8.3.14

Transatlantic – Colum McCann


McCann aime l’équilibrisme, la prise de risque, le fil tendu entre deux points virtuellement inatteignables. Ce fut le point de départ, la ligne de force de son roman précédent, le formidable « Et que le vaste monde poursuive sa course folle » avec cet équilibriste qui tentait de franchir le vide sur le câble tendu entre les deux tours du World Trade Center. C’est à nouveau virtuellement le cas avec son dernier roman « Transatlantic » puisqu’il s’agit ni plus ni moins d’explorer les liens invisibles mais profonds qui relient l’Irlande de l’Ancien Monde avec l’Amérique du Nouveau Monde. D’où le titre.

Entre ces deux pays, il existe une longue histoire faite d’immigration. Au départ, parce qu’il s’agissait de se débarrasser d’encombrants prisonniers en tous genres en les déportant ni plus ni moins en des contrées où on saurait simplement certain de ne plus jamais entendre parler d’eux. Puis, ce fut la grande famine de la fin du XIXème siècle qui projeta par centaines de milliers les plus pauvres parmi les Irlandais, ceux rescapés de la faim qui s’en vinrent grossir à pleins contingents la Nouvelle Angleterre.

Alors, à peine la Première Guerre Mondiale achevée, deux jeunes aviateurs un peu fous,  John Alcock et Arthur Brown, n’ayant plus rien à perdre pour avoir survécu aux blessures et aux privations comme prisonniers, décident de transformer un bombardier pour réaliser le premier vol transatlantique dans le sens Amérique – Irlande.

C’est cette traversée initiale qui va ensuite servir de vague fil conducteur à un roman ambitieux mais fait d’une trame pas toujours lisible.

En effet, McCann invite personnages historiques et toutes les époques à la fois pour brosser un tableau à grands traits de l’histoire de l’Irlande, son pays natal, sur les cent cinquante dernières années. Apparaissent alors successivement, sans souci chronologique dans un basculement incessant qui nous projette en n’importe quel point d’un espace temps qui va des années 1870 à nos jours, outre nos deux aviateurs (personnages historiques et réels), un dandy noir, Frederick Douglass, premier Noir affranchi à s’être rendu en Irlande à la fin du XIXème siècle et auteur de best-sellers à l’époque, puis George Mitchell, sénateur américain d’origine irlandaise qui fut l’artisan des accords de paix qui mirent fin à la guerre fratricide entre catholiques et protestants irlandais dans les années 90.

Du coup, l’Histoire se met à défiler beaucoup trop vite et l’on se demande fréquemment où McCann veut véritablement en venir. Alors, peu à peu mais laborieusement aussi, il faut bien le dire, on finit par réaliser que cette Histoire qui défile à grands traits c’est aussi celle que vivent quatre femmes d’une même famille sur quatre générations. L’une aura émigré aux Etats-Unis et finira par devenir une femme entrepreneur devant composer avec une série de drames personnels. La suivante sera une femme de lettres et une journaliste redoutée pour la férocité de sa plume. Sa fille deviendra une photographe dont la propre fille tentera de sauver le maigre héritage familial fait d’une ferme et de landes qu’une montagne de dettes finira par emporter. Pour ces femmes, l’Histoire sera faite de deuils, ceux des maris parfois, ceux des enfants le plus souvent, victimes directes ou indirectes de conflits qui se jouent bien au-dessus d’eux, quand elles ne finiront pas oubliées de tous.

A ce titre, ce sont probablement les soixante dernières pages du roman qui sont les plus réussies. McCann finit enfin par ancrer son récit, ici le temps présent, et par nous montrer toute la détresse, la misère psychologique qui s’est abattue sur Hannah, la dernière descendante et la détentrice d’une lettre confiée aux aviateurs et qui ne fut jamais remise à sa destinatrice, ultime point de liaison transatlantique.

On terminera la lecture de « Transtlantic » en reconnaissant la prouesse de la construction mais en regrettant d’être resté plus en contemplateur qu’en lecteur consommateur d’une expérience littéraire qui ne fera pas de ce livre le meilleur McCann.


Publié aux Editions Belfond – 2013 – 371 pages