22.5.13

Bonita Avenue - Peter Buwalda


 
Pour un premier roman, l’écrivain néerlandais Peter Buwalda n’a manqué ni d’ambition, ni de culot, ni surtout de talent. Il nous mène de main de maître dans un récit qui nous fait descendre au tréfonds des âmes humaines, remuant la vase nauséabonde, amenant ses personnages aux confins de leurs démons tout en maintenant un suspense sur les causes d’un suicide annoncé dès les premières pages du livre.

Pourquoi Siem Sigerius s’est-il donné la mort ? Telle est la question qui hante le roman de bout en bout. Il avait tout a priori pour être heureux. Champion de judo, génie des mathématiques, détenteur d’une médaille Field, ancien recteur de l’université de la ville néerlandaise d’Enschede, il vient d’être nommé Ministre de l’Education Nationale et est au sommet de sa réussite sociale. Remarié à une Tineke avec laquelle il vit depuis près de vingt ans, il aime ses deux belles-filles comme si elles étaient ses propres enfants.

Pourtant, derrière les apparences se dissimulent des fissures, des doutes qui, une fois insérés, vont conduire leur chemin, de plus en plus profondément, de manière inéluctable comme un coin enfoncé dans une souche en produira l’éclatement.

L’apparence : voici bien ce qui structure  véritablement ce roman aux facettes multiples tant celles et ceux qui se dissimulent dans l’ombre de leurs propres personnages vont révéler ceux qu’ils sont véritablement, au fur et à mesure que le récit progresse et que l’auteur resserre des cercles concentriques de plus en plus étroits autour d’eux. Au premier regard, tout semble normal. Une famille sans histoire, connue, socialement établie et respectée.

Pourtant, Siem a un fils d’un premier mariage, exclu de sa vie depuis son emprisonnement pour assassinat. Sa belle-fille aînée, Joni, se livre dans des postures pornographiques sur un site privé et payant auquel Siem est abonné pour oublier une liaison non consommée avec une étudiante et une sexualité quasi inexistante. Son épouse s’enferme de longues heures dans son atelier, se mure dans un silence et son mal-être se traduit dans une prise de poids inexorable qui la transforme en une sorte de mastodonte. Le petit ami de Joni est en proie à une schizophrénie effrayante. Seule la plus jeune fille, discrète, paraît vivre de façon véritablement normale et anonyme.

Toutes ces faces cachées vont exploser en même temps que l’incendie d’un dépôt de feux d’artifice de la ville la dévastera. Une fois lancée, une mécanique infernale se mettra alors en branle emmêlant de façon effrayante pornographie, morts violentes, folie, mensonges, dissimulations et manipulations.

Alors la plume de Buwalda se fera de plus en plus brutale, plongera dans une encre rouge sang sans nous épargner le moindre détail, la plus petite horreur d’une famille qui a définitivement perdu son innocence, celle du temps où Siem fut professeur à Palo Alto et où tous vivaient aimablement, sans histoires dans une belle villa à Bonita Avenue.

Il est certain que ce roman, malgré ses longueurs ici ou là, marquera durablement ses lecteurs par sa construction complexe et habile, sa noirceur, la profondeur de son analyse psychologique, la maîtrise du style et de la langue jusqu’à ce qu’elle a de plus crû. Un roman qui dérangera et mettra mal à l’aise. Un coup de maître, vraiment !

Publié aux Editions Actes Sud – 2013 – 514 pages