2.9.11

Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil – Haruki Murakami


Celles et ceux d’entre vous qui lisent régulièrement mes notes sur Cetalir savent le profond respect et la profonde admiration que je voue à Murakami que je considère comme l’un des plus grands écrivains de sa génération.

« Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil » fut publié au Japon en 1992, traduit et publié en France en 2003 uniquement. Comparé aux romans plus tardifs de Murakami, on y navigue dans un monde moins étrange, beaucoup plus proche du quotidien d’un Japonais moderne. Le côté presque fantastique, le balancement constant entre le réel et l’onirique n’y ont pas la prégnance que l’on trouvera par la suite dans les romans majeurs de Murakami.

Mais, il ne faut pas s’y laisser tromper. Derrière l’apparence de cette histoire d’amour qui peut paraître, à tort, un peu mièvre, Murakami nous réserve comme toujours une surprise. Celle d’un dénouement inattendu, d’une conduite inexplicable qui laissent un parfum de mystère et plongent acteurs et lecteurs dans l’étonnement mâtiné de doute.

« Au sud de la frontière » est le titre d’une chanson de jazz de King Cole, une chanson mystérieuse que Hajime, jeune garçon calme et sans histoire, et Shimamoto, une jeune fille mystérieuse et boiteuse, écoutaient ensemble avec une certaine fascination. Ils ne savaient rien de ce qui se passait dans ce sud évoquant le Mexique. Ils se rapprochèrent simplement car, au contraire de la plupart de leurs camarades, ils étaient tous deux enfants uniques et que la combinaison de leurs solitudes et leur passion commune pour la musique, écoutée en boucle au cours de longs après-midi, ne pouvaient que cimenter entre eux une attirance sur laquelle ils étaient encore incapables de mettre un nom.

Vingt ans plus tard, selon l’apparence d’un hasard, ils se retrouvent. Hajime est devenu un homme rangé, marié, père de deux petites filles. Il possède et gère deux boîtes de jazz tokyoïtes à succès (on notera le caractère autobiographique de ce personnage, Murakami ayant lui-même commencé en montant de telles boîtes de jazz avant que découvrir son talent pour l’écriture). De Shimamoto, on ne sait rien. Elle ne livre quasiment rien d’elle, apparaît aussi mystérieusement qu’elle disparaît, suscitant le désir d’Hajime qui, au fond de lui, a toujours rêvé d’elle, s’est toujours interrogé sur ce qu’elle était devenue.

Commence un lent ballet de séduction et de fascination réciproques, un jeu dangereux susceptible de faire voler en éclats la vie rangée, la réussite sociale d’Hajime. Un jeu que conduit Shimamoto, selon ses propres règles qu’elle révèlera peu à peu et une logique qui est celle de l’ouest du soleil en quelque sorte, cette maladie qui s’empare de ces paysans sibériens, travailleurs, appliqués, sérieux et qui, tout à coup, laissent tomber outils, travail et famille pour se mettre en route vers l’Ouest et marcher jusqu’à mourir d’épuisement, attirés par une lumière qui n’est rien d’autre qu’un mirage.

C’est précisément là que réside la force du roman de Murakami. On sait cette fascination entre ces deux personnages, on comprend que la vie d’Hajime ne peut que basculer, que la tentation est trop forte, que la raison ne l’emporte jamais sur la passion, qu’il ne peut résulter de tout cela qu’un horrible gâchis. C’est cette morbidité que l’auteur met particulièrement bien en scène avant que nous laisser haletant et captif sans réponse.

Un fascinant roman.

Publié aux Editions Belfond – 2003 puis réédité en 2010 – 224 pages