5.10.12

Pianissimo Pianissimo – Hitonari Tsuji



Le dernier roman du grand écrivain japonais que nous admirons dans Cetalir constitue une œuvre absolument à part de tout le reste de sa production antérieure. C’est une œuvre étrange, dérangeante, un voyage aux limites du conscient et de l’inconscient qu’il convient de découvrir lentement, par petites touches, d’où sans doute le choix d’un titre inattendu.

Hitonari Tsuji cherche délibérément à semer la confusion dans l’esprit de son lecteur dans un parcours qui multiplie les glissandi entre la schizophrénie, le rêve éveillé, la production onirique inconsciente et le monde perçu comme réel. Car en fait, c’est bien la question de la réalité qui est au centre de ce roman. En superposant des scènes hyperboliques dont on ne sait jamais vraiment si elle participe du cauchemar du personnage principal, d’une terreur enfouie, du refoulement des désirs coupables ou tout simplement de la vie quotidienne, l’auteur cherche à nous montrer que toute réalité est par définition subjective et qu’elle participe d’une projection de notre inconscient.

Au centre du roman, comme souvent chez Tsuji, se trouve la mort violente. Tôru, un jeune adolescent de douze  ans, mène jusqu’ici la vie normale et surmenée d’un élève typique tokyoïte. A ceci près que Tôru est scolarisé dans un établissement où une jeune fille fut assassinée trois ans plus tôt, sans que l’auteur de son crime ne fût démasqué.

Tôru vit en permanence avec Hikaru, être espiègle, moqueur, pourfendeur des conventions. C’est Hikaru qui toujours l’enjoint de voir la nullité de ses parents, qu’il nomme ses Beurks, leur détestation mutuelle, l’infidélité de sa mère. Peu à peu, nous comprendrons qu’Hikaru est le double de Tôru, son double schizophrène qui pousse Tôru à commettre des actes de plus en plus incompréhensibles pour son autre lui-même comme pour son entourage.

Cette schizophrénie va se développer au fur et à mesure que de nouveaux crimes vont se perpétrer dans le collège, toujours sans être élucidés. Chacun de ces crimes est annoncé par « la grisaille », la chape de plomb qui recouvre la capitale japonaise, allégorie d’une société perçue par la jeunesse nipponne comme sans espoir, sans joie, déprimante et oppressante.

Tôru au fur et à mesure de ses pérégrinations va rencontrer des personnages étranges. Une jeune fille lugubre qui la met en garde contre les dangers imminents, un homme mi Dieu, mi Chien qui projette sur un mur d’écran les images de l’école et les plus beaux moments du vivant des victimes qu’il a sélectionnées.

Tôru va surtout se lier d’une amitié de plus en plus fusionnelle avec un jeune garçon habillé en jupe, objet des railleries de ses camarades et qui, lui aussi, est porteur d’un mystère qu’il finira par lui dévoiler, l’un puisant en l’autre la force d’assumer ce qu’il est vraiment.

De façon générale, Tsuji choisit de positionner son récit dans un monde gris le jour, où le soleil ne fait que de rares apparitions, et ponctué par des descentes dans les caves de l’enfer situées justes en-dessous de cette école maudite. C’est le mythe d’Orphée revisité, Tôru échappant de peu à la mort et revenant au monde des vivants pour annoncer l’au-delà à un monde qui ne peut ni ne veut le croire. C’est aussi le voyage d’un jeune homme de l’enfance vers l’adolescence, la préparation au monde des adultes si dur, si destructeur au pays du Soleil Levant.

On sort bouleversé et profondément dérangé de ce livre qui vous marque pour longtemps.

Publié aux Editions Phébus – 333 pages