3.8.12

Accouplement – Norman Rush



Norman Rush est née en 1933près de San Francisco et « Accouplement » constitue son premier roman publié en 1991. Ce roman connut un immense succès critique dans les pays d’expression anglaise et fut même considéré comme l’un des évènements littéraires du dernier quart du vingtième siècle !

Pourtant, voilà un roman d’une grande difficulté. Tout semble y être fait pour semer en route un lecteur qui doit réellement s’accrocher pour résister aux multiples tentations d’abandonner en chemin un pavé serré et dense de plus de cinq cents pages… C’est ce que je qualifierais de roman typiquement universitaire, le genre dont on raffole quand on a une vingtaine d’années, qu’on navigue dans les concepts et l’idéalisme et que la réalité de la vie quotidienne ne vous a pas encore fait toucher du doigt l’urgence du matérialisme.

Quand, beaucoup d’années plus tard, un homme mûr comme votre serviteur se retrouve confronté à la référence constante et entremêlée de concepts soit largement oubliés depuis, soit totalement inconnus en dehors d’un tout petit cercle de thésards déconnectés de la réalité sociale, la lecture de ce roman social devient rapidement ardue au point d’en être absolument incompréhensible à de trop nombreuses occasions.

Ce qui caractérise ce récit, c’est son effroyable lenteur, la complaisance avec laquelle cette femme qui se raconte, décortique avec minutie et un rien de masochisme les mécanismes complexes d’un amour impossible, celui pour un homme dont elle a partagé la vie et les utopies pendant quelque temps, séduite par son intelligence, sa facilité à manier les concepts, sa capacité à gloser et à vous faire briller en vous associant à sa propre gloire.

Un amour qui l’amènera à traverser seule, à pied, impréparée et en toute inconscience, le désert du Bostwana pour aller rejoindre le fondateur d’une cité indépendante où les femmes ont le pouvoir. Cette traversée épique constitue le seul moment où le récit, pendant une trentaine de pages, se lâche vraiment et où la vraie vie prend toute son importance. Plus de concepts, plus d’auteurs, plus de belles phrases quand il faut survivre au soleil brûlant, au sable qui dessèche, à la soif et aux pièges naturels.

Après cent cinquante pages d’autoanalyse qui nous montre en détails la névrose de celle qui se confie et son incapacité à savoir aimer simplement , sa tentation renouvelée pour des amours impossibles, nous allons pendant plus de trois cents pages assister à la construction, l’apogée et la destruction d’un nouvel amour. Le tour de force du roman, car il faut avouer qu’au bout du compte on assiste à un authentique exploit, c’est de faire cohabiter cette histoire personnelle avec l’analyse sociologique de cette cité matriarcale utopique. Une cité qui va peu à peu se déliter car toutes les utopies finissent par ne jamais résister à l’usure du quotidien, aux tentations de pouvoir, aux clivages sardoniques.

L’autre intérêt est de comprendre en quoi sous couvert de générosité, c’est en fait le profond égoïsme du fondateur qui gouverne tout. Un égoïsme qui se dissimule habilement sous les concepts et les idées mais qui finira par causer la perte de ces dernières car on ne peut pas avoir raison, à terme, contre tous.
Il en résulte un livre intensément à part et qui hésite sans cesse entre l’analyse sociologique, les commentaires philosophiques, l’introspection psychologique et le cadre romanesque.

On admire la force de la construction intellectuelle, la culture encyclopédique de l’auteur mais, pour notre part, nous sommes toujours restés en dehors d’un récit d’une absolue froideur et d’une lenteur quasi insupportable.

Publié aux Editions Fayard – 561 pages