24.9.11

Une saison ardente – Richard Ford


La capacité de R. Ford à se réinventer est étonnante. Tant au plus du style que du fond. Chaque livre reste cependant une illustration de l’envers du décor du rêve américain et des multiples dégâts qu’il engendre sur celles et ceux qui ont cessé d’y croire ou en subissent les effets collatéraux.

Dans « Une saison ardente », un des romans les plus courts de l’auteur, nous voyons le monde par les yeux d’un adolescent de dix-sept ans.

Ce jeune homme vit jusque là une vie tranquille perdu au fond de l’état rupestre du Montana. Nous sommes dans les années soixante. Sa mère est femme au foyer, son père, professeur de golf.

Cet été là, le feu fait rage et ravage les forêts et taillis de toute la région, menaçant à distance la bourgade. Un feu qui va faire exploser le couple, en apparence uni, mais fondamentalement fragile.

L’incendie qui gronde est aussi celui qui va détruire un équilibre fragile, faire voir aux yeux de l’adolescent le monde terrible des adultes, un monde fait de mensonges, de tromperie, de duplicité, de conflits.

Malgré lui, il sera le témoin balloté d’une mère qui décide de prendre un amant en réaction à un mari, et père, qui, licencié, désœuvré, déstabilisé, va se lancer à corps perdu dans une lutte d’un incendie qui le dépasse.

L’évolution parallèle des flammes qui s’emparent du bois et des prairies et de celles qui détruisent méthodiquement un couple arrivé à bout de souffle, est saisissante. Elle compose la trame narrative et illustre le caractère prévisible, inarrêtable des forces qui sont en jeu.

L’adolescent ne peut que compter les points et fuir dans une stratégie qui vise à aimer ses deux parents malgré eux, en espérant que la débâcle va un jour cesser.

Car le feu est aussi un moyen de refertiliser les terres, de les apurer, de se débarrasser violemment de ce qu’il eût été trop lourd, trop long, trop coûteux de traiter unitairement.

C’est la vie de la classe moyenne semi-urbaine qui est ici mise en scène et des stratégies possibles pour survivre quand le travail manque, les liens se rompent, le coup de folie guette.

Un livre poignant et, comme toujours chez Ford, terriblement humain.

Edité aux Editions de l’Olivier – 219 pages

17.9.11

Assureur d’emplois – Bernard Houot


Bernard Houot est un ancien élève de Polytechnique, diplômé de Harvard, ex-cadre de Hewlett Packard et qui a occupé un poste de conseiller technique de Délégué Général de la Fondation Réussite Scolaire auprès du Maire de Lyon. Désormais à la retraite, il consacre une partie de son temps à publier à compte d’auteur des ouvrages de réflexion sur des problèmes fondamentaux de société. Il s’était d’ailleurs déjà fait remarquer en publiant un récit autobiographique « Cœur de Prof., l’année sabbatique d’un cadre sup dans l’enseignement scolaire, publié chez Calmann-Lévy en 1991 et Lauréat du prix Enseignement et Liberté.

Avec « Assureur d’Emplois », Bernard Houot tente d’apporter une réponse originale et fort bien argumentée pour traiter de façon déterminée et positive le problème du chômage qui met, à terme, en péril le fondement social de notre société française.

Partant du principe que Pôle Emploi est largement incapable de traiter convenablement les millions de dossiers qui s’accumulent et que cela conduit un nombre croissant de nos compatriotes à l’exclusion sociale et à la survie à force de mécanismes d’assistance sociale de plus en plus coûteux qui ne règlent rien au problème et à ses causes, il jette les bases d’une approche révolutionnaire dérivée de l’observation de ce qui s’est fait dans les pays nordiques et, en particulier, aux Pays-Bas.

Le fondement de sa proposition consiste à créer des assureurs d’emploi privés qui se substitueraient à Pôle Emploi, au moins en partie, et dont le seul objectif serait d’embaucher des chômeurs, leur garantissant un salaire défini sur la base de leurs compétences, afin de proposer cette force de travail aux employeurs en recherche de personnel. Le personnel dont ils auraient ainsi la charge serait assuré d’être rémunéré dans des conditions prédéterminées aussi longtemps que les deux conditions suivantes seraient remplies : acceptation de toutes les missions confiées, quelles qu’en soient la nature, la durée, la localisation ET absence de faute grave.

Le financement de ces assureurs serait alors garanti par les économies sociales effectuées (moins de personnel Pôle Emploi, moins de prestations sociales) et par le fait que les dirigeants de ces entreprises seraient les seuls à ne pas bénéficier d’une telle assurance devant de ce fait trouver des solutions pour placer leur personnel et dégager une profitabilité assurant la continuité de leurs activités. Par un mécanisme d’exonérations de charges sociales, ces travailleurs constitueraient alors une main-d’œuvre qualifiée, disponible, flexible, mobile et compétitive en matière de coûts ce qui serait, pour l’auteur, une garantie suffisante au succès de la manœuvre.

Méthodiquement Bernard Houot s’emploie à lister les objections qui ne manqueront pas de s’élever et d’y apporter des réponses argumentées, le plus souvent assez convaincantes, il faut bien l’avouer.

Sur le papier, le dispositif semble pouvoir fonctionner sous certaines conditions d’encadrement par les Pouvoirs Publics. Il est maintenant évident qu’une telle approche ne manquerait pas de soulever de violentes réactions dogmatiques et idéologiques dans notre pays devenu hyper-corporatiste et qui a instauré l’assistance sociale sans contrepartie en matière de traitement du chômage et de l’exclusion. Il est à parier qu’il faudrait un courage politique encore plus grand que celui nécessaire à l’inévitable, et encore bancale, réforme des retraites pour imposer ne serait-ce que quelques expériences pilotes avec des volontaires.

En tous cas, malgré certaines faiblesses d’argumentation ici ou là, (on pense en particulier à toute la partie concernant la revitalisation des zones en voie de désertification économique), nous ne pouvons que saluer l’initiative que les candidats à l’élection présidentielle seraient bien inspirés de lire et d’inscrire à leurs programmes. L’auteur invite d’ailleurs à souscrire à sa proposition. Espérons qu’il sera écouté au moins pour envoyer un message ! Notre pays doit changer et effectuer de radicales réformes au risque de sombrer…

Publié aux Editions Houot – 2011 – 150 pages

Vous plaisantez, monsieur Tanner – Jean-Paul Dubois


JP. Dubois est un auteur présentant de multiple facettes. Avec « Homme entre eux », que nous avions adoré, nous étions plongés dans un monde cruel, angoissant, bizarre, à la limite de la normalité. Un monde où la mort rodait avant de frapper.

Avec « Vous plaisantez, monsieur Tanner », c’est un style léger, drôle, alerte, vif qui est mis au service d’une histoire hilarante inspirée d’une situation réelle.

Celles et ceux qui ont été confrontés à des travaux un tant soit peu conséquents, faisant appel à des corps de métier divers et ennemis héréditaires, à des dépassements d’honoraires et de délais, se reconnaîtront immédiatement.

La réfection abyssale d’une vieille bâtisse reçue en héritage d’un oncle homosexuel donne le prétexte à un défilé de personnages et de situations hauts en couleurs. Nous suivons avec compassion et amusement les infortunes de ce Monsieur Tanner qui doit jongler avec des artisans tantôt incapables, souvent inconséquents, méprisants, racistes ou maniaques. Le tout aux plus grands frais avec des factures qui s’allongent indéfiniment, des surprises qui n’en finissent pas et qui poussent à une obsession compulsive d’en terminer enfin et à tout prix.

Le talent de JP. Dubois est d’avoir su camper, toujours en quelques traits, des personnages qui marquent. Nous croiserons un peintre qui se prend pour un artiste et joue des caprices de star, un couple gay impayable de gaillards du Gard à l’accent aussi mémorable que leur mise en pli, un électricien russe fou de Dieu et aux techniques très particulières, un chauffagiste déprimé et étourdi, un plombier précieux et sosie de Louis de Funès…

Les chapitres sont courts, très travaillés. La langue est fleurie, à l’image de celle parlée sur les chantiers. On sourit souvent, rit parfois aux éclats. J’avoue que le chapitre confrontant les plaquistes gitans à l’électricien russe m’a fait rire aux larmes !

C’est léger, talentueux, vrai et le livre se lit en une petite soirée.

A découvrir sans plus attendre (cela reste le plus grand succès de l’auteur).

Publié aux Editions de l’Olivier – 199 pages

10.9.11

L’heure magique de la fiancée du pickpocket – Anne Bragance


Si vous ne connaissez pas encore Anne Bragance, écrivain prolifique d’origine andalouse, née à Casablanca et bercée dans son enfance par un melting-pot de langues et de cultures, ce petit roman constitue une joyeuse opportunité.

Mme Bragance est une femme du Sud, du soleil, de l’expression imagée et où les mots s’entrechoquent, se disloquent pour se fondre dans une langue aux couleurs régionales. Une langue chaude, expressive, pleine d’humour et de grands sentiments.

Nous sommes ici à Marseille. Sans transition et sans introduction, ce qui peut surprendre, nous suivons Irina sur la cannebière. Il pleut. Irina met sa main dans son imperméable et son portefeuille a disparu. Par un raccourci saisissant, Irina est au bras du pickpocket et le suit dans un bistrot. Le jeune homme, par bravade parce que la fille est belle, lui propose de l’épouser. Parce que le jeune homme a de la prestance et qu’il a choisi de commander deux camparis, l’apéritif préféré d’Irina sans qu’il le sache, Irina accepte. Il ne sait pas que c’est le troisième mariage de la belle inconstante. Maxime tombe des nues, ne dit rien et voilà l’affaire conclue !

Enfin presque, car il faut que les deux futures belles-mères s’accordent. Et c’est là que l’auteur se déchaîne et donne libre cours à la puissance de sa langue.

La mère de Maxime est simple, fille du peuple. Elle élève seule ses trois enfants car, dans ce roman, les hommes sont souvent morts, absents, largués par des maîtresses femmes et figurent au second plan. Elle s’exprime dans une langue qui concatène les expressions toutes faites ce qui donne des résultats burlesques et aux résonnances merveilleuses. C’est les des principaux attraits de ce petit bijou.

Celle d’Irina est un véritable despote qui a enterré quatre maris, en tyrannise un cinquième et veut tout régenter.

Alors, bien sûr, elles vont s’affronter, se charmer, s’amadouer sous la vigilance discrète du beau-père d’Irina qui ne veut que le bonheur du couple.

Derrière cette intrigue simple, Anne Bragance a le don pour nous emmener dans un voyage enlevé dans la ville de la bonne-mère. Deux classes s’affrontent. Un couple contre-nature se forme qui érige ses propres lois, avant que de succomber aux attaques liguées des deux belles-mères.

Les rebondissements sont nombreux, l’écriture alerte et le rythme à l’avenant.

Le soleil chante, la parole est d’or. On sourit, on s’amuse, on oublie tout.

Au fond, que demander de plus même si ce n’est pas un roman majeur ?

Publié aux Editions Mercure de France – 141 pages

2.9.11

Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil – Haruki Murakami


Celles et ceux d’entre vous qui lisent régulièrement mes notes sur Cetalir savent le profond respect et la profonde admiration que je voue à Murakami que je considère comme l’un des plus grands écrivains de sa génération.

« Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil » fut publié au Japon en 1992, traduit et publié en France en 2003 uniquement. Comparé aux romans plus tardifs de Murakami, on y navigue dans un monde moins étrange, beaucoup plus proche du quotidien d’un Japonais moderne. Le côté presque fantastique, le balancement constant entre le réel et l’onirique n’y ont pas la prégnance que l’on trouvera par la suite dans les romans majeurs de Murakami.

Mais, il ne faut pas s’y laisser tromper. Derrière l’apparence de cette histoire d’amour qui peut paraître, à tort, un peu mièvre, Murakami nous réserve comme toujours une surprise. Celle d’un dénouement inattendu, d’une conduite inexplicable qui laissent un parfum de mystère et plongent acteurs et lecteurs dans l’étonnement mâtiné de doute.

« Au sud de la frontière » est le titre d’une chanson de jazz de King Cole, une chanson mystérieuse que Hajime, jeune garçon calme et sans histoire, et Shimamoto, une jeune fille mystérieuse et boiteuse, écoutaient ensemble avec une certaine fascination. Ils ne savaient rien de ce qui se passait dans ce sud évoquant le Mexique. Ils se rapprochèrent simplement car, au contraire de la plupart de leurs camarades, ils étaient tous deux enfants uniques et que la combinaison de leurs solitudes et leur passion commune pour la musique, écoutée en boucle au cours de longs après-midi, ne pouvaient que cimenter entre eux une attirance sur laquelle ils étaient encore incapables de mettre un nom.

Vingt ans plus tard, selon l’apparence d’un hasard, ils se retrouvent. Hajime est devenu un homme rangé, marié, père de deux petites filles. Il possède et gère deux boîtes de jazz tokyoïtes à succès (on notera le caractère autobiographique de ce personnage, Murakami ayant lui-même commencé en montant de telles boîtes de jazz avant que découvrir son talent pour l’écriture). De Shimamoto, on ne sait rien. Elle ne livre quasiment rien d’elle, apparaît aussi mystérieusement qu’elle disparaît, suscitant le désir d’Hajime qui, au fond de lui, a toujours rêvé d’elle, s’est toujours interrogé sur ce qu’elle était devenue.

Commence un lent ballet de séduction et de fascination réciproques, un jeu dangereux susceptible de faire voler en éclats la vie rangée, la réussite sociale d’Hajime. Un jeu que conduit Shimamoto, selon ses propres règles qu’elle révèlera peu à peu et une logique qui est celle de l’ouest du soleil en quelque sorte, cette maladie qui s’empare de ces paysans sibériens, travailleurs, appliqués, sérieux et qui, tout à coup, laissent tomber outils, travail et famille pour se mettre en route vers l’Ouest et marcher jusqu’à mourir d’épuisement, attirés par une lumière qui n’est rien d’autre qu’un mirage.

C’est précisément là que réside la force du roman de Murakami. On sait cette fascination entre ces deux personnages, on comprend que la vie d’Hajime ne peut que basculer, que la tentation est trop forte, que la raison ne l’emporte jamais sur la passion, qu’il ne peut résulter de tout cela qu’un horrible gâchis. C’est cette morbidité que l’auteur met particulièrement bien en scène avant que nous laisser haletant et captif sans réponse.

Un fascinant roman.

Publié aux Editions Belfond – 2003 puis réédité en 2010 – 224 pages