14.9.13

La course au mouton sauvage – Haruki Murakami



« La course au mouton sauvage » fut le premier roman de Murakami publié en France, en 1990. Il vient faire l’objet d’une réédition opportune, en 2009, chez le même éditeur, Seuil.

« La course au mouton sauvage » est le roman parfait pour appréhender le paysage mental de cet auteur attachant qu’est Haruli Murakami. Un paysage fait d’un subtile mélange de dérision, de fables, d’imagination débridée, de poésie nostalgique et qui met aux prises des personnages le plus souvent déracinés, à la croisée des chemins et dont la vie peut basculer à tout moment. Un paysage où l’amour physique, le désir sexuel houent une place prépondérante (voir « Le passage de la nuit »), où le surnaturel est un élément constant et déterminant du récit (la perception des conversations téléphoniques dans « le passage de la nuit », l’éléphant qui disparaît sans laisser de traces dans le superbe recueil de nouvelles « l’éléphant s’évapore » et , ici, l’homme-mouton qui abrite en son sein un mouton non référencé, porteur d’une étoile blanche et doté du pouvoir de rendre immortel celui qui l’abrite).

« La course au mouton sauvage » constitue une fable magnifique sur le sacrifice de soi, le renoncement à ce qui nous est cher, l’inaltérabilité de l’amitié qui deviennent ici autant de points de passage obligés pour passer un cap et basculer définitivement dans le monde des adultes et assumer des responsabilités souvent trop lourdes pour les plus fragiles d’entre nous. C’est aussi, et surtout, un roman qui vous happe tant le talent de Murakami est grand pour créer immédiatement ce climat unique dont il est impossible de s’échapper.  Le côté féérique, inattendu, étrange et étonnant fonctionne à merveille et garde sans cesse le lecteur en alerte d’autant que les voies empruntées sont toujours inattendues et nous poussent toujours plus loin dans l’inconnu voulu par l’auteur.

Quelques mots sur l’intrigue. Un jeune homme, bientôt trentenaire, est à la tête d’une boîte de publicité qui fonctionne bien. Il vient de divorcer et de tomber amoureux d’une jeune femme beaucoup plus jeune parce qu’elle possède des oreilles extraordinaires, superbes et qu’elle ne dévoile qu’à ceux qui ont le pouvoir de la séduire. Des oreilles qui la renseignent aussi lorsqu’elle est perdue et ne sait plus quoi faire. Des oreilles fascinantes et surnaturelles, qui la subliment.

Cette nouvelle vie de couple va se trouver remise en cause parce que le jeune homme reçoit une convocation du secrétaire du Maître, chef mafieux de Tokyo, ponte d’extrême-droite, suite à la publication d’une photographie de paysage avec des moutons, utilisée comme support publicitaire à la demande express d’un ami du jeune homme, disparu sans laisser de trace, le Rat. Sous la menace de voir sa vie et son travail détruits, notre couple est sommé de partir à la recherche de ce paysage et d’un mouton étrange, porteur d’une étoile, qui s’est glissé dans la photographie. Commence alors un long et pénible périple vers les régions désertiques, inhospitalières et froides d’Hokkaïdo pour tenter de retrouver le paysage et le mouton tout en ignorant les enjeux de cette quête.

Plus celle-ci avancera, plus le dépouillement physique, psychologique et affectif deviendra grand. Ce n’est qu’une fois débarrassé de tout, ramené quasiment à l’état d’un esprit fébrile que la vérité sera révélée au prix de remise en cause totale d’une existence arrivée dans l’impasse.

Nous ne saurions que trop vous recommander ce magnifique roman qui s’impose comme l’une des œuvres majeures de la littérature japonaise contemporaine.

Publié aux Editions Seuil – 1990 puis 2009 – 319 pages