2.1.11

Sukkwan Island – David Vann


Il faut avant tout saluer ici le remarquable travail de la petite maison d’édition bretonne Gallmeister. Il fallut du nez à son fondateur et directeur pour dénicher un manuscrit, vendu à seulement huit cents exemplaires aux Etats-Unis, malgré une critique élogieuse du New York Times, puis distillé sous forme de nouvelles. Le résultat est d’autant plus bluffant qu’il s’agit là d’un premier roman, largement inspiré d’éléments autobiographiques. Au final, un carton, le livre s’inscrivant très vite dans les meilleures ventes de la rentrée littéraire 2010 et le couronnement du Prix Médicis Etranger 2010. Rien que cela !

Il est peu de dire que ces succès sont amplement mérités. « Sukkwan Island » fait partie de ces livres qui marquent à vie car il est impossible d’en ressortir indemne tant l’histoire vous prend aux tripes avec un basculement inimaginable, en page 113, qui entraîne le livre dans une noirceur sublime, une descente vers l’enfer physique et psychologique d’un personnage névrosé, suicidaire et qui a raté systématiquement tout ce qu’il a entrepris jusqu’ici dans sa vie.

En suivant l’aventure de ce père qui entraîne son jeune fils de treize ans dans cette petite île déserte du Sud de l’Alaska pour y passer un an, en vivant comme les pionniers dans une cabane de rondins d’un confort plus que sommaire, on s’interroge sur les motivations d’un père que l’on ne tardera d’autant moins à qualifier d’inconscient que son niveau de préparation mentale, physique et logistique frise la sanction psychiatrique.

Un père que sa passion pour les femmes et son incapacité à savoir les aimer normalement vont entraîner dans les pires turpitudes pour lui et son enfant qui observe, malgré lui, la destruction progressive de l’image d’un père censée être idéale, presque déique. De cela, on ne peut sortir indéfiniment indemne.

Plus le récit progresse et s’enfonce dans la noirceur, plus la désespérance est grande, plus le tragique vous prend à la gorge. Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle, tout au long du roman, avec deux icônes qui mettent, elles aussi, une paire d’hommes confrontés à la nature et à l’hostilité d’un monde que leurs propres peurs ne font qu’exacerber. Il y a de « La Route » et du « Délivrance » dans ce roman d’un nouveau maître qu’est David Dann. C’est dire le niveau d’un manuscrit qui, cependant, porte sa propre profondeur tragique, sa propre destruction sans la devoir à personne. Plus le récit progresse, plus la lumière s’éteint comme cet hiver qui s’installe et noie tout dans le froid et la neige, la nuit devenue propice à l’exultation des plus basses turpitudes.

On est pris à la gorge d’un récit qui serre son étreinte jusqu’à la dernière ligne, admirablement écrit, admirablement construit. Un chef-d’œuvre.

Publié aux Editions Gallmeister – 2010 – 192 pages