19.4.14

Le chardonneret – Donna Tartt


Donna Tartt ne cultive pas l’abondance de production. En vingt ans, voici seulement son troisième roman après « Le Maître des illusions » suivi dix ans plus tard de «Le Petit Copain ». Chacun de ses livres est dense. Chaque opus rencontre un succès international. Avec « Le chardonneret », elle tend vers l’hyperbole de son art son livre frisant les huit cent pages (prévoyez une grosse dizaine d’heures pour le dévorer) et ayant reçu le Prix Pulitzer accompagné de rares louanges.

Lors de son passage promotionnel à Paris, Donna Tartt déclarait au Figaro que depuis qu’elle avait découvert le tableau de Carel Fabritius, élève de Vermeer et de Rembrandt, elle n’avait cessé d’y penser chaque jour. La fonction de ce tableau, petit, dense et lumineux, représentant un oiseau (le chardonneret) sur un fond de mur jaune lumineux reste mystérieuse. Il aurait pu servir de décor sur un meuble sans que l’on ait la moindre certitude à ce propos.

Toujours est-il  que ce petit tableau connut un destin particulier puisqu’il fut l’un des derniers peints par Fabritius avant que ce dernier ne disparaisse lors de l’incendie qui suivit l’explosion d’une poudrière qui détruisit l’essentiel de la ville de Delft en 1654. C’est aussi l’une des rares œuvres qu’il nous soit restée de l’artiste.

Plus de trois cent cinquante ans plus tard, Donna Tartt imagine un nouveau coup du destin. Alors que le jeune Theo Decker et sa mère se sont réfugiés au Musée de New York pour échapper à la pluie battante, une explosion d’origine terroriste souffle une partie du bâtiment, détruisant de nombreuses salles et beaucoup des œuvres qui s’y trouvaient. Elle sème aussi la mort et le désarroi. Theo, qui se trouvait dans la salle du Chardonneret, assistera à la mort d’un mystérieux vieil homme qui lui remet une bague et lui intime de se rendre à une certaine adresse.

Ce moment forme le tournant de la vie de Theo qui vien de découvrir furtivement mais violemment l’amour après avoir aperçu une jeune fille rousse qu’accompagnait le vieil homme qui vient de mourir. Celle-ci semble avoir disparu elle aussi lors de l’attentat. Il est sous le choc de l’émotion provoquée par la découverte du tableau et s’en empare sans vraiment réaliser la portée de son geste avant de parvenir à s’échapper du chaos ambiant. Il va aussi comprendre bien vite que sa mère, partie à la boutique du musée quelques minutes plus tôt, fait partie de la longue liste des victimes.

Devenu orphelin de sa mère, coupé d’un père alcoolique qui les a plaqués un an plus tôt, il va se trouver ballotté de famille en famille.

Commence alors un long voyage intérieur et physique aussi pour Theo. Un voyage fait de brûlantes oppositions entre la solitude constante, l’angoisse permanente induite par le choc post-traumatique jamais évacué, l’amitié avec Boris, un autre enfant livré à lui-même, lui aussi orphelin de mère et sous la menace permanente d’un père alcoolique et violent ainsi que l’irrépressible besoin de se sentir en possession du tableau dérobé, malgré la culpabilité, la terreur d’être pris et de finir en prison, simplement parce que cet objet lui rappelle un bonheur perdu à jamais, une vie entrevue et gâchée, la possibilité de se mettre en joie par des émotions simples suscitées par le choc artistique.

Mais le voyage de Theo sera aussi, beaucoup surtout, fait d’amertume, de tromperies, de refuges compulsifs dans l’abus d’alcool et de drogues, uniques succédanés à un mal-être profond et incurable. Du coup, il est incapable d’une relation sociale normale et prompt à faire les mauvais choix quitte à décevoir ceux qui lui font confiance.

L’art de Donna Tartt est de jouer en permanence entre une observation romanesque psychologique fine de l’auto-destruction qui agite Theo sur une période d’une quinzaine d’années en même temps qu’au fur et à mesure que le roman progresse, le livre se transforme en un thriller puissant, plein de rebondissements dont le tableau dérobé devient un enjeu et une source de convoitise internationale, mettant Theo aux prises avec ce que le monde produit de plus violent.

La romancière mélange avec art et subtilité de nombreux fils pour mieux nous maintenir en haleine au long d’un roman fleuve qui n’est rien d’autre qu’une version moderne, contemporaine des grands romans classiques à l’ombre des Stendahl, des Dickens ou des Dostoïevski, avec l’extrême violence physique et psychologique en plus dont notre monde actuel est un grand producteur.

Un grand livre !


Publié aux Editions Feux croisés –Plon – 2014- 796 pages