9.2.13

Le vent de la lune – Antonio Munoz Molina



Molina est l’un des plus grands auteurs espagnols contemporains, l’un des plus poétiques et introvertis, loin de l’emphase picaresque d’un Arumburia ou d’un De la Puerta. Vous trouverez les notes de lecture de certains de ses romans dans Cetalir « « L’hiver à Lisbonne », « Une ardeur guerrière », « En l’absence de Bianca », « Fenêtres de Manhattan »).

« Le vent de la lune » est paru en 2006 en Espagne et en 2008 en France. C’est à mon sens, son œuvre la plus personnelle, celle qui mêle assurément des souvenirs d’enfance à un devoir de création littéraire.

Etant de la même génération que l’auteur, j’ai été comme lui profondément marqué par cette extraordinaire aventure que fut la conquête de la lune concrétisée par la mission Apollo XI. Avec mes parents, jeune garçon de moins de dix ans, en vacances dans une pauvre ferme du Lot, j’ai assisté ébahi et un peu endormi au premier pas d’Armstrong sur ce satellite de la Terre, le vingt juillet 1969.
C’est cet événement symbolique d’une rupture technologique, celle qui nous a précipité dans une société dominée par l’électronique, les mathématiques et la physique, celle où chaque année nous repoussons d’un nouveau cran les limites de l’esprit humain, qui sert de trame à ce roman envoûtant et lyrique. Un événement qui a ébranlé les convictions religieuses aussi, les adultes espérant trouver Dieu en orbite autour de notre planète.

Dans la petite ville andalouse de Magina, un adolescent qu’on dirait aujourd’hui surdoué suit avec passion les différentes missions Apollo. Il est obnubilé par la plus belle, Apollo XI. Fils d’une famille pauvre et ruinée par la guerre civile qui fit des ravages dans le village, il lui faut subir les assauts d’un père qui se lève avant l’aube et se couche au chant du coq pour s’occuper d’un jardin dont il vend les fruits et légumes goûteux au petit matin.

Parce qu’il est rêveur et qu’il sent confusément le besoin de fuir un monde familial qui n’est pas le sien, ce jeune homme se réfugie dans la lecture des traités d’astronomie. Il cherche dans la science qui progresse alors à grands pas l’explication d’un monde qui vit la fin du Franquisme et le bientôt brutal basculement de l’Espagne dans une Europe moderne.

La fin d’un monde symbolisée par l’agonie de Balthazar, un riche et avaricieux voisin, qui a su intriguer du temps de la guerre civile pour accaparer les oliveraies et envoyer à une mort certaine les gêneurs. La fin d’un monde symbolisée aussi par des prêtes dont la seule mission est de happer les plus brillants élèves de ses écoles pour les convaincre d’un appel divin et perpétuer le pouvoir de l’Ordre.

Le roman se situe dans un glissement continu et progressif du temps, une succession de fondus-enchaînés entre ces mutations que le jeune homme pressent et celles qu’il observe, trente ou quarante plus tard, devenu adulte. Une mutation qu’il sent aussi avec violence dans son corps couvert de boutons et  agité des « pollutions nocturnes », honteuses et fulgurantes, que la moindre image d’une femme souvent issue d’un roman ou d’un film censuré, ne manquera pas de provoquer.

On se laisse emporter par cette lente et douce inversion du temps, par cette nostalgie rêveuse d’un homme qui assiste à la mutation d’une époque tout en restant ancré dans ses rêves.

Un des plus beaux romans de Molina et l’un des plus maîtrisés, aussi.

Publié aux Editions Seuil – 298 pages