28.9.12

Cosmos incorporated – Maurice G. Dantec



Acceptez de faire fi de tout ce que vous avez pu lire jusqu’ici. Acceptez aussi de vous confronter à un Troisième Temps, un temps qui se déroule en parallèle et qui permet à de rares privilégiés de se translater physiquement et temporellement. Acceptez enfin un verbiage mystico-scientifico-fictionnel et vous serez prêts pour vous confronter à l’un de ces gros pavés un peu verbeux dont Dantec est coutumier.

Si vous aimez la Science Fiction et le paranormal, vous serez servis. Si vous préférez un récit cursif et traditionnel, autant vous recommander de passer votre chemin en faisant un large détour !

Nous sommes dans la première moitié du XXIIe siècle, sur terre. Le monde vient de se relever d’un Djihad qui a embrasé l’Europe pendant près de cinquante ans et qui s’est ensuite propagé au reste de notre planète. Celle-ci est désormais aux mains de l’UMHU, mégastructure policière dominée par les machines. La technologie est à son apogée et a produit des androïdes presqu’aussi vrais que nature. Le temps de vie se monnaye grâce à de multiples implants et cocktails amphétanimés. La police est partout, la liberté sous surveillance étroite. Un « Big Brother is watching you » omniprésent et glauque sur une terre qui part à la dérive et où les dérèglements climatiques sont définitivement avérés.

Un personnage étrange, Plotkine, débarque sur un cosmodrome privé, lieu de trafics et de stupre. Il est là pour assassiner le Maire de la ville. Mais, peu à peu, sa véritable mission va se révéler à lui. Connecté en direct à des anges, en liaison avec d’étranges sectes Chrétiennes hors la loi, doué de pouvoirs supra-normaux, il est là pour mener le monde actuel à sa fin et permettre une renaissance d’une humanité libre, d’une humanité qui s’affranchira du slogan de l’UMHU « Un monde pour tous, un Dieu pour chacun ».

Sur cette trame simplifiée à l’extrême, Dantec se livre à une série d’élucubrations intellectuelles parfois réjouissantes, souvent déroutantes et absconses, presque toujours en référence avec des textes arides théologiques parmi les plus anciens. C’est d’une originalité absolue malheureusement desservie par une tendance à se répéter, une vilaine manie à délayer en en rajoutant à coups de mots inventés et rébarbatifs.

L’intrigue assez solide quoique franchement obscure sauve le livre de ce qui, ailleurs et par un autre auteur, aurait été un naufrage spatial.

Les amoureux d’étrange adoreront sans doute. Pour notre part, nous avons refermé le bouquin avec un profond soupir de soulagement.

Publié aux Editions Albin Michel -569 pages

21.9.12

La femme de l’Allemand – Marie Sizun



Nous avions découvert Marie Sizun dans « Jeux croisés » qui nous avait beaucoup plu et avons éprouvé un réel bonheur de la retrouver avec ce roman publié en Mars 2007.

Pourtant, Marie Sizun n’a pas choisi la facilité en choisissant de traiter de la psychose maniaco-dépressive. Le roman est d’ailleurs assez dur, dérangeant en mettant méthodiquement en scène la maladie qui fait perdre tout repère à l’entourage des personnes qui en sont atteintes. Le style brutal est accentué par le parti-pris de recourir à de très courts chapitres qui traitent de l’essentiel et font alterner les périodes de folie et les répits, plus ou moins longs, pour mieux dépeindre une descente aux enfers inéluctable et tragique.

C’est par les yeux de Marion, entre sept et dix-sept ans, que nous allons suivre les circonvolutions de la maladie de fanny, sa mère. Fanny que l’on désigne comme « La femme de l’Allemand », celle qui à dix-huit ans a fauté avec un bel et jeune officier ennemi dont elle a eu cette enfant.

Marion aime sa mère pour ses bizarreries, pour les secrets qu’elle dissimule et dont elle soulève parfois un coin de voile, pour la façon perspicace qu’elle a de se moquer de tout le monde.

Mais Marion assiste et accompagne sa mère lors de crises de plus en plus graves, totalement destructrices  et qui font éclater tous les repères que les précédentes accalmies avaient contribué à ériger, en même temps qu’un impossible espoir. Plus la maladie progresse, plus les internements psychiatriques s’enchainent, plus Marion va devoir faire des choix : protéger sa mère d’elle-même ou se protéger elle ; accepter l’intolérable, les insultes, les reproches manipulateurs ou se réfugier chez ses grands-parents qui lui offrent le havre de paix dont elle a besoin.

Plus Marion avance en âge, plus elle ressent la nécessité de découvrir qui est cet Allemand inconnu, dont elle ne sait rien qui lui sert de figure de père. Sa mère lui mentant plus ou moins consciemment, il lui est difficile de trouver le chemin de la vérité. Alors, elle finit par s’inventer un père de toutes pièces en découpant la photographie d’un jeune et sympathique officier, pris au hasard, d’un journal rétrospectif.

Le talent de M. Sizun est de nous faire souffrir comme ses personnages, de nous donner à comprendre en quoi chaque choix ferme définitivement une porte derrière lui et enferme les protagonistes dans des univers qui finissent par diverger. Le style vif nous fait descendre au plus profond d’un enfer quotidien qui finira par excuser les décisions prises par les divers protagonistes qui sont toutes plus ou moins conscientes et visant à se protéger de l’insupportable.

Une découverte que nous vous recommandons sans la moindre hésitation.

Publié aux Editions Arléa – 243 pages

15.9.12

Les accommodements raisonnables – Jean-Paul Dubois



Oui, nous aimons beaucoup Jean-Paul Dubois sur Cetalir. Nous l’aimons pour son humour souvent grinçant, son écriture habile parfois légère mais le plus souvent bien travaillée, voire noire, et nous l’aimons pour son chef-d’œuvre « Hommes entre eux ».

C’est pourquoi nous lui pardonnerons « Les accommodements raisonnables » qui se situe à un cran nettement inférieur que ses trois dernières publications même s’il en résulte un livre agréable à lire.
Comme presque toujours chez JP. Dubois, le roman se situe à cheval entre la région de Toulouse et les Etats-Unis, ici Hollywood, la Californie n’étant pas la région américaine que l’auteur affectionne normalement. Comme toujours chez l’auteur, le rapport au père sort de toute norme, le père se posant finalement en une énigme bizarre, inattendue et fondamentalement impossible à supporter. Et comme souvent chez Dubois, nous retrouvons un clin d’œil à une production précédente (ici « La vie me fait peur ») puisque Paul, le narrateur, figure transposé de l’auteur, a épousé Anna, la fille d’un espagnol fondateur d’une société de tondeuses à gazon qui porte le même nom que dans le précédent roman mais provient d’une toute autre origine.

Le livre s’ouvre sur une incontestable réussite littéraire, un petit bijou d’humour noir. Charles, le frère du père de Paul, Alexandre, vient de mourir d’une crise cardiaque dans le siège luxueux d’un coupé Mercedes au moment de l’acheter dans une concession. Charles et Alexandre se sont détestés toute leur vie. Charles fut un homme d’affaires féroce alors qu’Alexandre fut un papiste apparemment introverti. La crémation de Charles se transforme, sous la plume aiguisée de l’auteur, en un moment de ballet comique qui donne l’occasion à Alexandre de se venger une dernière fois de ce frère honni.

Parce que Paul va peu à peu découvrir l’homme véritable qui se cachait sous les apparences d’un père dissimulateur et parce qu’Anna sombre dans une dépression grave qui la conduit à un internement psychiatrique, Paul accepte de partir jouer les script-doctors d’un film minable à la Paramount.
Sur place, il découvre la férocité de l’Amérique, ses injustices radicales, ses règles du jeu. Il y découvre surtout, Selma Chantz, executive assistant du producteur pour lequel Paul travaille, qui se révèle le sosie parfait, trente ans plus jeune, qu’Anna.

C’est sur cette base que Dubois va développer son roman qui lui donne l’occasion de s’en donner à cœur joie contre les mœurs dépravées du show-biz, la tristesse et l’angoisse inhérentes à une vie de paillettes, les ravages de l’alcool et de la drogue. Un roman qui, par la bouche du père qui ne cesse de réveiller son fils en l’appelant au téléphone en pleine nuit, brocarde allègrement Sarkozy et le monde politique français.

Grâce à cette distance qui aplanit les problèmes familiaux de Paul, celui-ci va se reconstruire, accepter le vrai père qui va se dévoiler impudiquement et accepter la femme que son épouse est devenue tout en entretenant une passion ravageuse avec Shelma. C’est ce parcours chaotique, entrecroisé entre des figures qui sont différentes de l’image que Paul en a, qui va constituer la catharsis de l’homme mûr qu’est devenu Paul.

Il y a une réelle émotion dans le soin que Paul apporte à transformer un scenario minable en une œuvre digne d’être tournée par un réalisateur abandonné depuis longtemps, devenu peu à peu confident et ami et à qui il va ainsi redonner vie. C’est ce qui donne un côté humain à un roman par ailleurs féroce.
On sourit souvent, on savoure avec plaisir un roman sympathique et qui fait passer un bon moment, mais on reste sur sa faim, honnêtement.

Publié aux Editions de l’Olivier – 261 pages

8.9.12

Homer & Langley – E.L. Doctorow



Avec son côté décapant prenant l’image – de plus en plus écornée – de l’Amérique glorieuse à rebrousse-poil, Doctorow nous livre ici une version romancée d’une histoire vraie. Dans les années trente, les frères Homer & Langley Collyer défrayèrent la chronique et furent retrouvés morts en 1947, étouffés par les amoncellements de détritus, de journaux et d’objets divers accumulés dans leur hôtel particulier new-yorkais sur la cinquième avenue. 

En décalant dans le temps leur histoire, la faisant commencer au début du vingtième siècle et se terminer au milieu des années soixante-dix, Doctorow crée ici deux témoins majeurs et quasi prophétiques d’une Amérique de plus en plus isolée et qui connaît une décrépitude accélérée.

Il faut dire que les deux frères mis en scène par l’auteur sont des personnages marqués par le destin et par leur époque, chacun à sa façon. Langley, brillant diplômé de Columbia, fut envoyé sur le front de la première guerre mondiale. Il en revint gazé, souffreteux, toutes illusions perdues au point d’en faire un être aigri et toujours en train de courir après de nouvelles chimères. Il y retrouva son frère Homer devenu aveugle par maladie à l’âge de vingt ans. Un frère qui va bientôt entièrement dépendre de lui après le décès de leurs deux parents en 1920 frappés par l’épidémie de grippe espagnole.

Entre un original rêvant de créer un journal unique agrégeant toutes les nouvelles essentielles du monde, sorte de google news version papier avant l’heure, et un aveugle passionné de musique et pianiste éclairé, la fratrie va bientôt manquer de repères et s’enfoncer lentement mais sûrement vers une déchéance qui en fera les parias des beaux quartiers de Big Apple.

Pendant que Langley accumule compulsivement une collection hétéroclite d’objets à l’état de rebuts, Homer s’enfonce de plus en plus vers un isolement qui en fait le témoin conscient mais réservé de la folie de son frère devenue le miroir de celle du monde qui les entoure. Chaque initiative de leur part pour créer du lien social et s’ouvrir au monde, comme ces thés dansants devenus un temps le point de rencontre de la bourgeoisie, se heurte bientôt à l’hostilité de la personne publique manipulée par le souci du voisinage de protéger leur quiétude et leur exclusivité. Si bien que peu à peu, c’est un climat paranoïaque qui s’instaure, poussant les deux frères à se replier sur eux-mêmes, à chasser de la maison le personnel, à fermer toutes les fenêtres sous de lourds volets, à condamner les portes et à bouter tout représentant d’une quelconque autorité quitte à vivre dans un inconfort de plus en plus manifeste.

Année après année, nous observons en quoi les amitiés se défont, les loyautés se délitent en même temps que l’avarice de Langley pousse les deux frères à prendre des mesures qui en font des originaux tolérés puis des bohèmes encombrants avant que de devenir des hippies puis des clochards par conviction et dérive inconsciente d’une nature et d’une psychologie fortement perturbées par un monde dans lequel ils ne se reconnaissent plus.

Et pendant ce temps, l’Amérique s’enfonce dans une conquête frénétique d’argent et de pouvoir en même temps qu’elle accumule les revers politiques, militaires ou économiques.

En donnant la parole à Homer, Doctorow fait de son roman une sorte de commentaire éclairé, caustique et sans concession, perçu avec une acuité que la perte des sens usuels rend exacerbée d’un pays qui s’enfonce sous son propre poids de folie et d’accumulation frénétique. Il signe alors un roman d’une grande force, très attachant et magnifiquement écrit.

Publié aux Editions Actes Sud – 2012 – 229 pages

7.9.12

Ni d’Eve ni d’Adam – Amélie Nothomb



Ce livre constitue une œuvre totalement à part de la production de la très célèbre Amélie Nothomb. Celle-ci quitte son monde habituel de folie et de violence pour se confier sans concession, avec ce qui semble être une grande authenticité, sur ces quelques années passées au Japon, vers l’âge de vingt ans. Et plus particulièrement encore sur son histoire d’amour avec Rinri, ce beau Japonais discret, riche, attentionné et délicat.

En fait, s’agit-il vraiment d’une histoire d’amour ? Rien n’est simple avec A. Nothomb. Elle prend le risque réel d’avouer sans pudeur qu’elle n’a jamais aimé Rinri en tant que tel, qu’elle n’a jamais été amoureuse de lui alors qu’elle savait que lui l’était authentiquement. Ce qu’elle a aimé en ce jeune homme, c’est sa présence, sa douceur, son infinie patience à lui faire comprendre un pays et une langue qui avaient marqué sa petite enfance et qu’elle voulait à toutes fins retrouver, comme elle aura aimé constater les progrès de son amant à posséder et manier de mieux en mieux notre propre langue.
On prendra en l’état sa justification étayée pour avoir largué son amant d’une façon que beaucoup considéreront, et j’en suis, comme étant particulièrement inélégante. Une fois de plus, rien n’est simple avec cette jeune femme…

Grâce à une bonne dose d’humour décapant et à une authentique auto-dérision, on prend un plaisir véritable à suivre Amélie dans son apprentissage étonné et parsemé d’embûches d’une culture et d’une société qui n’ont que peu à voir avec les us occidentaux . Pour moi qui me rends fréquemment là-bas pour affaires, j’y ai retrouvé ces interrogations muettes face à des scènes ou des comportements inexplicables si personne ne vous en donne les codes. Il en résulte parfois de savoureux ou de fâcheux quiproquos.

Le livre contient aussi quelques pages sublimes sur l’importance du milieu naturel au pays du soleil levant, sur le culte voué au Mont Fuji et, plus généralement, sur l’ivresse et le danger que la montagne sait procurer à l’auteur. On est captés par l’habileté et la facilité avec laquelle l’auteur nous entraine dans ses folles escapades.

Ce livre est indispensable pour mieux comprendre la psychologie de l’auteur et aborder son univers littéraire brillant et déjanté.

Publié aux Editions Albin Michel – 245 pages

1.9.12

Effacement – Percival Everett



Quelle attitude prendre quand, en tant qu’écrivain, on s’est commis à écrire une fiction qu’en tous points on abhorre ? C’est à cette question complexe que Percival Everett s’attelle avec une maestria remarquable dans un livre aux multiples niveaux de construction et de lecture.

Theolonious Monk Ellison est un écrivain noir issu de la classe moyenne supérieure afro-américaine. Par bien des côtés (le métier choisi, le prénom inhabituel, la spécialisation dans la linguistique et l’analyse littéraire contemporaine et bien sûr la race), « Monk » est sans doute une auto-projection de l’auteur lui-même.

Monk est un écrivain exigeant, spécialiste de Barthe, Foucault et d’une façon générale des artistes qui ont constitué l’avant-garde des années soixante-dix. C’est aussi un écrivain frustré de n’avoir jamais été reconnu pour ses nombreuses œuvres trop pointues et qui, souvent, puisent leur inspiration dans l’antiquité pour remettre en scène des philosophes qui débattent avec passion de thèmes actuels.
Monk vit seul et s’évade en pêchant la truite en ruisseau et en travaillant le bois. Parce que sa mère, veuve, devient peu à peu sénile, que son frère aîné vit un divorce houleux après avoir révélé son homosexualité à son épouse et à ses enfants et que sa sœur, médecin, se fait brutalement assassiner par des ultra anti-avortements, Monk va devoir du jour au lendemain assumer seul la charge physique et financière d’une famille incapable de s’en sortir par elle-même.

Pressé par l’urgence financière, acculé par son agent à sortir un livre qui le rapproche enfin d’un lectorat plus large à l’instar d’un roman moins abscons publié à ses débuts et qui lui avait valu un certain succès, Monk décide par dérision et par colère de rédiger un roman dans la veine du best-seller du moment. Un roman réaliste, écrit dans la langue des ghettos noirs, à la violence aveugle, nul littérairement.
Comme ce modèle qui représente tout ce qu’il déteste au plus haut point, le livre de Theolonious, de pure fiction, met en scène un jeune afro-américain dont le seul langage est celui des pulsions animales : la faim, le sexe, la lutte et la violence à l’état pur. Un livre écrit dans une sous-langue qui va à l’opposé des théories alambiquées dont Theolonious est le spécialiste. Et, parce qu’il ne peut assumer la paternité de cet ouvrage, il signe ce roman sous un pseudonyme d’un auteur fictif ex-taulard et gros dur.

Contre toute attente, ce roman est immédiatement accepté, les droits acquis pour des montants astronomiques sans compter ceux des droits d’adaptation cinématographique. Monk, alias Theolonious, alias Stagg Leigh, va devoir alors emprunter la personnalité d’un être inexistant, se fondre dans la peau de l’ennemi, renier ce qu’il a fait ce qu’il est car il ne peut pas se priver de cette manne financière.
La performance de l’ouvrage est multiple. Elle réside tout d’abord dans l’incroyable maîtrise dont fait preuve Everett en nous livrant des textes qui coexistent et se nourrissent les uns des autres de trois niveaux de langage. Le roman démarre en multipliant les concepts linguistiques et se situe volontairement à un niveau quasi inintelligible pour bien marquer le fossé qui sépare Theolonious de la réalité mais aussi le plaisir qu’il prend à retourner les concepts contre les universitaires qui ne l’ont jamais vraiment toléré parmi eux fondamentalement du fait de sa couleur de peau.

Puis, le corps du roman, celui qui décrit « Monk », celui qu’il est devenu grâce à l’amour d’un père juste et un peu inaccessible et secret s’inscrit lui dans une trame narrative qui fait d’incessants aller-retours entre l’enfance et l’âge adulte, celui du rêve et la dure confrontation de la réalité d’une mère qu’un Alzheimer a frappé, d’une sœur adorée assassinée, d’un frère aîné qui s’enferme dans une paranoïa définitive, de sa propre incapacité à savoir aimer et se faire aimer.

Enfin, un tiers du roman est consacré à la lecture du roman réaliste afro-américain. Or, il ne s’agit pas d’une sous-œuvre mais bien d’un livre dans le livre qui force l’admiration par sa brutalité et son style en décalage total avec les deux autres niveaux.

De là découle un jeu littéraire permanent entre ces trois niveaux, ces trois sous-personnages tous constitutifs de celui qui est devenu Theolonious, l’écrivain pointu, Monk le petit noir craintif et replié sur lui-même et Stagg le gros dur qui fait trembler les petits blancs.

En outre, de très courtes scénettes faisant appel à des personnages historiques engageant un court dialogue onirique, s’intercalent entre ces divers niveaux et donnent à éclairer le passé ou l’avenir de l’auteur.

Bien sûr ce tripode, parce qu’il est aux antipodes de ce que Theolonious est, finira par éclater et Everett se régalera à faire voler en éclats le petit monde feutré des lettres et des prix littéraires.

Il en résulte un livre d’une extrême finesse, en tous points remarquables.

Publié aux Editions Actes Sud – 366 pages