14.1.14

Le Cosmonaute – Philippe Jaenada



Comme dans son précédent roman « Nefertiti dans un champ de canne à sucre », paru trois ans plus tôt, Jaenada donne libre cours à son délire pour chasser ses démons que sont l’alcool (beaucoup), le dilettantisme (toujours) et le sexe (intensif et sauvage, de préférence). Si vous ne connaissez pas Jaenada, autant vous prévenir tout de suite. Vous entrez dans un univers à part, fait de langage parlé savoureusement élaboré, truffé de parenthèses comme autant de digressions sur la pensée qui survient et qui gratte. Un monde dans lequel les femmes semblent liguées pour pourrir la vie des hommes une fois qu’ils ont été enroulés dans des rets tissés de folie, de jalousie comme autant de moyens d’exprimer un mal de vivre permanent et d’expulser une haine de soi qui hante l’univers féminin Jaenadien.

L’éternel personnage qui se raconte, sorte de double à peine voilé de l’auteur, est toujours le même : vaguement travailleur, presque toujours dans la pub, ici également ex détective privé de troisième zone et rédacteur d’articles à sensations pour un journal de bas étage, amateur de bières partagées avec les copains dans le bar permanent des romans de Jaenada, « Le Saxo ». Notre homme se laisse vivre en célibataire endurci. Jusqu’à…

Jusqu’à la fatale rencontre avec Pimprenelle, une blonde délurée de vingt cinq ans, éthérée, rencontrée au cours d’une enquête qui mène notre homme au cœur d’une forêt allemande où se célèbre un curieux mariage, barbare et rustre, peuplé de hell angels qui descendent des brocs de bière en se livrant à des jeux stupides et fondés sur une aveugle force physique.

Pimprenelle tombe vite enceinte et le roman s’ouvre sur l’accouchement. De cet acte essentiel, Jaenada fait une œuvre d’art, dans son style personnel et imagé. Car un accouchement jaenadien ne peut être que fantasque, plein de rebondissements, haletant et sanglant. L’auteur saura nous tenir en haleine pendant près de deux cent pages, ce qui n’est pas un mince exploit, sans jamais lasser et en pratiquant de fréquents déplacements temporels, précédant ou suivant cette mise à la vie.

Une vie qui tournera ensuite au cauchemar tant Pimprenelle sombrera dans une psychose hantée par l’obsession de l’ordre et de la propreté, elle qui ne se commettait jusqu’alors à aucune tache ménagère et qui vivait en bohémienne. Comme dans Nefertiti, l’homme s’accroche car il croit en l’amour, il veut cet amour avec cette femme idéalisé. Et ce, malgré toutes les évidences qui font de sa vie un enfer quotidien de plus en plus insupportable au point de le vider de toute personnalité.

Après la mise à la vie, c’est à une mise à mort psychologique que nous assistons en temps réel, basée sur des relations complexes d’amour-haine, des successions imprévisibles de terreur et d’affection, cette interdépendance malsaine qui font d’une relation celle d’un maître et d’un esclave interdépendants et masochistes.

Grâce à l’humour de Jaenada, à son côté totalement déjanté, l’insupportable devient tolérable voire la normalité. C’est ce qui fascine chez lui d’ailleurs.

Au total, il en résulte un livre fort, bien construit, sombre et moins drôle que beaucoup de ses livres plus récents mais très réussi.

Publié aux Editions Grasset – 2002 – 355 pages