7.12.13

L’appareil-photo – Jean-Philippe Toussaint



Publié en 1988, « L’appareil-photo » constitue le troisième roman de JP. Toussaint après le succès de « la salle de bain » puis de « Monsieur ».  Plus de vingt ans plus tard, ce roman court et dense ne perd ni de son intelligence, ni de son impact. C’est un véritable morceau de bravoure littéraire.

On pourrait dire de « L’appareil-photo » que c’est un roman sur le néant, une pertinente et pittoresque réflexion sur le sens que nous donnons à chacun de nos actes, à commencer par les plus anodins, une farandole où le vide se substitue à une absence de volonté ou, plutôt, de détermination qui amène un homme à se laisser mener par la multiplicité de hasards que chaque instant peut receler sans que, jamais, leur combinaison ne puisse résulter un en tout présentant une cohérence porteuse de sens.

Entré de façon velléitaire dans une auto-école, le narrateur entreprend d’apprendre à conduire. La constitution de son dossier est à son image : lente, successive, sans cesse repoussée, une chose anodine servant de prétexte à remettre à plus tard ce qui n’aurait pris qu’un instant à un esprit déterminé et organisé.

Parce que la gérante est sympathique et aussi laxiste que notre homme, parce que, comme lui, elle se laisse guider par une vie sur laquelle elle a lâché prise, abandonnée par un mari qui la laisse se débrouiller avec leur jeune fils, parce qu’elle entre inconsciemment, aussi, dans le jeu paresseux de son élève un peu bizarre, une histoire  va, peu à peu, prendre naissance entre ces deux passagers introvertis de la vie.

Une histoire souvent burlesque où la recherche d’une bonbonne de gaz un soir de pluie nous fait plonger avec délice dans un comique absurde et qui démontre bien l’absence de volonté de ces deux presque paumés. Il est clair, en tous cas, que le narrateur se complait dans les situations où il peut se retirer en soi, se laisser glisser dans des rêveries sans but et qui annihilent toute notion de temps. La séquence au cours de laquelle, toujours à la suite de cette recherche d’une bonbonne de gaz qui tourne en quête du Graal, notre homme s’enferme dans les toilettes d’un parking d’une aire d’autoroute en grignotant les chips achetés pour sa camarade de cavalcade en laissant cette dernière poireauter sans nouvelles et sous la pluie, vaut particulièrement le détour ! L’anodin est sublimé par une écriture imaginative et précise comme un coup de scalpel.

De fil en aiguille, ce début d’histoire chaotique va devenir, quasi par accident, une petite histoire d’amour, à la faveur d’un week-end à Londres où la quête d’un restaurant tourne en une déambulation désabusée dans une ville inconnue.

Au retour sur le ferry, le narrateur trouvera un appareil-photo oublié par deux passagers. Il s’en emparera presque malgré lui et se hâtera de prendre des photographies aussi inutiles que sa propre vie. Lorsque la pellicule sera développée, seules subsisteront les photos prises par les propriétaires inconnus alors que tous les clichés du narrateur n’auront pu être développés, ne présentant qu’un néant symbolique de celui laissé par cet homme lors de son passage terrestre.

Tout cela est écrit avec un brin d’auto-dérision qui rend sympathique un personnage délétère. Grâce à une écriture d’une incroyable subtilité mise au service d’une description sans cesse renouvelée d’un néant constant, JP. Toussaint nous a concocté un roman étonnant et extrêmement fort. A lire sans la moindre hésitation.

Publié aux Editions de Minuit – 1988 – 127 pages