2.10.10

Les disparues de Vancouver – Elise FONTENAILLE


Elise Fontenaille se délecte à faire de ce qui dérange, de l’indicible, la matière première de son univers romanesque. On l’avait déjà vu avec « Unica », que nous avions beaucoup aimé sur Cetalir avant qu’il ne soit récompensé par le Grand Prix de la Science-Fiction Française 2008. Là, c’était la pédophilie sur Internet qui servait de trame à un superbe récit où le réel, le fantasme et l’imaginaire se mêlaient pour former un univers fascinant.

Avec son dernier récit « Les disparues de Vancouver », Elise Fontenaille a décidé de frapper un grand coup. Publié au moment de l’ouverture fastueuse et presque immorale des JO d’Hiver de Vancouver 2010, le livre prend le contrepied de l’image idyllique que le Canada chercha à envoyer au monde en nous plongeant dans ce que cette ville et ce pays ont de plus glauque, de plus barbare.

Car c’est à Vancouver, dans le Dowtown Eastside (DTES) que se concentre le pire de la prostitution, celle des jeunes Indiennes, souvent encore à peine pubères, disparues de chez elles, accros à l’héroïne et prêtes à tout, à n’importe quel prix pour se payer un fix. Une prostitution sur fond de racisme omniprésent au Canada depuis qu’au XIXème siècle, comme nous le rappelle l’auteur dans un parallèle frappant, 10000 femmes indiennes furent convoyées vers des réserves, encadrées par des hommes en armes et que plus de 4000 d’entre elles moururent de mauvais traitements pendant le voyage.

En effet, qui peut bien se préoccuper du sort de ces Indiennes victimes des « bad dates », ces gars, souvent des maris ou pères de famille qui, parce qu’elles ne sont pas blanches se croient tout permis avec ces filles et les tabassent plus ou moins violemment. Et, malgré les disparitions soudaines, sans laisser la moindre trace, personne ne fait rien, et surtout pas la Police Canadienne qui s’en fout royalement.

Pourtant, elles disparaissent ces filles et de plus en plus depuis dix ans. Par dizaines même. Seuls quelques amis ou membres de la famille se réunissent alors, une fois par an, pour célébrer leur mémoire, pleurer ensemble à défaut de recevoir le moindre soutien.

Il faudra la persévérance d’un homme au cœur d’or, Wayne Leng, tombé amoureux d’une prostituée trentenaire et restée belle, Sarah De Vries, pour forcer le destin et amener la police canadienne à s’intéresser enfin au problème et à découvrir l’horreur absolue. Parce que Sarah a disparu brutalement sans laisser de traces, Wayne enquête sans relâche, harcèle la police et laisse tomber son job pour se consacrer à plein temps à un site recensant les disparues de Vancouver et glanant la moindre information à leur propos.

Alors, peu à peu, l’étau va se resserrer autour de William Picket, un fermier éleveur de porcs, devenu soudainement riche grâce à la spéculation immobilière. Un taiseux qui organise des fêtes orgiaques où les Hell Angels consomment bière et viande à gogo tout en se livrant à d’ignobles activités sexuelles avec des filles enlevées du DTES et livrées en pâture. Tout le monde le sait mais personne ne pipe mot car Picket achète le voisinage, la police en leur refilant des stocks de viande. Sauf qu’un jour, presque par hasard, on finira par découvrir que cette viande n’est autre que celle des prostituées qu’il a sauvagement assassinées, découpées après les avoir accrochées à des crocs de bouchers avant de les transformer en rôtis de prétendu porc. Les restes sont bouffés par les cochons ou enfouis dans le lisier. Commencera alors une longue investigation pour retrouver les traces d’ADN et compter au moins soixante neuf victimes, ce qui fait de Picket le plus grand serial killer d’Amérique du Nord.

Tout cela est réel et fut étouffé à l’aube du nouveau millénaire. Il a fallu de la persévérance à Madame Fontenaille pour faire parler ceux qui se taisaient et accoucher d’un récit plus journalistique que romancé. Un récit qui fait froid dans le dos et qui est malheureusement authentique.

Certes le livre n’a pas le côté onirique d’Unica et le style en est dépouillé à l’extrême à l’image de ces victimes qui n’ont absolument plus rien. Il n’en reste pas moins un indispensable témoignage sur ce que l’homme est capable de pire.

Publié aux Editions Grasset – 2010 – 193 pages