10.5.13

Le tigre blanc – Aravind Adiga



Voici un roman inattendu qui constitue une bonne opportunité pour se confronter à la littérature indienne contemporaine.

Saisissant le prétexte d’une prétendue visite officielle du Premier Ministre chinois, l’auteur, qui emprunte l’identité d’un entrepreneur de la grande technopole du Sud de Bangalore, décide de conter à l’hôte officiel ce qui est la véritable identité de l’Inde. En six nuits consécutives passées seul dans son grand bureau orné, comme il en rêva toujours, d’un lustre à pampilles, notre entrepreneur va utiliser sa propre histoire pour décrire par le menu les nombreux travers d’une société qui hésite entre traditions et modernité.

Avec beaucoup d’humour et d’autodérision pour sa propre nation, A. Adiga va se lancer dans une description acerbe et sans concessions de la corruption généralisée qui règne en maître absolu, du chaos total et systématique qui ne manque pas de saisir le visiteur oriental à peine le pied posé dans le moindre aéroport indien, du délabrement complet des infrastructures routières sans parler de la quasi inexistence du traitement des eaux. Malgré cela, les gratte-ciels poussent comme des petits pains mais l’infrastructure ne suit pas, loin s’en faut.

Pour survivre aux maladies, à l’indigence, aux mafieux locaux qui exploitent les plus pauvres d’entre les pauvres, il faut à la fois du courage, une volonté farouche et un sens de la débrouillardise hors du commun. Toutes choses dont ne manque pas cet entrepreneur qui, comme nous l’apprendrons très vite dans ce roman, n’a pas hésité à tuer son Maître pour gagner la liberté, à commencer par celle d’entreprendre en vue de s’enrichir, coûte que coûte, y compris au prix de la vie des siens, et au plus vite.

L’humour un rien décalé (influence british oblige !) permet presque d’accepter sans juger cette forme d’auto-confession en forme de témoignage et de s’accommoder des situations les plus scabreuses ou révoltantes. On en viendrait quasiment à éprouver un peu de sympathie pour l’entrepreneur, ce « Tigre Blanc », c’est-à-dire cet animal rare dont un seul exemplaire existe par génération, lui, l’exception qui a su émerger du bourbier de plus d’un milliard d’individus parmi les plus pauvres de cette planète.

D’ailleurs l’auteur semble presque résigné sur la situation de son pays. Pour y avoir séjourné à des fins professionnelles et travailler avec des équipes locales, je vous confirme que ce pays est un cauchemar absolu pour ce qui est de l’efficacité, de la productivité, voire de l’honnêteté… Sans parler de la salubrité, terme banni des dictionnaires locaux. On retrouve tout cela brillamment exposé dans ce roman à découvrir et à méditer, que l’on envisage, ou non, un périple sur le sous-continent.

Publié aux Editions Buchet Castel  - 320 pages