19.3.12

Pierrot-La-Gravité – Kôtarô ISAKA



Kôtarô ISAKA est un romancier né en 1971 qui s’est fait connaître sur la scène littéraire japonaise en 2001 avec « La prière d’Aubudon » récompensé par le Prix Shinco Mystery Club. Il a depuis publié un certain nombre de romans qui font immanquablement penser à l’univers un peu fantastique et onirique de Haruki Murakami.

« Pierrot-La-Gravité » doit son titre à un spectacle de cirque qui a fortement marqué Haru et Izumi, deux frères étroitement liés l’un à l’autre. Lors de ce spectacle, un clown déguisé en Pierrot se transformait en un trapéziste qui se jouait de la gravité, multipliant les acrobaties et les sauts dans le vide provoquant frayeur et frissons dans l’audience. Un clown triste qui semblait se départir de la gravité terrestre en se balançant avec élégance sur un trapèze. « Tout cela pour nous faire oublier notre condition » comme le dira Izumi en page 442.

L’oubli de sa condition est précisément ce qui hante de façon obsessionnelle la vie de Haru depuis qu’il a découvert, encore enfant, qu’il était issu du viol de sa mère par un adolescent pervers qui frappa à de nombreuses reprises des femmes jeunes et sans défense dans la ville de Sendai. Bien que la famille resta profondément soudée après ce drame et que le mari, et père d’Izumi , fit sien presque sans hésitation cet enfant, Haru devenu adulte se sent à part et en vient à douter du sens et de la valeur de sa propre existence.

Izumi travaille dans une société spécialisée en recherche génétique tandis qu’Haru vit de l’effacement de tags qui se mettent soudainement à proliférer dans la ville de Sendai. Brutalement, une série d’incendies indéniablement volontaires se déclenche à chaque fois annoncés par des tags mystérieux et systématiquement rédigés en Anglais. Les deux frères décident alors de mener l’enquête aidés à distance par leur père, fonctionnaire à la retraite, passionné de romans policiers, qui se meurt d’un cancer de l’estomac à l’hôpital.

Peu à peu, les tags vont s’assembler pour former des phrases puis des combinaisons élaborées qui semblent porter un message. Au fur et à mesure que l’enquête fraternelle progresse, la face obscure de Haru se dévoile au point qu’Izumi en vient à se poser des questions sur la santé mentale de celui-ci et le rôle réel qu’il joue dans cette prolifération délictueuse. Tout au long de ce roman qui se situe à la croisée du fantastique et du policier, c’est la question du bien et du mal qui sera abordée directement ou indirectement, du sens que l’on veut donner à vie, du rôle que la science vient à jouer lorsqu’elle nous donne le pouvoir de révéler ou de mettre en évidence de façon incontestable, ce que nous soupçonnions.

Menée de façon très serrée, la trame nous entraîne sur des fausses pistes s’enfonçant toujours plus dans le mystérieux et le fantastique pour nous réserver une conclusion partiellement pressentie mais qui comportera sa part d’étonnement. Tout cela est fort bien fait et, même si nous sommes très loin du degré de maîtrise et d’étrangeté que possède Haruki Murakami, se laisse lire avec intérêt et un assez grand plaisir.

Publié aux Editions Philippe Picquier – 2011 – 466 pages