8.2.14

Les renards pâles – Yannick Haenel


Une fois refermé cet étrange roman, on est en droit de se demander quel était bien le propos de son auteur. A-t-il voulu nous faire du « Houellebecq » et se lancer dans une sorte de roman trash et sévère de la désespérance, dénonçant l’inévitable glissement de certaines couches de notre société vers une exclusion délibérée ou non ? Son style et le fonds le laissent souvent penser ainsi qu’un court passage d’un dialogue improbable où il fait explicitement référence à celui qui fut un révolutionnaire du roman contemporain.

Ou bien, Haenel appellerait-il explicitement à la révolution avant qu’il ne soit trop tard, que notre société ne s’écroule par elle-même pour ne promettre que des cendres dont, seule l’origine, reste aussi inconnue que dangereuse, promesses de lendemains qui déchantent ?

S’appuyant sur ces mouvements populaires qui éclatent un peu partout dans le monde, prenant exemple des « indignés » venus d’Espagne et dont les récents bonnets rouges bretons n’ont été qu’une nouvelle forme, régionale, puis nationale, d’expression d’un ras-le-bol de plus en plus exacerbé, Haenel se met à rêver que le peuple est capable de prendre le pouvoir, de descendre dans la rue pour imposer ses vues, mettre un terme à une crise qui ne fait que fabriquer toujours plus d’exclusion, de laissés pour compte au profit d’une infime minorité. Mais pour en faire quoi ?

Car, ici, Haenel se contente d’imaginer la vague construction d’une déferlante sociale et pré-révolutionnaire. Un homme a décidé de vivre en retrait du monde au point de finir par s’installer dans la voiture qu’un ami lui a prêtée. Par une succession de hasards, de rencontres, de beuveries et d’orgies crûes dont rien ne nous est épargné, il finira par rejoindre le cercle des « Renards pâles » qui n’est rien d’autre que le Dieu anarchiste des Dogons du Mali. Ici échouent tous les sans-papiers, tous les agités fortement imbibés qui rêvent de casser une société qui les proclame ouvertement parasites et indésirables.

Il pourrait alors suffire d’un prétexte, ici celui du décès accidentel de deux Maliens sans-papier pourchassés par la police et finissant par se noyer dans la Seine, pour que tout s’embrase. Sans doute, mais pour promettre quoi ensuite ?

Car c’est bien là la limite d’un livre dérangeant, abrasif et sans concession, parfois saisissant comme la scène dans laquelle un sans abri disparaît aspiré et broyé dans une benne à ordures, déchet symbolique dont la société se débarrasse en catimini, mais qui n’imagine rien après l’anéantissement promis. Promesse évasive d’une suite ou paresse d’écrivain ?


Publié aux Editions Gallimard – 2013 – 175 pages