29.10.10

Un secret sans importance – Agnès Desarthe


Ce roman fut « Prix du Livre Inter » en 1996.

Dès les premières pages, A. Desarthe sait créer une atmosphère à part, un monde où la vie intérieure prédomine, un monde fait plus pour les poètes et les rêveurs que pour les acharnés de la production à tout prix.

C’est ce décalage sur le mode dominant contemporain qui crée l’interpellation initiale. Une invitation douce, tendre à nous laisser bercer par la musique des sentiments.

La richesse du livre tient dans la diversité des personnages mis en scène. Ils sont tous et toutes en rupture avec le mode de pensée normatif, toutes et tous à la recherche d’une chose ou d’un être qu’ils ont le plus grand mal à décrire et donc, à trouver.

C’est cette richesse qui constitue aussi, sans doute, un obstacle à une lecture aisée du livre. En fait, on y plonge avec délice ou bien on rejette le tourbillon ambiant et sa descente au plus profond des émotions. Des émotions d’autant plus intenses qu’elles ne savent pas s’exprimer.

Au fond, le thème central du livre est la difficulté à communiquer alors qu’on admire, qu’on aime, qu’on est attiré par l’autre.

Ce secret, c’est l’incapacité à dire, à avouer ses sentiments. C’est aussi ce que l’on tient caché pour ne pas peiner l’autre, pour ne lui donner que de la joie à être ensemble. Ce secret, c’est aussi celui d’une autre vie qui n’a pas été et ne sera jamais.

Un livre à l’image de ses sentiments : hors du temps car il se situe vaguement en fin de vingtième siècle, hors de l’espace car on ne sait trop si c’est à Londres, à Paris, ailleurs que l’action se situe. Mais, est-ce important ? Car la poésie, la musique du cœur n’a que faire des contingences.

Ce qui frappe aussi dans ce délicieux roman, c’est le décalage constant entre ce que les personnages sont en apparence au monde et ce qu’ils sont en réalité, en tant que moi souffrant.

Les professeurs savants d’université ne se sont jamais remis d’amours prématurément avortées de jeune homme. Ils ont passé leur vie à chercher un sens aux mots parce qu’ils ne savaient pas décrire leurs maux.

Et ils succombent à la première beauté qui passe, à la première jeune femme qui saura les émouvoir, leur rappeler une étincelle d’innocence depuis longtemps perdue par eux. La vie vacille pour une silhouette, un mot, un geste, le plaisir irrefrèné de se laisser partir à la dérive de ses sentiments. Enfin, elle vacille putativement car passer de l’autre côté est une autre histoire…

Et puis il y a Violette, l’incompréhensible Violette. Elle revient d’un séjour à l’hôpital psychiatrique et se soigne à coups de pilules roses et de jardinage en dépit du bon sens. Violette est attirante par le mystère qu’elle représente, son interface au monde en rupture avec les standards, la spontanéité dont elle fait preuve.

Violette est aussi le symbole de la femme enfant. Elle en a l’apparence, le physique et souvent la mentalité. Peu à peu, un amour qui ne dit pas son nom, tout aussi impossible qu’une vie normale, lui permettra de sortir du cycle chimique infernal, de refaire surface, d’oser repartir.

Ce livre est un tableau vivant d’une galerie de personnages qui se croisent, éprouvent des sentiments les uns pour les autres, rêvent d’une autre vie sans jamais passer à l’acte. Sonia, atteinte d’un cancer, juive religieuse, pratiquante, dévouée à dieu et à son mari est un personnage en retrait, essentiel pour lire ce qui se déroule sous nos yeux.

Certes, la lecture est parfois empesée d’une religion judaïque trop présente et aurait gagné en force en restant plus universel.

Un bien léger reproche pour une indéniable réussite, hautement recommandable.

Publié aux Editions de l’Olivier – 210 pages