10.8.13

Loin de Chandigarh – Tarun Tejpal


Tenter de donner l’essentiel de la trame romanesque de « Loin de Chandigarh » est sans doute aussi vain que de vouloir résumer le Maha barata. Et d’ailleurs, cela n’aurait aucun sens.

Avec ce premier roman, le journaliste Tarun Tejpal allait marquer une entrée fracassante dans le paysage littéraire indien contemporain, entrée confirmée depuis avec deux autres romans aussi magistraux, démesurés et fascinants que ce premier opus (voir « L’histoire de mes assassins » puis « La vallée des masques »).
« Loin de Chandigarh », comme toutes les œuvres à suivre de l’auteur, est un roman aux multiples facettes. C’est tout d’abord une suite d’histoires d’amour passionnel, un hymne aux joies des corps qui se découvrent, s’auscultent, s’explorent et s’interpénètrent sous toutes les formes possibles et imaginables. L’érotisme y est constant et les scènes de sexe décrites de façon extrêmement crûes, précises au point que l’on se croit parfois en train d’assister en spectateur pervers aux ébats qui parsèment ce roman souvent sulfureux.

C’est aussi, et surtout, l’histoire de l’Inde, celle du basculement en trois ou quatre générations d’un sous-continent aux traditions millénaires, encore dans une sorte de moyen-âge, riche d’un foisonnement de cultures, de cultures et de langues, d’un statut de colonie sous domination britannique à celui d’une puissance nucléaire ayant à la fois un pied dans la plus extrême modernité et l’autre encore fermement ancré dans ce que l’humanité est capable de produire de pire.
En suivant le parcours de ce couple qui vécut une histoire d’amour passionnel mais dont nous apprenons très tôt qu’il vient d’exploser, c’est toute l’inde de ces cent dernières années que fait défiler Tejpal.

Celle du temps où les maharadjas vivaient encore dans leur splendeur et une insolente opulence, maintenant les populations locales sous leur coupe dans un esclavage quasi absolu, confisquant le produit des récoltes, les filles et les hommes les plus beaux pour leur seul et unique bon plaisir, le tout sous le regard complaisant de l’occupant qui savait diviser pour mieux régner.
Celle de la montée de Ghandi, du rêve puis de la conquête de l’Indépendance avant que, celle-ci chèrement acquise, ne finisse déliquescente entre les mains d’une famille n’ayant ni le charisme, ni les capacités du frêle bonhomme qui fit basculer le monde.

Celle des explosions régulières de violence qui agitent ce pays sans cesse parcouru des spasmes des intégrismes religieux, des tensions entre communautés exacerbées par le détournement des richesses au profit de minorités.
Celle de la capitale New Dehli, abrutissante de bruit, de crasse, de poussière, de pollution et d’embouteillages dantesques, mal endémique qui obstrue la moindre chaussée du plus petit village traversé où que l’on se trouve dans ce pays tentaculaire.

On pourra lire ce livre époustouflant pour sa trame romanesque, pour les multiples récits qu’il contient et que l’on pourra voir comme de longues digressions ou comme des romans dans le roman. Il sera encore plus intéressant de le lire pour cela en conservant en tête que toutes ces histoires sont  au fond autant d’allégories permettant de dépeindre un pays dont on n’a jamais fini de faire le tour et qui échappera à celui qui tenterait de le réduire à une entité simplement rationnelle. Un tour de force littéraire servi par une écriture éblouissante !

Publié aux Editions Buchet Chastel – 2005 – 678 pages