29.3.14

Collines noires – Dan Simmons


Il conviendra de prendre son temps pour lire ce long et dense roman du grand écrivain américain qu’est Dan Simmons. Car c’est le temps d’une vie qui s’écoule, celle de Papa Saha, « Collines Noires » en langue indienne Lakota . Une vie commencée juste après la fin de la guerre de Sécession et qui s’achèvera presqu’un siècle plus tard.

Mais, avant tout, « Collines Noires » est le roman de l’Amérique. Un pays construit sur la quasi extermination des peuples indiens qui occupaient le territoire et dont nous allons revivre les ultimes heures de gloire ainsi que leur écrasement définitif. Un pays passé de l’état de quasi nature, foisonnant de bisons et d’animaux sauvages à celui d’un alignement infini de champs et de ranches immenses entièrement dévolus à l’élevage intensif bovin et à ses ravages écologiques. Un pays, comme le souligne superbement et de façon allégorique dans la toute fin de son roman Dan Simmons, en proie au dérèglement climatique de façon de plus en plus violente et évidente et qui nécessitera probablement des ajustements violents et durables du style de vie dans les années à venir.

Au-delà de ces considérations écologiques qui habitent de façon plus ou moins sous-jacentes ce très beau roman, Dan Simmons réalise ici une odyssée américaine à la fois magistrale, ambitieuse et héroïque qui tiendra le lecteur en haleine pour de longues, très longues heures, de lecture.

Tout commence en cette journée de Juin 1876 sur le champ de bataille de Little Big Horn. Croulant sous un déferlement d’Indiens de diverses tribus qui ont enfin fait alliance, le 7ème Régiment de Cavalerie du Général Custer sera massacré et celui que les Sioux surnommaient Cheveux-Longs, pour sa chevelue blonde et bouclée, tué et scalpé. Un jeune garçon de onze ans aura juste eu le temps de se glisser jusqu’à cet ennemi à la fois craint et honni avant qu’il n’expire, un temps suffisant pour que l’esprit de Custer s’installe dans celui du jeune Indien qui n’est autre que Papa Saha.
C’est là l’une des grandes idées de l’auteur que de faire cohabiter ces deux cultures, ces deux peuples que tout oppose au sein de son personnage principal. Tout au long du roman, l’esprit de Custer ne cessera d’intervenir à des moments clé de la vie de Papa Saha, engageant de longues conversations entre celui que la supériorité des armes, de la technologie et la détermination de la race blanche et sa victime symbolique auront fini par intégrer de force comme un élément de la nouvelle société américaine.

Faisant fi de toute chronologie, Dan Simmons nous promène à travers les grandes prairies herbeuses du Dakota pour nous y conter la vie des tribus indiennes, leurs coutumes, la guerre à mort entre l’envahisseur blanc et les peuples établis là depuis des milliers d’années. Puis nous fait vivre l’Exposition Universelle du début du vingtième siècle à Chicago et ses prouesses technologiques. Mais c’est aussi et surtout sur le mont Rushmore que se concentrera l’essentiel du récit et des rêves plus ou moins éveillés imaginés par l’auteur. Ce mont sacré pour les Indiens, celui des « Collines Noires » où Papa Saha, par une sorte d’ironie de l’Histoire, se trouve enrôlé comme dynamiteur en chef pour contribuer au projet pharaonique d’un sculpteur mégalomaniaque, Gotzun Borglum. Ce projet donnera naissance à l’émergence des bustes de quatre présidents des Etats-Unis, symboles définitifs et hautains de la main-mise de la race blanche sur le territoire indien. Un symbole que Papa Saha tentera d’abattre aussi ce qui finit de faire le sel d’une histoire aux multiples rebondissements et qui nous donne à voir l’Histoire récente des Etats-Unis, de ses contradictions et de ses contractions.
Un livre au souffle épique, superlatif et à lire absolument !


Publié aux Editions Robert Laffont – 2013 – 537 pages