4.10.12

Journal d’un corps – Daniel Pennac


 
Tenir un journal intime sans presque jamais parler de ce que l’on vit, de ce qui se passe autour de soi, de ce que l’on est et devient autrement qu’à travers l’introspection de son corps, tel est le pari osé, et réussi,  de Daniel Pennac.

De Septembre 1936 à Octobre 2010, quelques jours avant son décès à l’âge de 87 ans, un homme dont nous ne savons quasiment rien de la carrière et de sa vie sociale que ce qui est strictement nécessaire à la compréhension de ce qu’il écrit, entreprend de coucher d’une écriture de notaire, héritage d’un père gazé à la guerre de quatorze et mort très jeune, ce dont son corps se fait l’écho et le réceptacle.

Maladies infantiles, terreurs induites par une mère castratrice et à moitié folle, anorexie poussée à son extrême limite, telles sont les premières expériences entreprises et ressenties par ce corps d’enfant trop tôt orphelin, mal aimé, trop sensible et trop intelligent. Bref, bien mal parti dans la vie.

Une fois pris en charge par un oncle et une tante agriculteurs, en même temps qu’arrive l’adolescence survient la prise progressive de confiance en soi malgré un corps qui peut trahir à coups de pollutions nocturnes avant que de goûter avec outrance aux joies d’un onanisme de plus en plus sophistiqué.

On le comprendra bien vite, rien ne nous sera épargné dans ces confessions. Les joies et les peines d’un corps qui se façonne, se transforme puis s’étiole l’âge venant deviennent les marqueurs d’une chronique personnelle qui se fond modestement dans la grande Histoire. Des exploits en tant que jeune résistant, on ne saura pas grand-chose si ce n’est qu’ils permirent, la libération venue et par un concours de circonstances, de perdre son pucelage en guise de cadeau d’anniversaire de la part d’une belle ex-partisane québécoise. De l’ascension dans les sphères de la Haute Administration il ne sera question que lorsque le corps trahira vraiment pour la première fois conduisant à une hospitalisation afin de stopper des saignements de nez incessants qui menacent d’emporter notre homme.

Ce que nous dit Pennac ici avec une pudeur, une simplicité, une authenticité de quelqu’un dont on comprend qu’il a dû passer une partie de sa vie à écouter son corps comme un hypocondriaque avaricieux thésaurisant les moindres impressions, sentiments, joies et détraquements, c’est que tout ce que nous sommes, nous le sommes avant tout à travers un corps qui écoute, voit, sent et ressent. Une formidable machine dont on fait peu de cas aussi longtemps qu’elle ne se détraque puis que l’on passera à regretter lorsqu’il sera trop tard.

Cela aurait pu être vulgaire, lassant et répétitif. Pennac en fait au contraire un livre d’une hauteur incroyable, pudique et sincère, sans cesse renouvelé au gré du temps qui passe. C’est bien simple, une fois commencé, il devient très difficile de lâcher ce long journal d’une vie d’un homme dont nous savons tout et presque rien à la fois, comme la trace que la plupart de nous finira par laisser le moment venu de rendre définitivement les â(r)mes.

Publié aux Editions Gallimard – 2012 – 400 pages