce sera un succès total suscitant émotion, respect de l’autre et échange entre ces enfants qui ne connaissaient jusque là que la domination pour s’imposer aux autres.

Peu à peu, elle va se faire admettre par le clan, les aider, les assister jusqu’à faire scolariser la fille aînée à force de pugnacité et d’opiniâtreté. Elle sera là pour tous les coups durs et saura assister sans démonstration, par simple générosité.

Peu à peu, elle va découvrir les tensions inhérentes à ce clan, la fureur et la folie qui peut s’emparer d’un homme sans métier, sans langage structuré, sans femme.

Peu à peu, comme elle, nous allons vivre avec ces gitans et découvrir ce qui peut donner sens à une vie qui ne tend pas vers l’accumulation de richesses ou de biens plus ou moins futiles.

Certes, le discours est parfois moralisateur avec une propension à défendre certaines valeurs républicaines d’égalité et de fraternité. Mais l’auteur réussit au moins le tour de force que de nous amener de l’autre côté de notre monde et de nous interpeler sur nos responsabilités et le propre sens que nous donnons à nos vies.

Il y a bien des longueurs, des imperfections dans ce récit parfois plus ethnographique que romancé. Mais le tout mérite que l’on s’y intéresse tant pour le fond que la forme.

Publié aux Editions Actes Sud – 289 pages