20.6.14

Le festin de John Saturnal – Lawrence Norfolk




Plonger dans ce roman épais, bouillonnant, à la fois épique et poétique, c’est aussi réaliser la difficulté de vivre en Angleterre, en plein XVIIème siècle, sous le règne mouvementé de Charles 1er et la révolution de fanatisme religieux fomentée par Cromwell qui s’en suivra.

Un monde où voyager n’est jamais sûr car on y est à la merci des moindres brigands de grand chemin. Où se nourrir si l’on n’appartient pas à un Seigneur de quelque prestance reste une épreuve. Où les intrigues peuvent faire et défaire les plus grands et leurs suites. Un monde où la guerre ravage tout sur son passage, régulièrement, dévastant cultures, propriétés et humanité. Un monde où la sorcellerie se mêle intimement à la religion, où le fanatisme et l’extrêmisme mènent aux pires excès et humiliations. Un monde où passer de vie à trépas est simple, fréquent, presque anodin tant les menaces sont constantes et omniprésentes.

Dans ce monde plus tout à fait moyenâgeux mais pas encore moderne (bien que le fanatisme religieux d’alors ne manque pas de rappeler celui qui sévit de nos jours du côté du Moyen-Orient), existent cependant des disciplines élevées au rang d’art. Des savoir-faire, objets des plus grands secrets, d’une transmission jalousement contrôlée, d’une amélioration lentement élaborée et souvent résultant du génie d’innovateurs ; des métiers et des voies qui différencient l’homme des bêtes, qui l’élèvent au-dessus de la masse au comportement encore grossier.

Parmi ces arts, Lawrence Norfolk choisit de construire son roman sur celui de la cuisine. C’est le jeune John Saturnal qui en sera le porte-parole, l’acteur, l’auteur et la victime, immergé dans un monde fou, obscur, souvent obscurantiste aussi, donc éminemment dangereux.

Chaque chapitre s’ouvre sur une recette imaginée par celui qui deviendra une star de l’époque en matière de cuisine, John Saturnal. Un prétexte pour annoncer la partie de l’histoire qui va suivre et qui nous entraînera tout au long de la vie de John. Celle d’un enfant pauvre, élevé par une mère seule un peu sorcière car elle est aussi guérisseuse. Celle d’un enfant obligé de vivre dans les bois avant que d’être expédié de force dans le château dont il dépend et où son destin en sera bouleversé.

Tout est là pour faire de ce roman un livre goûteux, savoureux, dodu et mitonné à souhait : passions amoureuses, virements de sort, intrigues, jalousie, amitié, guerres, fanatisme, poésie, courage …. Si vous aimez les livres qui ont du souffle, voilà qui est pour vous. D’autant que l’écriture (et la superbe traduction) en est très soignée.

Certes, à force de détails historiques (car l’auteur s’est fort documenté et maîtrise son sujet), de foison de personnages, de références à des situations qui parlent peu à un public non anglais, on se perd parfois un peu et l’attention bat, ici ou là, de l’aile. Mais de façon générale, voici un livre qui sort de l’ordinaire par son propos, son originalité et les risques pris à son élaboration et  sa cuisson, celles d’une succession royale de plats richement mis au point.

Publié aux Editions Bernard Grasset – 2014 – 464 pages