10.2.13

L’armée furieuse – Fred Vargas



Entrer dans un roman de la spécialiste du polar qu’est Fred Vargas c’est prendre deux risques : celui de se confronter à la plus totale invraisemblance, ce qui fera fuir les rationnels, et celui, pour les fans, de ne pas lâcher le roman trop désireux de savoir où nous mènera une fois de plus la romancière inventive.  C’est une limite quasi endogène du style Vargas.

L’auteur aime camper très vite son action et ce n’est pas la séquence introductive à la fois troublante et tendre d’un meurtre à la mie de pain qui va faillir à la tradition. Pour  l’éternel commissaire Adamsberg, venu remplacer un collègue grippé, ce qui a tout l’air d’être la mort naturelle d’une vieille dame a des relents de vengeance assouvie de manière presque virtuose par un petit vieux cruciverbiste chevronné et fatigué de sa bonne femme maniaque. Il ne mettra pas longtemps à démasquer celui qui aura pourtant imaginé une mise en scène quasi imparable. Le ton est donné et notre flic qui fonctionne à l’instinct, sans méthode n’a pas perdu la main.

Mais, l’action commencera vraiment lorsque une improbable provinciale, la mère Vendermot, sortie pour la première fois de sa vie de sa Normandie profonde, viendra le trouver pour lui dire que sa fille vient de voir passer l’Armée Furieuse et que quatre autochtones vont y laisser leur vie et leur âme. Une armée surgie tout droit du XIème siècle, faite de seigneurs et de fantômes qui se promènent nuitamment sans cesse dans le Nord de l’Europe sur des petits chemins frappant régulièrement de morts violentes et moyenâgeuses ceux qu’elle aura fait désigner par un tiers seul capable de voir passer la cohorte et ses victimes prochaines. Un conte à dormir debout suffisamment tordu pour qu’Adamsberg décide d’aller y jeter un œil.

Commencera alors une longue et double enquête. D’un côté, celle d’un incendie de voiture dans lequel un riche industriel s’est fait carboniser et où le coupable désigné d’avance ne pourra pour Adamsberg en aucun cas être celui que l’on croit. De l’autre, celle d’une série de meurtres atroces sur des personnages peu reluisants de ce petit village normand secoué par bien des jalousies et des secrets enfouis que le commissaire entend bien remuer pour arriver à ses fins.

Vargas aime à nous décrire à sa façon notre société décadente. Dans ce commissariat parisien écrasé de chaleur et de relatif ennui, il semble qu’on ait entassé tout ce que l’institution compte de flics improbables : un inspecteur frappé de la maladie du sommeil, un commandant alcoolique et hypermnésique, une géante capable de la plus grande douceur comme d’une rapidité d’action foudroyante n’en sont que quelques exemples. Quant au village, ce n’est guère mieux. La famille Vendermot concentre des individus hors du commun dont l’étrangeté ne peut que les frapper d’ostracisme et le village semble placé sous la double autorité d’un vieux comte au bras long et d’un capitaine de gendarmerie incompétent, guindé et descendant d’un Maréchal d’Empire.

C’est ce mélange des genres et des figures hautes en couleur qui fait le principal intérêt d’un roman dont le glauque fait appel à la peur et l’inconscient collectifs, à un mélange explosif et nauséabond de vieilles croyances et de dissimulations propres à déclencher tous les excès dont, quelqu’un forcément, a tout intérêt à tirer parti. C’est cela qu’Adamberg, agissant sur des coups de tête, des fulgurances, des impressions, jouant sans cesse avec les règles et les lignes finira bien entendu par démasquer.

Tout cela est bien fait mas véritablement trop invraisemblable pour emporter une adhésion sans réserve. Seuls, sans doute, les aficionados de Vargas apprécieront…

Publié aux Editions Viviane Hamy – 2011 – 427 pages