6.1.13

La maison où je suis mort autrefois – Keigo Higashino



La littérature japonaise contemporaine est riche d’écrivains dont le dénominateur commun est de créer un espace romanesque où la réalité semble toujours voilée par une part d’obscurité et une sorte de confusion entretenue par de dangereuses liaisons avec un monde sombre et fantastique, parfois au point d’en devenir morbide. Haruki et Ryû Murakami (qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre), Yoko Ogawa ou bien encore à Akira Yoshimura en sont des représentants à divers titres.

A cette liste prestigieuse il conviendra aussi d’ajouter Keigo Higashino, considéré comme une des figures majeures du roman policier japonais contemporain. Le livre dont il est question ici, avec son bien étrange titre qui dérange, « La maison où je suis mort autrefois », a d’ailleurs reçu le Prix Polar International de Cognac en 2010.

D’une manière assez fascinante, Keigo Higashino y explore les raisons pour lesquelles un individu peut se retrouver frappé d’amnésie. On sait que, souvent, l’origine en est un choc intense et que le cerveau fabrique alors une stratégie de défense efficace en verrouillant l’accès aux informations susceptibles de faire resurgir une souffrance intense voire insupportable.

L’amnésie est précisément l’un des troubles dont souffre une jeune femme, Sayaka Kurahashi. Mariée depuis peu à un homme toujours absent, elle est la mère d’une petite fille dont on vient de lui retirer la responsabilité pour raison de maltraitance. Sayaka ne pouvait s’empêcher, compulsivement, d’infliger toujours plus de souffrance à son enfant sans être capable d’expliquer les raisons de ses gestes qu’elle regrette profondément.

A la mort de son père, elle reçoit une clé accompagnée d’un plan. Une invitation presque explicite à aller se rendre là où cette clé devrait permettre d’ouvrir une porte dont elle pressent qu’elle dissimule les secrets de ses propres souffrances. N’osant s’y rendre seule, elle force la main à son ex petit ami avec qui elle avait rompu brutalement il y a sept ans, pour l’accompagner sur place.

Lorsque Sayaka et son ami pénètrent dans la maison dont la clé donne accès, ils découvrent un espace inhabité depuis près de trente ans mais dans lequel  se trouvent d’étranges éléments (un journal intime d’un enfant, des costumes d’adulte, des lettres, un télescope, des pendules toutes arrêtées à la même heure…) qui invitent à décoder ce qui apparaît peu à peu comme une sorte de gigantesque mise en scène.

Commence alors une enquête où, pas à pas, entre la logique du jeune homme et les surgissements d’images remontant du passé de Sayaka, une terrible explication va permettre de comprendre ce qui s’est passé autrefois et éclairer, du coup, le mal-être de Sayaka.

K. Higashimo mène son récit de main de maître, semant des indices ici et là auquel le lecteur ferait bien d’être attentif. C’est d’ailleurs aussi la principale limite de ce roman par ailleurs parfaitement ficelé que de faire surgir des informations étranges qu’un lecteur de polar aura tôt fait de détecter comme essentielles voire de décoder tandis que le petit couple d’enquêteurs semble, pour un temps du moins, passer à côté.

Mais cela n’empêchera pas de dévorer un livre qui se lira quasiment d’une seule traite et laissera un certain sentiment de malaise du fait des thèmes qu’il abordera.

Publié aux Editions Babel Noir – Actes Sud – 2010 - 254 pages

Merci à Marie-Noëlle Rolland de la librairie Lirenval de St Rémy les Chevreuses d’avoir mis cet exemplaire à notre disposition dans le cadre de la sélection du Prix Michel Tournier.