25.8.12

Ma vie précaire – Elise Fontenaille


 
Au départ, le titre devait être « La vie précaire ». Et puis, l’article s’est changé en pronom personnel. Un changement de type sans doute loin d’être anodin et qui entretient encore plus le doute ou le questionnement sur la part de réalité et de fiction dans le dernier roman d’Elise Fontenaille. Un doute que laisse planer l’auteur dans les quelques interviews énigmatiques glanées ici ou là.

Difficile de penser cependant que ce roman ne soit pas largement autofictionnel. Comme l’auteur, le narrateur se prénomme Elise. Comme elle, elle est écrivain. Comme elle, elle vit un bouleversement dans sa vie : ici, un divorce qui va devenir le déclencheur d’un changement radical de vie.

Tout commence par un acte doublement symbolique. D’abord, vider le grand appartement de Paris en donnant les meubles et surtout les livres descendus sur le trottoir, devenus les éléments d’une bibliothèque ouverte où chaque passant est invité silencieusement à choisir, se servir et s’emparer d’un compagnon de lecture qui deviendra le sien à jamais, le retour vers le précédent propriétaire ne faisant pas partie de la règle. Un psychanalyste y verrait là un acte chargé de sens : un écrivain dont la vie est de fabriquer des livres devenus sa vie et en ayant accumulé une quantité d’autres au préalable pour se nourrir et alimenter sa propre genèse commence par tuer symboliquement tout ce qu’elle a fait jusque là en se débarrassant de son signifiant. Premier acte d’une pièce en deux temps, le second, une fois l’appartement vidé, étant de quitter Paris. Paris, la ville lumière, la ville de la culture, celle où une femme de lettres a toutes les chances de mieux se faire connaître. Paris, la ville haïe aussi, celle qui étouffe, celle qui contraint, celle qui vous rappelle un passé devenu douloureux.

Commence alors une sorte de road movie qui va emmener Elise sur les routes du monde. La Guyane, la province du côté de Saint-Nazaire et autres,  le plus souvent en occupant des lieux laissés vacants par des propriétaires lui offrant d’en bénéficier.

Et puis, la solitude, de plus en plus pesante et la difficulté à écrire. Alors, le recours à ce dont la technologie de notre temps a rendu plus simple, plus lisse et plus direct : les sites de rencontre et la recherche de partenaires masculins. Hommes d’un soir ou de plusieurs, toujours plus jeunes, souvent de couleur avec le risque implicite et sans doute plus ou moins conscient appelé de tomber amoureuse.

C’est tout cela qu’Elise-Elise nous conte dans une sorte de journal intime qui déroule le fil d’une vie qui finit de se défaire pour reconstruire autre chose ensuite et retrouver le goût de Paris, une fois les charmes plats et bien fades d’une vie provinciale esseulée ou mal accompagnée épuisés.

Elise Fontenaille aime à se raconter. Directement comme ici ou indirectement comme dans « Brûlements » où il était question d’un ancêtre épique. Ce sera bientôt à nouveau le cas dans un livre où il sera question d’un grand-père, le Général Mangin, l’un des bouchers de la guerre de quatorze. « Ma vie précaire » semble avoir été écrit avec une sorte d’urgence et le déséquilibre de son propos narratif n’en est que la traduction, l’accent mis sur la quête d’une sexualité de substitution occupant une place débordante au risque de déplaire à certains lecteurs. Il rend aussi compte de la fragilité de nos vies qu’un accident peut bouleverser profondément, remettre du tout au tout en question. Même si nous ne nous en rendons pas compte, nous vivons tous dans une forme de précarité potentielle qu’il nous appartiendra d’affronter, à notre façon, le moment venu. Pour Elise , ce fut un livre, catalyse d’une errance. Un beau livre, intime et touchant.

Publié aux Editions Calmann-Levy – 2012 – 207 pages